La tension est à son comble entre Rabat et Washington, et le communiqué incendiaire publié rétrospectivement par le ministère marocain de l'Intérieur contre le Département d'Etat américain concernant son dernier rapport sur la situation des droits de l'Homme au Maroc, montre l'ampleur de la colère de Rabat contre un ami de longue date. Que se passe-t-il donc dans les coulisses entre le Maroc et les Etats-Unis ? Comment les us diplomatiques ont-elles reculé et pourquoi ces écrits au vitriol entre deux pays qu'une solide amitié unit pourtant depuis plus de deux siècles ? Pourquoi est-ce le ministère de l'Intérieur qui s'est chargé de la réponse au Département d'Etat, au lieu du ministère des Affaires étrangères, chargé en principe de la transmission des messages de capitale à capitale ? (note du traducteur – Dans l'intervalle, l'ambassadeur US a été convoqué mercredi 18 au soir au siège de la diplomatie marocaine par le ministre délégué Nasser Bourita, en présence du chef de la DGED Yassine Mansouri). Il existe une seule réponse à ces questions, à savoir que les relations entre le Royaume et l'Oncle Sam sont entrées dans une phase de fortes turbulences et qu'une crise sérieuse a éclaté entre les deux Etats. C'est pour cela que Rabat n'accepte plus de regarder ailleurs quand le Département d'Etat publie un rapport sur la situation des droits de l'Homme au Maroc… et c'est aussi pour cela que Rabat ne tait plus sa colère quand les choses en vont jusqu'à voir l'administration en place à la Maison Blanche harceler le Maroc dans son Sahara et le toucher dans ses points sensibles en instrumentalisant le secrétaire général de l'ONU et deux de ses fonctionnaires américains pour adresser des messages inamicaux, voire hostiles, au Maroc, qui compte pourtant parmi les plus anciens alliés du camp occidental et qui a présenté et rendu tant de services aux Américains du temps de la guerre froide, dans le conflit israélo-palestinien et dans la guerre actuelle contre le terrorisme. L'opinion publique marocaine comprendra aisément la colère de son Etat face aux agissements de Washington qui veut laisser cette affaire du Sahara comme une plaie béante dans le Maghreb arabe, afin de pouvoir y appuyer quand la Maison Blanche le souhaite, tantôt contre Rabat et tantôt contre Alger, en fonction des enjeux et du contexte. L'opinion publique marocaine comprendra également sans problème la réaction du Maroc à l'égard de Barack Obama qui a fait volte-face dans plusieurs affaires internationales en changeant la carte des inimitiés et des inimitiés américaines avec beaucoup de pays, jusques-y compris le Maroc. Mais, dans le même temps, on peut s'interroger sur la meilleure manière de répondre à l'Amérique et la façon idoine d'exprimer son accord et ses désaccords. Nous sommes, en effet, un petit pays qu'on a de la peine à voir à l'œil nu de Washington, de New York, de Floride et encore moins du Texas ou de Californie … Nos relations commerciales sont lilliputiennes avec l'Oncle Sam, ces relations étant bien plus marquées dans l'Histoire et en politique qu'en matière d'économie et d'échanges commerciaux ou de liens industriels. C'est pour cela qu'il est prématuré d'envisager une rupture avec Washington, car il ne faut pas oublier qu'il s'agit, quand même, de la plus grande puissance économique et militaire dans le monde, que les Etats-Unis sont les faiseurs de pluie et de beau temps aux Nations-Unies et au sein du Conseil de Sécurité, tout étant par ailleurs très visibles et audibles dans toutes les capitales du monde, grandes et petites, alliées ou hostiles… Les amis de l'Amérique sont nombreux, comme ses ennemis. Jadis, de sages stratèges disaient que : « Bien naïf celui qui croirait en l'amitié des Américains et irait s'endormir sur ses lauriers, et écervelé serait celui qui leur manifeste sa mauvaise humeur ou lui déclare la guerre »… L'auteur de ces lignes estime que la convocation de l'ambassadeur américain aurait dû être effectuée par le ministère des Affaires étrangères (cela a été fait entre temps, rappel du traducteur) et non par celui de l'Intérieur, et que discuter nerveusement avec Washington par le biais de communiqués énervés ne sert pas à grand-chose. L'actuelle administration fait ses bagages et le président Obama est désigné par l'expression « canard boiteux ». Il n'est donc en aucune façon utile de parler avec un ambassadeur, ou même avec le Département d'Etat, et encore moins avec le Pentagone. Il eût mieux valu, et il vaudrait mieux, trouver d'autres canaux de discussion, officiels ou non, pour atteindre la Maison Blanche, ainsi que nous l'avons toujours fait. Cela est le job du ministre des Affaires étrangères Salaheddine Mezouar, qui bouge beaucoup mais produit peu, ou pas, lui qui aime pourtant tellement « ébranler » les gens (référence à son homologue suédoise, NDT). Par ailleurs, il est aujourd'hui grand temps d'activer nos réseaux à Washington (si tant est qu'ils existent), car si ces lobbies ne font rien aujourd'hui pour chercher les moyens de faire entendre notre voix sur les rives du Potomac, ou du moins atténuer la pression qui pèse sur nous, nous serions en droit de nous interroger sur quand ils le feraient… Et, enfin, la troisième action à entreprendre à l'égard des rédacteurs de ces fameux rapports des droits de l'Homme aux Etats-Unis est de mieux faire respecter la situation des droits de l'Homme au Maroc, de plus respecter la presse, d'observer davantage de considération pour la liberté d'expression et de manifestation. Il faut que la justice soit plus indépendante et que l'on s'abstienne autant que faire se peut d'envoyer associations et journalistes devant la justice… et quelle justice ? Une justice où la plupart des magistrats ont peur de leur ombre et anticipent des instructions qui peuvent ne même jamais arriver… Il n'y a pas de politique intérieure et de politique extérieure… Il n'existe en revanche qu'une seule politique, qui a des manifestations internes et des répercussions externes. Celui qui veut être fort et respecté, puissant et considéré, à l'étranger doit s'appuyer sur sa force intérieure. Quant à se défendre en récusant les accusations, cela nous renvoie à une maxime de Shakespeare : « Si tu jures, tu peux te parjurer ! ».