Un ami d'Egypte a publié un statut sur Facebook, qui m'a rappelé des choses que nous vivons également chez nous au Maroc, qui concernent la violence contre les enfants, et la relation des gens à cette violence. Dans son statut, mon ami dit qu'à chaque fois qu'un débat se tient sur la brutalité faite aux enfants, il existe toujours quelqu'un qui affirme : « Nous avons tous été battus quand nous étions jeunes, et nous voilà, aujourd'hui, en parfaite condition »... mais mon ami ajoute son commentaire : « Surprise ! Vous n'êtes absolument pas ce que vous pensez être... ». ... pas plus que nous, d'ailleurs, au Maroc, tant il est vrai qu'une génération qui grandit sous les coups et la violence ne peut être de bonne facture, pas plus qu'elle ne peut apporter de bons rendements. Et c'est pareil quand cette violence s'applique contre les femmes. Nous avons bien des gens parmi nous, des intellectuels, des professeurs, des avocats, qui estiment que la loi contre la violence faite aux femmes n'est pas vraiment dans l'intérêt de ce pays car, disent-ils, dans le passé, les femmes pardonnaient à leurs maris violents et ce faisant, elles protégeaient et préservaient leurs familles ; et donc, en creux, avec cette loi réprimant les maris brutaux, c'est la stabilité des familles qui serait menacée... pensent-ils... Avant d'exprimer notre stupeur face à cette logique, méditons objectivement sur ce type de discours qui nous entourent pour prendre la mesure du fait qu'ils reflètent notre exacte réalité quotidienne : beaucoup de femmes et d'hommes considèrent que s'il ne faut pas encourager les maris à battre leurs épouses, la pratique reste néanmoins et pour le moins compréhensible. Et cela arrive à un point où quand nous apprenons que de tels faits se sont produits, avec parfois le décès de la femme battue, la première question qui vient à l'esprit est « qu'a-t-elle bien pu lui faire ? »... une manière de justifier l'innommable. Très peu de personnes jettent l'opprobre sur le type violent, mais bien plus nombreux sont ceux qui condamnent la femme battue et qui porte plainte. « Elle aurait pu et dû lui pardonner, et préserver ainsi sa famille », disent-ils... Mais la violence dans notre société dépasse les femmes et les individus... La justification de cette violence est devenue une seconde nature, que nous soyons des politiques ou de simples citoyens, des démons et même des crocodiles. Certains frappent, et les autres justifient cela ; les uns versent dans la violence, et les autres leur trouvent des raisons et des circonstances atténuantes ; la victime est bien souvent plus coupable que son tourmenteur. « C'est elle qui a été chercher les problèmes... ». Que de fois n'avons-nous pas entendu cette « réflexion » : « Il n'y avait que Hassan II qui savait y faire avec ce peuple. Il savait l'écraser ; notre peuple est ainsi fait qu'il ne peut donner des résultats que sous la botte » ? Et notre très estimable chef du gouvernement n'a pas dérogé pas à la règle quand il a commenté la violence subie par les enseignants stagiaires (nonobstant la nature de leurs revendications) : « Nous ne saurions soutenir ceux qui violent la loi ». Sur le plan du principe, il a tout à fait raison. Qui d'entre nous pourrait défendre le non-respect des lois ? Mais quand nous croyons dans les valeurs constitutives des droits de l'Homme, nous n'en justifions pas pour autant la violence contre les contrevenants potentiels ou supposés. Quand un citoyen ou un groupe de personnes enfreignent les lois (et dans l'affaire des enseignants stagiaires, le doute est permis), il existe des moyens légaux de les sanctionner... ou alors nous pourrions dire que l'Etat qui verse dans la violence débridée est lui-même en faute. Et puis, pourquoi le chef du gouvernement agit-il avec une telle sélectivité face à la loi ? Voici quelques mois, en effet, le secrétaire général du CNDH avait répondu à la question provocatrice de Benkirane de savoir comment il réagirait s'il trouvait sa femme au lit avec un autre homme (une question qu'en principe un chef de gouvernement raisonnable ne pose pas...), disant qu'il s'en remettrait à la loi. Benkirane et son ministre de la Justice, présent dans la salle, avait réagi à l'unisson en lançant à Mohamed Sebbar que « Dieu merci, nous autres Marocains n'avons pas le sang aussi froid », ce qui signifie en creux qu'aller en justice dans un tel cas ne serait pas une preuve de virilité. Benkirane et Ramid inciteraient-ils donc à la violation de la loi dans un cas – légitimant en quelque sorte la violence – et défendraient-ils le droit dans une autre situation en opposant le respect de la loi à des manifestants ? A moins que nous ne considérions, finalement, que la violence est la règle et le respect de la loi ne serait qu'occasionnel, conjoncturel et exceptionnel... Le porte-parole du gouvernement a même été encore plus loin quand il a nié la responsabilité de l'Exécutif dans la violence qui s'est abattue sur les enseignants stagiaires. Bien évidemment, le ministère de l'Intérieur agit sous les ordres des démons et des crocodiles, c'est bien connu... La raison est réchauffée : elle se trouve dans l' « Etat profond »... Et donc, quand il pleut, c'est un cadeau de Dieu à Benkirane et à son parti, ainsi que l'a dit et répété bien souvent notre chef du gouvernement... mais quand le ministère de l'Intérieur a la main lourde, bien qu'il soit placé en principe sous les ordres et la responsabilité du même chef du gouvernement, alors cela devient comme par enchantement le fait de l'Etat profond, du makhzen, des démons et des crocodiles. Ce qui est bien est de notre fait, et ce qui l'est moins est de leur faute... En voilà un nouveau principe en politique, que nous découvrons avec notre gouvernement... Pour faire court, on va dire que nous ne sommes vraiment pas bien, au Maroc... une société qui verse dans la violence et la justifie ne peut être que malade. Un Etat qui légitime la violence, qui la justifie, ne peut prétendre être sur la bonne voie pour la démocratie. Le chef du gouvernement accepte le recours à la violence contre ceux qu'il estime agir dans l'illégalité... Il est donc un dirigeant qui s'écarte de l'esprit et de la lettre de la constitution, qui fait peu de cas de la loi, qui ignore le sens des droits de l'Homme et qui tourne le dos à la saine logique de la gestion des différences ! Des politiques qui ne reconnaissent pas leur responsabilité dans la répression violente de manifestants sont des politiques faisant montre de lâcheté, qui ne retiennent de leurs fonctions que ce qui redore leur blason, et qui caressent leurs électeurs dans le sens du poil (ou de la barbe ?, note du traducteur), allant même jusqu'à associer la pluviométrie à leur bénédiction divine... ce sont, en un mot, des gens qui ne reconnaissent la démocratie et ses principes que quand ils servent leurs intérêts et leurs ouvrent les portes du pouvoir... Question subsidiaire : Si la pluie est tombée ces dernières années parce que Dieu aime Benkirane et son parti, que devrions-nous dire aujourd'hui que la sécheresse plombe le pays ? Simple question...