Le romancier Ahmed Madini n'a pas hésité à s'en prendre aux milliardaires récemment « consacrés » par la revue Forbes, ces gens fortunés que le magazine américain classe par leurs avoirs et leurs patrimoines parmi les plus riches du monde, et du Maroc. Madini donc, auteur de « al ûnf fi dimagh » et « bard ul massafat », a expliqué que la richesse bâtie par les intellectuels est bien plus grande et autrement plus importante que les patrimoines constitués par tous ces milliardaires en numéraire et en titres ; en exposant son idée, Madini nous a ramené à cette époque où l'intellectuel était derrière toutes les grandes décisions, dont bien évidemment celles prises dans le domaine politique. L'auteur nous a invité, tous autant que nous sommes, à aller chercher dans notre mémoire politique pour y retrouver les noms de tous ceux, parmi ces intellectuels marocains, qui se sont construit une gloire et un nom dans la culture, puis ensuite sur le plan politique. Il n'est donc pas étonnant que l'un des premiers noms qui ait remonté soit celui d'Abdallah Laroui, qui a écrit tant d'ouvrages en histoire, qui a mis en place une idéologie, qui a fait aussi dans le roman et le récit, après s'être engagé dans l'action politique, du moins à ses débuts. On retrouve aussi Mohamed Abed Jabri, qui écrivait nuitamment ses idées philosophiques et ses conceptions idéologiques, puis qui s'en revenait, le jour suivant, à ses éditoriaux politiques dans le journal « Attahrir ». Ces gens-là avaient une aura politique mêlée à une influence intellectuelle, et c'est pour cela qu'ils avaient réussi à s'imposer par rapport à leurs contemporains, dans des temps aujourd'hui révolus, en dépit de tous les déboires qui leur tombaient sur la tête et des coups qu'ils recevaient aussi en dessous de la ceinture. Ces dernières années, bien malheureusement, il semblerait que la formule « démission des intellectuels » ait pris tout son sens, les intellectuels ayant déserté le terrain politique ; en effet, ils sont très nombreux, ces penseurs, écrivains et intellectuels qui croyaient dans la noblesse de l'action politique et qui ont reculé, préférant céder la place à ces pseudo intellectuels qui emplissent l'espace de leurs glapissements. Certains expliquent cette tendance par l'expérience de l'alternance et de ce qui s'en est suivi, étant entendu que nombre d'intellectuels s'étaient engagés dans cette aventure, ont goûté aux délices du pouvoir et de la richesse, puis ont renoncé à leurs positionnements idéologiques d'antan, à leurs combats des années 70. Certains autres imputent cet état de fait à un pouvoir qui a su tantôt amadouer tantôt intéresser, parfois simplement appâter tous ces intellectuels qui ne jurent désormais plus que par lui. Résultat ? Tous ces partis politiques, appelés naguère partis du mouvement national, dont les appareils pullulaient d'intellectuels de renom qui mélangeaient leurs actions politiques et leurs positionnements intellectuels, qui ne voyaient le progrès politique qu'à travers le prisme de la gloire intellectuelle… tous ces partis, donc, ont renoncé à leurs grands noms de l'intelligentsia et leur ont préféré les marchands de sièges électoraux. Tout récemment encore, le Secrétaire général du parti de l'Istiqlal, qui était venu sur un plateau télé sans ne réussir à convaincre personne, a dit toute honte bue que les partis administratifs, créés pour concurrencer les formations nationalistes, n'avaient pas été inventés par le pouvoir, mais plutôt par les intellectuels ! Oui, ce sont les intellectuels qui sont à l'origine de ces partis administratifs, selon le patron de l'Istiqlal, cette formation qui a construit toute sa gloire et bâti son prestige sur le fait intellectuel, qui a eu comme guide moral cet immense intellectuel que fut Allal el fassi, l'homme qui a écrit sur l'islam, sur les défis du siècle, le penseur qui signé « l'autocritique ». Voilà donc que les leaders politiques se prennent à penser que l'action intellectuelle est un crime qu'il faut combattre. Comment expliquer cela ? Par cette formule qui veut que « la plus belle fille du monde ne peut pas donner plus qu'elle n'a »… Chabat et les autres Chabat des autres partis, nationalistes ou administratifs, n'ont ni pensée ni positionnement ni idéologie sur lesquels ils pourraient se fonder pour construire, puis conduire, leur action. Nous saisissons mieux aujourd'hui pourquoi le Maroc vit cette déliquescence politique et intellectuelle… parce que les penseurs sont revenus en arrière, parce qu'ils se sont englués dans leurs querelles intestines au lieu de poursuivre plus haut, plus fort et plus loin leur lutte pleine de noblesse et de grandeur au sein d'une société qui ne peut avancer que par la lumière de la pensée et l'éclat de l'intellect, véritables fondements du fait politique, et non son adversaire. Disons en conclusion que les intellectuels du parti de l'Istiqlal, qui ont préféré aller aux abris et laisser Chabat caracoler ici et là à coups de menton, de gueule et de rodomontades, doivent prendre leurs responsabilités, en attendant de rendre des comptes aux générations futures qui ne leur pardonneront jamais leur présente démission.