Lors d'une récente visite effectuée en Espagne en compagnie d'un groupe de collègues, j'ai ressenti une étrange sensation. Les Espagnols, nos hôtes, se comportaient avec nous comme si nous étions des Français, cœur, corps et âme. Ils ont dû penser que nous étions des esclaves de la France, mais ils n'ont pas osé s'en ouvrir franchement à nous. A chacune de nos réunions, ils avaient le souci d'avoir avec eux quelqu'un qui parlait en français et, quand cela n'était pas possible, ils prenaient soin de se faire accompagner d'un traducteur qui parlait cette langue avec aisance. Durant toute la durée de notre séjour, aucun de ces Espagnols n'avait semblé avoir compris, ou admis, que le Maroc disposait d'une constitution qui précisait que l'arabe était sa langue officielle ; personne n'a osé nous demander pourquoi nous ne nous exprimions qu'en français et que personne de nous ne pipait mot en arabe ; par moments, un de nous prononçait le mot « choukrane » (merci) et alors nos hôtes se rappelaient subitement que nous étions capables de dire quelque chose en arabe, mais cette pensée passait très vite. Depuis que nous avions atterri à l'aéroport de Madrid, les Espagnols veillaient à être accompagnés de quelqu'un qui parlait bien en français, afin de nous faire honneur et de nous faire comprendre que nous comptions pour eux. Ils voulaient vraiment nous faire plaisir. Et quand l'un de nous disait quelque chose en espagnol, nos hôtes étaient stupéfaits de constater qu'il était possible que dans ce pays français qu'est le Maroc – à leurs yeux, une personne pouvait s'exprimer en castillan… Les Espagnols sont un peuple qui n'a pas beaucoup de penchants pour les langues étrangères. Une boutade très populaire en Espagne veut que les citoyens de ce pays qui parlent d'autres langues se divisent en deux catégories : ceux qui ont totalement échoué à les maîtriser et ceux qui continuent d'essayer de les apprendre. La boutade est bien réelle. Mais pour ce qui nous concerne, et pour nous plaire, les Espagnols ont trouvé des gens qui parlent bien, très bien même, le français. Ils avaient déployé de louables efforts pour cela, et une fois qu'ils avaient déniché des responsables à eux parlant la langue de Molière, ils étaient très heureux de nous montrer qu'on était chez nous, chez eux. Chacun de ces responsables qui nous causait en français affichait la satisfaction de celui qui offrait à son invité un présent de grande valeur. Mais, chose curieuse, aucun de nos hôtes n'a jamais pensé à nous entretenir en arabe tout au long de notre séjour sur son sol ; personne ne nous a gratifiés d'un « choukrane », « assalam aleikoum », « labass ? » (Ça va ?)… Dans leur esprit, nous étions français, et on ne peut décemment rien leur reprocher, car la faute de cela nous revient à nous, et à nous seuls. Nous sommes partis au siège du gouvernement, le français… au parlement, le français… aux ministères, le français… aux sièges des télés, le français… et dans les grandes entreprises, les musées et les stades de foot, encore et toujours le français. Si nous parlions en arabe et que nous insistions pour n'utiliser que cette langue, qui est par ailleurs la nôtre, les Espagnols auraient trouvé de parfaits arabophones. Si nous avions voulu donner quelque crédit à notre langue et à notre identité, les hôtes d'Espagne ne nous auraient pas pris pour des vassaux de la France, en tout et pour tout… Pire, quand nous baragouinions un mot ou deux en Espagnol, nous en riions comme des enfants, alors même que l'Espagne n'est éloignée de nous que de 14 kilomètres. Mais non, nous insistons pour le français comme si nous étions nés au cœur de Paris. Ce qui s'est passé pour nous en Espagne n'est qu'un exemple, parmi d'autres, de tous ces responsables marocains qui, où qu'ils aillent et quels qu'ils soient, parlent français. Dans tous les pays d'accueil de Marocains, leurs hôtes prévoient des traducteurs en français, impriment tout en français, et ignorent totalement et entièrement cette chose appelée l'arabe ; la raison ? Nos responsables ignorent à leur tour cette langue appelée arabe, et se comportent comme s'ils vivaient dans une colonie bananière française, n'usant que du français, de leur arrivée à l'aéroport à leur départ du même aéroport, du mot « bienvenue » au mot « adieu ». Tout récemment, une affaire a fait grand bruit sous nos latitudes… celle du ministre de la Communication marocain Mustapha el Khalfi qui a eu un entretien dans les studios d'une radio française, en français, ou du moins a tenté de le faire… mais le dialogue s'est transformé en catastrophe pour le ministre car, en réalité, tous nos responsables, des communistes aux islamistes, en passant par tous les autres, persistent à s'auto-flageller en cramant leur identité et en jouant toujours le rôle « des petits esclaves de la France ». Quelle est donc cette raison qui a empêché el Khalfi, ce jeune homme si éloquent en arabe et si audacieux dans son discours, de faire son interview en arabe, exactement comme l'aurait fait, par exemples, le Turc Erdogan qui ne parle que turc ou le Russe Poutine qui ne cause que russe ou l'Espagnol Felipe VI qui ne s'exprime qu'en espagnol ? Mais le plus étrange est que voici quelques semaines, notre ministre de l'Education nationale Rachid Belmokhtar avait osé dire à une télé française qu'il ne connaît pas l'arabe, alors qu'el Khalfi n'a pas eu le courage de dire qu'il ne maîtrise pas tout à fait le français. Un paradoxe effrayant… Pourquoi avons-nous si honte quand un de nos responsables ne manie pas avec aisance la langue française ? Et pourtant, une majorité de dirigeants dans le monde ne parle que sa langue officielle. Pourquoi réduire de l'importance de l'arabe alors que le nombre de personnes qui le parlent est bien plus important que ceux qui utilisent le français ? Et pourquoi nos responsables n'apprennent-ils pas l'espagnol ou l'anglais pour s'en aller les parler dans le vaste monde, et qu'ils s'accrochent à ce pauvre français ? Les francophones en notre pays sont des malades qu'il serait urgent de soigner, dans des cliniques psychiatriques modernes ou dans des centres plus populaires comme « Bouya Omar ». Le français se meurt dans le monde, mais chez nous cette langue préserve son arrogance. Allons, réveillons-nous, sortons de notre torpeur et soulevons-nous contre ce racisme francophone. Avant qu'il ne soit trop tard !