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« No Podemos », par Souleiman Raïssouni
Publié dans PanoraPost le 28 - 09 - 2017

Alors que le comité de suivi du Mouvement du 20 février a déclaré à l'occasion de son 4ème anniversaire, que le « Mouvement connaît une situation difficile » après que « les autorités eurent œuvré à lui couper les ailes depuis le début en alternant répression, manœuvres et concessions », un sondage vient de paraître chez notre voisin du nord, réalisé par el Païs, affirmant que le parti Podemos (« nous pouvons ») dépasserait les deux grands partis traditionnels, le PSOE et le Parti populaire, si des élections étaient organisées aujourd'hui.
Podemos a vu le jour en février 2014, se fondant sur le mouvement des « indignados », équivalent objectif du 20 février, et qui avait lancé son action le 15 mai 2011 à Madrid, place de la Puerta del Sol qui devait être rebaptisée par les manifestants du nom de Tahrir, en hommage aux protestataires égyptiens qui avaient eu raison de Housni Moubarak. Ce faisant, les Espagnols avaient voulu indiquer que leur mouvement était le prolongement du mouvement de rébellion du Caire et que le rejet des élites vieillissantes était un phénomène mondial et commun entre le nord et le sud.
Cela étant, peut-on dire que les raisons qui avaient jeté dans les rues Tunisiens, Egyptiens, Libyens, Yéménites, Bahreïnis, Syriens, Marocains… étaient les mêmes qui avaient présidé à la protestation des Espagnols à la Puerta del Sol ? Assurément non, car ce qui avait poussé à la mauvaise humeur les peuples arabes, et à leur tête les jeunes, étaient la corruption et la tyrannie. Pour être plus précis, les Arabes réclamaient la liberté, la démocratie et la justice sociale alors que les Espagnols, jeunes et moins jeunes, ne contestaient pas un recul de la démocratie ou de la liberté mais celui de la seule justice sociale, suite à la lourde crise économique et financière qui avait frappé l'Europe. C'est pour cela que les manifestants espagnols n'avaient trouvé aucune difficulté à basculer du mouvement spontané des « Indignados » à un parti politique structuré qui avait pu dépasser en toute facilité les deux partis classiques qui alternaient au pouvoir depuis l'instauration de la démocratie en 1975. Et voilà qu'aujourd'hui, Podemos trace son chemin, lentement mais sûrement, vers le pouvoir à Madrid.
Quant aux Arabes, jeunes surtout, il n'avaient pu trouver leur voie vers le pouvoir dans leur pays, pour deux raisons principales : 1/ Les manifestants avaient enchainé les cris et clamé leur colère sans pouvoir exprimer des alternatives politiques et culturelles claires et, 2/, Ils avaient eu en face d'eux des partis politiques bien installés, composés de personnalités âgées, islamistes soient-elles ou laïques, qui attendaient leur tour depuis des décennies, et quand les dictatures se sont écroulées, ces partis avaient repris le flambeau des contestations. Les jeunes arabes avaient donc retourné leurs récriminations contre ces formations, comme en Tunisie et au Maroc, ou avaient servi de fer de lance, comme en Egypte, où les mêmes manifestants qui avaient détrôné Moubarak en alliance avec les islamistes avaient noué d'autres alliances avec les vestiges du régime déchu pour chasser… les islamistes !
Les « séniors », contre lesquels les manifestations de 2011 en Espagne étaient dirigées, avaient été les pionniers de la démocratie en 1975, après qu'ils aient quitté leur exil français – entre autres –, stimulés par les mouvements populaires de mai 1968. Cette année avait consacré le choc des générations dans les idées et les organisations politiques, et la pensée prévalant alors s'articulait autour de slogans tels que « Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi », ou encore « travailleur, tu as 25 ans mais ton syndicat est de l'autre siècle »… Voilà donc deux idées-forces qui montrent combien le besoin était pressant et impérieux de « tuer le père », symboliquement, pour instaurer cette notion de relève des générations, reprise tant par l'Etat que par la société à travers les institutions représentatives et éducatives.
L'idée de « tuer le père », qui consistait effectivement à se débarrasser des idées obsolètes, à rejeter les partis désuets et à tourner le dos aux syndicats brinquebalants et bureaucratiques, a toujours fait des politiques vieillots et des agitateurs d'idées dépassées le combustible avec lequel fonctionnaient les contestations de jeunes. En terre arabe, c'est exactement l'inverse qui se produit, puisque le jeune reste toujours attaché au vieux, sans le contraindre à se remettre en cause, ce qui le conduit lui-même, le jeune, à devenir le porte-drapeau de la protestation sociale et politique, comme cela a été et est toujours le cas en Irak, en Libye et en Syrie…
Nos sociétés sont-elles donc capables de dépasser cette situation figée qui est la leur, en alimentant un processus démocratique porté et supporté par les jeunes, avec des idées nouvelles, différentes et aventureuses puissent-elle paraître, menant à des réformes et des remises en cause radicales en termes d'éducation, de politique et de conception de la religion, comme cela a été le cas avec Podemos ? Je crains que la réponse soit « No Podemos », nous n'en sommes pas capables.


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