Par Hassan Alaoui «Si la situation est grave, elle n'est pas désespérée » ! Tel adage, émis par un sage décrirait volontiers le contexte dans lequel nous sommes placés depuis mercredi 13 juin 2018. Il s'agit bien évidemment des retombées de la décision de la FIFA d'octroyer l'organisation de la Coupe du monde 2026 au trio américain et d'en priver cruellement le Maroc. On peut gloser à loisir – d'aucuns s'en sont même donné avec une remarquable shadenfreude qui leur est coutumière – sur les raisons de cette grave déception pour le Maroc, sur les tenants et aboutissants qui en ressortent voire sur ce que les contempteurs de l'intérieur appellent « l'incapacité et l'incompétence » des responsables ayant conduit et défendu notre dossier. Y allant de leur couplet, comme à l'accoutumée, ils sont les premiers à tirer sur nous, et le plus paradoxal c'est qu'ils attendent toujours de le faire après coup, et jamais avant, avec cette insolence de moralisateur et des Cassandre ! Le dossier du Royaume du Maroc, sauf mauvaise foi, était non seulement convaincant, solide mais incarnait une candidature légitime, justifiée à bien des égards. Autrement dit, il donnait à espérer que cette Coupe du monde, patrimoine des pays « riches », pourrait une fois n'est pas coutume revenir à un Etat émergent. On n'invoque guère ici le cas de l'Afrique du sud dont on comprend – a posteriori d'ailleurs – la dimension exceptionnelle, car il s'agissait entre autres raisons de rendre hommage à un homme exemplaire pour son combat et les souffrances endurées en prison, que fut Nelson Mandela. Il est toujours facile après coup, disions-nous, d'exulter et de tailler des croupières à son pays qui, pourtant, n'a pas démérité de jouer les parangons de la critique sans concession, les pourfendeurs à l'effet de style défaitiste et...jubilatoire ! Enferrés dans le piège de la quête à la Différence, croyant mettre mieux que les autres le « doigt sur la plaie », d'aucuns en sont venus, en viennent encore à vouloir nous reprendre à l'amphigouri. Or, l'analyse correcte du processus qui a caractérisé la gestion de notre dossier pour le Mundial 2026, ne procède d'aucun mystère. Car le mystère est qu'il n'y a pas de mystère justement ! Dès le départ, il y avait anguille sous roche, simplement parce que le jeu était pipé et les dès jetés. Un certain Gianni Infantino, italo-suisse trempé dans la magouille, président de la FIFA, élu en 2016 dans les marigots sombres de la concussion , pointé par le FBI , avait d'ores et déjà annoncé la couleur quand le jeu compétitif s'est proclamé entre le Maroc et les trois pays que sont les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. Le cher « Gianni » est décrit par « Le Monde » comme « un opportuniste, un calculateur obsédé par le pouvoir et le fric... ». Paradoxale et étrange coïncidence, il incarne l'alter égo d'un Donald Trump, tout à sa perfidie et sa folie ontologique pour la puissance et l'argent. L'un et l'autre complètent l'obscur tableau d'une gigue obsessionnelle à dénaturer et subvertir la Fédération internationale de football et, en même temps, à la corrompre. Le principe que l'argent appelle l'argent ne déroge pas à sa vérité profonde, dans le cas qui nous préoccupe il souille le sport, il est à ce dernier ce que les combines de casino sont à l'appétit des gros bonnets mafieux Donc, il n'y a pas seulement un trio – les Etats-Unis, le Mexique et le Canada – contre lequel le Maroc a été confronté pour arracher la Coupe du Monde de 2026 ; mais deux en réalité. Le deuxième est composé, à notre corps défendant, de Trump, Gianni Infantino et un ectoplasme dénommé al-Cheikh Turki , personnage falot d'une médiocrité rampante. Ce trio infernal avait mission de casser notre pays avec une irrépressible volonté de privilégier non pas le Canada et le Mexique, qui ne sont que les acolytes de l'attelage américain, mais essentiellement Donald Trump qui sévit impunément , comme un intempestif sauvage lâché et arme au poing, ne réglant ses comptes que sous la menace, terrorisant les uns et les autres, intervenant directement avec ses tweets et palinodies , appelant même les organisateurs et tous ceux qui osaient un tant soit peu exprimer une opinion différente ou annoncer un autre choix que celui de l'Amérique. Manifestement, nous revenons à cette époque de l'Amérique impériale si bien décrite par Raymond Aron qui ne se lassait pas de tout ravir, au nom de la doctrine Monroe, brandissant sur son fronton l'étendard de l'America first, bousculant les règles élémentaires de la diplomatie, arrogante à n'en plus finir, puissante devant les faibles, impérialiste tout simplement. Aujourd'hui, le président Donald Trump n'en démord pas de mettre le monde à ses genoux, il est l'amateur obsédé de la force, il pratique la « diplomatie de la canonnière ». De la manière de traiter sa concurrente Hillary Clinton pendant les élections présidentielles, on retiendra davantage sa perversion plutôt qu'une intelligence ou une rigueur ; celle de congédier de manière si cavalière ses conseillers ou ses employés, sa défaillance psychologique ; de celle encore de traiter les dossiers internationaux un quasi dévergondage confinant à l'indécence ; enfin de déchirer devant les télévisions du monde les textes successifs des accords, une manière de vulgarité. La Political correctness, si vantée autrefois jusque chez les Européens, est désormais un souvenir, une glauque espérance renvoyée dans la trappe d'un Donald Trump imperator, le front soufflé , aguicheur patenté du clan de Salmane qui viennent de prendre le pouvoir dans cette Arabie Saoudite si secouée par des vents contradictoires, géant aux pieds d'argile au milieu d'un Moyen Orient transformé en oeil du cyclone. Trump a exhibé les chèques de la colossale somme d'argent amassée lors de son périple folklorique en Arabie, autrement dit il a fait payer rubis sur l'ongle le pouvoir saoudien en contrepartie d'un sourire grimacé et grivois et d'une promesse que l'Amérique respectera son Pacte de soutien militaire signé le 14 février 1945 à bord du cuirassé Quincy entre Roosevelt, président des Etats-Unis et le Roi Ibn Saoud, fondateur de l'Arabie saoudite. Le 20 mai 2017, Donald Trump, excipant sa bienfaisante protection, a signé lui aussi à Ryad avec les dirigeants saoudiens, une série d'accords d'une bagatelle de pas moins de 380 Millions de dollars, sonnantes et trébuchantes. Si le premier président américain avait reniflé le pactole pétrolier saoudien, le second – Trump – s'est inscrit dans la continuité bille en tête, très peu ou nullement porté sur les formes pour vassaliser publiquement les dirigeants de Ryad. Le Pacte américano-saoudien, soutenu par le Koweit, les Emirats Arabes Unis, le Bahrein, la Jordanie, l'Iraq , le Liban, tous pays arabes entre autres ayant exprimé leur allégeance à Donald Trump derrière le chef de file saoudien, creuse à présent un fossé irrémédiablement profond. La manne pétrolière aidant, Washington les tient «en laisse», à bout de bras pour certains. Cette nouvelle donne change évidemment le paradigme classique de la géopolitique régionale, désormais dominée par une série de conflits latents ou déclarés, aux lisières de l'Arabie saoudite, en Syrie dévastée, en Palestine, au Liban, là dans cet arc-en-ciel moins coloré, gris et sombre même. Ce qu'il faut retenir comme leçon de cette coupe du monde 2026, c'est le diabolique mariage entre la politique, l'argent et l'immoralité mafieuse de Trump, Turki al-Cheikh et du président de la FIFA Gianni Infantino. C'est aussi le dévoiement ostensible du sport, du football notamment. C'est enfin la trahison – il n'est pas d'autre mot – de certains Etats, africains et arabes, qui ont fléchi devant la tentation de l'argent , vendu leur âme ou simplement obtempéré aux ordres du président des Etats-Unis. Le Maroc n'a pas perdu, au contraire, il préserve sa dignité et renforce sa conviction d'un peuple, d'un Etat mobilisé derrière le Roi Mohammed VI.