Si, à Addis-Abeba, les dirigeants africains ont salué la nouvelle direction de l'Union africaine, l'avenir de l'organisation cristallise néanmoins plus d'attention alors qu'elle aspire à des réformes profondes et à un nouvel élan. La désignation de l'Algérienne, Selma Malika Haddadi, au poste de vice-présidente soulève déjà de vives interrogations, tant elle semble relever d'une manœuvre politique plutôt que d'une authentique mise en valeur de compétences. Cette responsabilité pourrait rapidement se révéler un levier d'influence géopolitique au profit d'Alger. La Commission de l'Union africaine (UA) issue des élections tenues lors de la 38e session des chefs d'Etat et de gouvernement de l'organisation continentale vient de prendre ses fonctions dans un climat déjà chargé de défis. Placée sous la présidence du Djiboutien Mahmoud Ali Youssouf, cette instance se trouve confrontée à de nombreuses attentes et à une lourde responsabilité : celle d'orienter le continent vers des solutions concrètes face aux crises environnementales, économiques et sécuritaires qui le menacent. Aux côtés du président djiboutien, l'Algérienne Selma Malika Haddadi occupe désormais le poste de vice-présidente, un choix qui suscite d'emblée la polémique. Si la joie de la délégation algérienne est manifeste, plusieurs observateurs estiment que cette nomination tient davantage d'un calcul politique que d'une véritable reconnaissance de compétences. L'Algérie, dont l'influence au sein de l'UA reste régulièrement contestée, s'empare ainsi d'une position clé qui pourrait aisément se transformer en levier géopolitique au détriment d'un consensus panafricain solide. Au-delà de la présidence et de la vice-présidence, la composition du bureau se révèle tout aussi disparate, suscitant déjà plusieurs interrogations sur la cohérence et la solidité de l'instance. La nouvelle Commission rassemble notamment le Nigérian Bankole Adeoye , commissaire aux Affaires politiques, de la paix et de la sécurité, l'Eswatinien Moses Vilakati, commissaire à l'Agriculture, au développement rural, à l'économie bleue et à l'environnement durable, la Sud-africaine Lerato Mataboge, commissaire à l'Infrastructure et à l'énergie et la Ghanéenne Amma Twum-Amoah, commissaire à la Santé, aux affaires humanitaires et au développement social. Lire aussi : La commission de l'Union africaine en passe de renouveler ses instances Si cette diversité géographique traduit la volonté d'assurer une représentation large du continent, elle ne garantit pas pour autant l'expertise et la crédibilité nécessaires à la mise en œuvre de réformes ambitieuses. De fait, certains profils suscitent déjà des réserves quant à leurs capacités à répondre efficacement aux défis majeurs qui attendent la Commission. Cependant, certains membres du bureau manquent encore de notoriété à l'échelle continentale et peinent à justifier d'un bilan solide dans leurs domaines respectifs. C'est notamment le cas de Moses Vilakati et de Lerato Mataboge, dont les réalisations passées demeurent peu connues. Cette relative absence de légitimité suscite des interrogations sur la capacité réelle de la Commission à adopter des réformes d'envergure pour répondre aux urgences économiques, sociales et environnementales qui pèsent sur les pays africains. La feuille de route de la Commission de l'UA est très attendue, avec une priorité accordée aux problématiques environnementales et économiques notamment la sécheresse et l'insécurité alimentaire. La Commission devra aussi se pencher très tôt sur les problèmes de santé publique, l'immigration et la vulnérabilité des infrastructures. Ajouter à cela des difficultés d'accès à des ressources financières durables pour le développement dans un continent où les Etats ont une forte dépendance envers les financements extérieurs. Si la Commission échoue à proposer des solutions audacieuses, le continent risquerait à nouveau de passer à côté d'un tournant décisif. Une présidence jugée fragile, une vice-présidence considérée comme politisée, ainsi qu'une répartition inégale des postes pourraient plonger l'institution dans l'inefficacité et les rivalités géopolitiques, plutôt que de l'ériger en moteur incontesté de l'intégration africaine et de la gestion des crises. Des conflits à résoudre en urgence Au-delà des enjeux socio-économiques, de nombreux conflits exigent une intervention énergique de la part de la nouvelle Commission. En République démocratique du Congo, l'implication du groupe rebelle M23, soutenu par le Rwanda, attise les tensions, tandis que l'Afrique du Sud menace d'intervenir militairement contre Kigali après la mort de Casques bleus sud-africains. Au Sahel, les attaques perpétrées par des groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda et à l'Etat islamique continuent de fragiliser le Mali, le Niger et le Burkina Faso, exacerbant la crise entre ces Etats et la CEDEAO. Le Soudan, quant à lui, peine à juguler les violences récurrentes au Darfour, entraînant un désastre humanitaire persistant. Les relations entre l'Ethiopie et la Somalie se sont également dégradées, nourries par des livraisons d'armes de puissances étrangères à Mogadiscio, faisant planer la menace d'un embrasement régional dans la Corne de l'Afrique. En Libye, les efforts de paix internationaux peinent à réconcilier les factions rivales, tandis qu'au Sahara et au Sahel, l'Algérie se retrouve en désaccord avec plusieurs voisins, notamment le Maroc au sujet du Sahara marocain, sans oublier la précarité de ses liens avec le Niger et la persistance de l'instabilité au Mali et en Libye. Face à l'ampleur de ces défis, la Commission de l'UA se voit placée devant une lourde responsabilité. Son succès dépendra de sa capacité à dépasser les rivalités internes et les logiques purement politiques pour proposer des solutions concrètes et efficaces. À défaut, l'Afrique risque de manquer une nouvelle occasion de prendre son destin en main et de progresser vers la paix, la stabilité et la prospérité. La composition actuelle et les équilibres fragiles au sommet ne laissent cependant pas d'inquiéter. L'heure doit être à l'action et non à la valse des intérêts particuliers. Le mandat de cette Commission sera donc scruté pour déterminer si l'UA demeure un acteur incontournable de l'intégration africaine ou s'il se cantonnera à n'être qu'une scène supplémentaire de luttes d'influence, au détriment de l'intérêt supérieur du continent.