Deux manifestations ont été séparément organisées, samedi à Tunis, par le mouvement Ennahdha (islamiste) et le Parti des Travailleurs (gauche). Pour éviter tout débordement entre manifestants venus défendre deux visions différentes de la Tunisie, la capitale a été barricadée dès les premières heures de la journée du samedi. Un imposant dispositif de sécurité a été déployé à Tunis pour la circonstance à l'effet d'éviter toute confrontation entre les partisans de partis politiques qui se partagent un grand désamour. Tous les accès au centre-ville ont été fermés et les personnes soigneusement filtrées et fouillées. Le Mouvement Ennahdha a appelé ses partisans et ses sympathisants à descendre dans la rue pour « défendre les institutions de l'Etat et stopper les appels à la dissolution du Parlement », alors que « le Parti des Travailleurs » a appelé la rue pour manifester contre « les rétrogrades destouriens et islamistes ». Le contexte dans lequel ces mouvements ont été organisés n'échappe à personne. La Tunisie vit une crise politique sans précédent entre les trois présidences (président de la république, président du gouvernement et président du parlement), des difficultés économiques et financières étouffantes, une tension sociale permanente et une crise de confiance. Le sondage, publié vendredi dernier par Emrhod Consulting, le prouve bien puisque 49% des sondés se disent « pessimistes » pour l'avenir de la Tunisie. L'autre indicateur se perçoit à travers la mise en garde, à peine voilée, lancée par le FMI qui envoie un message clair au gouvernement l'appelant à serrer la vis et maîtriser la masse salariale qui est parmi les plus élevées au monde. Manifestement, les deux appels lancés par les deux frères ennemis ont trouvé des fortunes diverses. Si Ennahdha est parvenue à mobiliser, selon certaines estimations, pas moins de 60 milles sympathisants, le parti de Hamma Hammami, qui a voulu jouer les troubles fêtes, n'est parvenu qu'à rassembler qu'une foule éparse de quelques centaines. Deux manifestations, deux objectifs antinomiques. « Ennahdha », cible d'attaques en règle et divisée, entend lancer un message clair : Mobiliser la rue pour marquer qu'elle reste la première force politique dans le pays. L'autre message, non moins important : apporter un soutien au chef du gouvernement Hichem Mechichi dans son bras de fer avec le président Kaïes Saïed et affirmer, également, qu'elle défend la légitimité et que le parlement, dont elle assure la présidence, est la source de toute légitimité. Le communiqué signé la veille par le président d'Ennahdha et du parlement Rached Ghannouchi est sans équivoque. Pour lui, « cette marche vient confirmer l'inhérence des Tunisiens à un Etat démocratique et ses institutions élues conformément à la Constitution de 2014 et attester de la solidarité entre les structures de l'Etat ». L'autre figure d'Ennahdha, Noureddine Bhiri, est allé plus loin en affirmant que « participer à la marche est un devoir national pour chaque Tunisien soucieux du présent et de l'avenir du pays ». Pour Hamma Hammami, secrétaire général du Parti des Travailleurs, organiser une manifestation en même temps que le Mouvement Ennahdha n'a pas été fixée par hasard, considérant que « la manifestation d'Ennahdha comme une provocation car ce parti a contribué de sa position de leader à détruire le pays et à l'amener à un état d'effondrement ». Comme on pouvait s'y attendre, les manifestants d'Ennahdha qui ont longé la grande avenue Mohammed V de la capitale, ne se sont fait pas prier, scandant lors de cette marche qu'ils ont baptisée « de la persévérance et la défense des institutions », l'impératif de préserver les institutions démocratiques élues, de s'opposer à toute velléité de porter atteinte au rôle imparti au parlement, ni à sa légitimité, de défendre la stabilité politique et l'unité nationale. Ils ont manifesté leur propension à faire front contre tout retour à la dictature, au révisionnisme et à défendre l'unité nationale, le dialogue, la réconciliation et le développement équitable. Fethi Ayadi, figure d'Ennahdha a appelé de tous ses vœux de trouver une solution concertée aux problèmes politiques, économiques et sociaux par le dialogue, le consensus national, non par la confrontation. Pour une autre figure du mouvement, cette marche ne s'agit point d'une démonstration de force, mais plutôt d'un appel à l'apaisement et à la résolution de la crise que traverse le pays, estimant qu'actuellement le pays a besoin de l'union de toutes les forces pour appuyer la légitimité du parlement, pousser à la création de la cour constitutionnelle qui devrait être la seule habilitée à l'impulsion d'un développement soutenu et partagé. Ghannouchi, qui a rejoint la fin de la marche, n'a pas laissé l'occasion filer appelant d'un ton sarcastique les leaders des partis de la gauche ainsi que les socio-démocrates au dialogue. Du haut de la tribune, érigé pour la circonstance, il n'a pas reculé à soutenir : « J'appelle (..) au dialogue », insistant sur le fait qu' »Ennahdha a reconnu tout le monde, communistes, nationalistes et tous les autres. Mais, plusieurs veulent nous exclure ». Le Président d'Ennahdha a tenu à affirmer que « le peuple veut le dialogue, rejette le chaos et le populisme et veut la démocratie ». Il est à noter que la manifestation du parti des travailleurs, n'a mobilisé qu'un nombre réduit de sympathisants et l'équilibre des forces a penché en cette journée en faveur du parti islamiste qui a mis le paquet et les moyens pour marquer son grand retour sur la scène politique. En dépit de ce désaveu, le secrétaire général du parti des travailleurs a tenu à affirmer que son parti ainsi que l'union des forces de la jeunesse sont déterminés afin de permettre aux Tunisiens un autre son de cloche que celui d'Ennahdha, qui selon ses dires « a détruit avec ses alliés le pays pendant plus de dix ans ». Et d'ajouter que cette manifestation intervient « pour appeler toutes les composantes de la société tunisienne à s'organiser pour mettre un terme au règne d'un système politique corrompu ». Hormis quelques escarmouches et quelques actes de provocation, les deux manifestations n'ont pas connu de débordements significatifs ni d'actes de violence ou de pillage.