Assailli de critiques pour sa gestion de la crise du Covid-19 aux répercussions sévères aux plans humain et économique, et pour le traitement réservé aux tensions sociales sur fond de haine raciale, le président américain Donald Trump semblait affaibli dans son duel pour un second mandat face à son rival démocrate, Joe Biden. A cinq semaines du scrutin, la perspective de nommer un candidat à la succession de la défunte juge de la Cour Suprême, Ruth Bader Ginsburg, se présente comme une « surprise d'octobre » qui, à défaut cette fois de bouleverser in-extremis le cours du scrutin, offre au candidat républicain l'occasion de galvaniser sa base et cimenter une majorité conservatrice au sein de la haute instance judiciaire. Mieux encore, modifier le visage de l'Amérique pour des décennies à venir. La bataille politique acharnée sur ce dossier est à la mesure de ses enjeux. Soutenu par une majorité républicaine au Sénat, en bloc derrière lui, Trump est déterminé à ne pas laisser passer la chance de nommer un nouveau magistrat conservateur et modifier l'équilibre au sein de ce temple du droit américain appelé à rendre des avis sur des dossiers hautement sensibles et controversés, dont le vote par correspondance rendu indispensable par la pandémie, ce qui risque d'exacerber encore davantage la polarisation de la classe politique et de la société en général. Durant son mandat, Donald Trump a déjà nommé deux juges conservateurs: Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh. Cette fois, il a promis que ça sera une femme. L'enjeu est de taille au vu de l'importance des attributions de la Cour suprême dont les neuf membres, nommés à vie, statuent sur des dossiers majeurs liés aux droits sociaux, civiques et politiques comme l'avortement, la peine de mort, l'immigration, le port d'armes ou encore l'assurance santé et le découpage électoral. Avec un nouveau membre conservateur, la plus haute juridiction des Etats-Unis basculera nettement à droite avec 6 juges contre 3. « La mort de la juge de la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg a secoué la campagne de Trump, offrant au président un nouveau message à saisir dans les dernières semaines de sa course pour la réélection », écrit le quotidien « The Hill ». Pendant des mois, les Américains focalisaient toute leur attention en effet sur la gestion de la pandémie de coronavirus, qui a tué jusqu'à présent 200.000 personnes et entraîné une forte récession et un chômage historique. Avec les vastes manifestations sociales parfois violentes, les incendies d'envergure dans l'ouest du pays et les tempêtes violentes, le bilan de Trump était sous les projecteurs. L'occasion de remplacer la juge de la Cour suprême s'annonce comme une aubaine pour le candidat républicain. « Les élections présidentielles du 21ème siècle nous ont appris à nous s'attendre à tout. Pourtant, alors que la course actuelle se dirige vers la dernière ligne droite après la fête du Travail, certains fondamentaux sont devenus clairs. Lorsqu'un président sortant se présente pour une réélection, sa part des votes populaires tend à refléter sa côte d'approbation », écrit Ezra Zilkha, président et Senior Fellow du département Etudes de gouvernance au sein de l'institut Brookings de Washington. Il a ajouté que l'élection de 2020 s'annonce comme un référendum sur la performance de Donald Trump en tant que président. « Malgré les efforts vigoureux du président pour braquer les projecteurs sur Joe Biden, il reste au centre de l'attention des électeurs. Si 2020 devient un référendum sur la gestion par le président Trump de la pandémie de COVID-19, il perdra – lourdement », estime l'analyste. Face aux critiques des démocrates qui contestent le timing de la nomination du successeur de la juge Ginsburg, une des grandes icônes libérales, à la veille d'une élection, les républicains soutiennent que la Constitution donne au Président le pouvoir de proposer des candidatures et au Sénat le pouvoir de donner des conseils et son consentement aux candidats à la Cour suprême. « Lorsque le président Trump nommera son candidat cette semaine, il se joindra à 22 anciens présidents ayant annoncé une nomination pendant une année électorale. La Constitution confère au Sénat le pouvoir de confirmer les candidats à la Cour suprême, et ils devraient fonder leur détermination sur l'aptitude du candidat plutôt que de se soustraire de leur autorité constitutionnelle », écrit, de son côté, Kay C. James, présidente du think tank conservateur « The Heritage Foundation ». Elle ajouté qu'il y a urgence d'accélérer le processus de nomination, car la Cour a déjà une multitude de dossiers importants à trancher lors de son prochain mandat. « Et ce ne sont que ceux que nous connaissons aujourd'hui. Il y a de nombreuses raisons de craindre que nous nous retrouvions dans un autre scénario Bush contre Gore, où la plus haute cour du pays doit trancher les décisions concernant la prochaine élection présidentielle », soutient-elle en référence à l'élection de 2000 qui a vu la Cour suprême intervenir, sur fond de polémique juridico-politique, pour donner la victoire à George W Bush face au démocrate Al Gore. Une épreuve similaire reste probable, selon les analystes, tellement Trump multiplie les accusations contre ses adversaires de vouloir recourir à la fraude électorale en encourageant le vote par correspondance. Il laisse aussi planer le doute sur l'acceptation de l'issue d'une élection dont il ne sortira pas gagnant. Face à un tel scénario, la place centrale de la Cour suprême dans la démocratie américaine ne sera que plus importante.