Aussi étonnant que cela puisse paraître à première vue, la République Dominicaine, un pays perdu au milieu de la mer des Caraïbes, abrite une petite communauté marocaine, composée majoritairement d'hommes d'affaires, de négociants et d'ingénieurs travaillant pour des compagnies françaises. - Par Rachid Mamouni - Les plus jeunes de la communauté, arrivés il y a deux ans, taquinent le plus ancien d'entre eux, établi en République Dominicaine depuis 28 ans, l'appelant affectueusement "El Padrino"(le Parrain). Mustapha Bouyabrine, ingénieur en programmation, est arrivé pour la première fois en République Dominicaine en 1982. Il est considéré unanimement par ses compatriotes comme le "vétéran" de la communauté. Il a accompagné dans ce pays exotique des Caraïbes sa femme dominicaine, rencontrée en Belgique quatre ans plus tôt alors qu'ils venaient d'entamer tous les deux des études universitaires à Louvain. A bien des égards, son parcours singulier est digne d'une véritable histoire de pionnier. "Quand je suis arrivé pour la première fois à Saint-Domingue, nous étions en tout et pour tout, une soixantaine d'étrangers dans toute la ville", majoritairement des Américains, des Espagnols et des Français. Son diplôme d'ingénieur en poche, Mustapha estime avoir eu la chance de ne pas connaître la galère des premiers emplois, puisqu'il a immédiatement trouvé un travail d'analyste-programmeur dans une entreprise locale, avant d'être embauché par la Compagnie dominicaine d'électricité (CDE). A la faveur d'un effort personnel soutenu, étaient venus ensuite des temps meilleurs pour Mustapha, qui a créé avec un associé dominicain sa première compagnie d'informatique en 1989 (Compusis), arrivant à superviser jusqu'à 24 techniciens dominicains. Au fil des années, l'explosion informatique faisant que la concurrence est devenue plus rude dans ce créneau, Mustapha s'est lancé, en 1996 en association avec un autre marocain, dans le négoce des matériaux de construction, en tirant profit du "boom'' immobilier dans le pays. Trois ans plus tard, cet originaire de Mohammedia ouvre en parallèle un commerce prospère d'artisanat importé du Maroc et de plusieurs pays asiatiques auquel il a donné le nom de "La Kasbah". Alignant les succès, Mustapha est devenu un homme d'affaires prospère qui se dit fier d'avoir pu aider plusieurs autres compatriotes aventuriers, dont certains étaient venus "par erreur'' en République Dominicaine avant de s'envoler vers d'autres cieux, se rappelle-t-il. Intarissable sur les opportunités d'affaires qu'offre ce pays dans tous les domaines, Mustapha concocte actuellement un projet d'un complexe commercial dans le centre de Saint Domingue pour abriter les grandes marques internationales. Il dit, non sans fierté, que sa fille unique Aicha, qui poursuit des études en gestion des entreprises à Barcelone (nord-est d'Espagne), va reprendre le témoin de ses affaires prochainement. L'ex-associé marocain de Mustapha est Driss Mazid. C'est un casablancais pure souche qui a la cinquantaine bien sonnée mais semble faire beaucoup moins. Il est le deuxième marocain qui a atterri en République Dominicaine en 1983. Driss, titulaire d'un diplôme d'ingénieur en électromécanique décroché en Italie, affirme être venu dans ce pays "pour un contrat d'un an seulement'' avec une société italienne. Dès les premiers mois de son séjour, il rencontra celle qui allait devenir son épouse et mère de ses quatre enfants et décide d'y rester. "Comme quoi, les voies insondables du cœur peuvent vous conduire parfois jusqu'en République Dominicaine", semble-t-il dire. Représentant d'une société italienne dans le négoce du PVC (Polychlorure de vinyle) pendant huit ans, Driss décida de voler de ses propres ailes et s'associa à partir de 1992 avec un dominicain dans la même filière. Après un intermède d'association avec son compatriote marocain Mustapha, Driss crée sa propre société (Decosystem) en 2009, spécialisée dans la décoration, import-export avec la Jamaïque et Cuba et du coup, son habileté dans les affaires aidant, il devient représentant exclusif pour les Caraïbes d'une société italienne de fabrication de matériaux en PVC. En dépit de ses succès en affaires, la plus grande fierté de Driss réside dans ses deux enfants qui préparent des diplômes supérieurs en France pour prendre plus tard la tête de la société familiale. Quant à ses relations sociales avec les Dominicains, Driss reconnaît que son "intégration à 100 PC dans le pays'' s'était faite de manière fluide. Bien qu'au départ il ne parlait pas un traitre mot d'espagnol, Driss (dont le téléphone n'arrête pas de sonner) manie actuellement cette langue avec une touche caribéenne bien marquée. Les deux pionniers marocains en République Dominicaine s'accordent sur la "perception positive'' dont ils ont bénéficié et continuent de le faire au sein de la société dominicaine. Arrivés bien des années plus tard, les ingénieurs en télécommunications Abdeslam Afaïlal et Omar Dahani travaillent respectivement pour les compagnies françaises Alcatel et Orange. Fils d'un diplomate né en Espagne, Abdeslam (35 ans) est un globe-trotter invétéré. Après avoir vécu en Argentine, il décroche son bac au Maroc et un diplôme d'ingénieur à l'Université Al-Akhawayne d'Ifrane. Après un bref passage chez le suédois Ericsson, il atterrit à Cuba pour le compte d'Alcatel-France et passe trois ans à La Havane, avant d'être muté à Tegucigalpa au Honduras et puis en Australie. Abdeslam est actuellement le responsable de l'équipementier des télécoms et réseaux Alcatel-Lucent en République Dominicaine, Haïti et Jamaïque où, selon ses propres termes, il joue "le pompier" auprès des compagnies de téléphonie locales pour réparer des pannes sur les réseaux. Pour lui, le secteur télécom dans la région offre des perspectives d'évolution professionnelle intéressantes et une qualité de vie bien supérieure à celle de n'importe quel pays européen. Espiègle à l'allure d'un jeune eternel, Abdesslam, qui fait partie de la poignée d'ingénieurs marocains en télécommunications (dont au moins deux autres travaillent pour l'opérateur français Orange), juge lui aussi "positive'' la perception des Dominicains à l'égard des marocains, une impression qui a été renforcée davantage après l'ouverture il y a un an d'une ambassade du Royaume à Saint Domingue. Pour lui, l'installation de la représentation diplomatique a joué "un rôle clé" pour rassembler et faire connaître entre eux les membres de la petite communauté marocaine. Hamid Hajjami est un autre marocain établi depuis 1996 en République Dominicaine. Informaticien de formation, Il dirige depuis 2003 deux petites entreprises de maintenance informatique et de distribution de produits de restauration. Marié à une dominicaine et père de trois enfants, Hamid se distingue par son implication directe dans la gestion de l'unique mosquée de Saint-Domingue avec des fidèles en provenance de Pakistan. En somme, la présence de cette petite communauté marocaine en République Dominicaine est un brin singulière en raison de l'épanouissement professionnel de ses membres dans un pays et une culture aussi lointains et leur idée largement partagée de vivre presque un rêve dans cette contrée des Caraïbes.