Le piratage est le pire ennemi que peut avoir le cinéma marocain d'aujourd'hui, a souligné, lundi à Tétouan, M. Serge Toubiana, critique de cinéma et actuel directeur de la Cinémathèque française. "Le piratage et le téléchargement illégal empêchent d'assoir les bases d'une industrie cinématographique, en démotivant les réalisateurs et en privant les jeunes cinéastes de l'appui dont ils ont besoin", a précisé M. Toubina lors d'un colloque tenu dans le cadre activités du 16è festival de Tétouan. Au Maroc, comme ailleurs dans le monde, ce "fléau" tue la cinéphilie, a-t-il martelé insistant sur la nécessité de réhabiliter les salles obscures, qui constituent "le cadre naturel où doit se développer le 7è art". Le spectacle collectif, l'engouement et le plaisir d'aller au cinéma, sont autant d'ingrédients qui donnent son sens à la cinéphilie. Une passion d'abord faite d'émotion et spectacle, introuvables et incompatibles avec les DVD ou la vidéo, a-t-il relevé.
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L'avènement de la vidéo dans les années soixante-dix du siècle passé, puis l'apparition des DVD ont eu un impact certain sur la manière dont se fait la critique du 7è art, a relevé M. Toubiana. "La vidéo a manifestement modifié l'écriture critique", a-t-il dit, ajoutant que désormais le critique peut "s'approprier l'oeuvre" qu'il va commenter et analyser. Le fait de pouvoir revoir les films à tout moment, et même voir et revoir une seule scène très facilement a fait que "le cinéma est devenu un véritable objet d'études", a-t-il dit. Certes, cela pourrait faciliter la tâche mais il écarte un aspect très essentiel dans la fonction critique qu'est le fait "d'écrire d'après le souvenir". Autrefois, quand il regardait le film une seule fois avant d'écrire son billet le lendemain, le critique pouvait faire son travail sous le coup de l'émotion, ce qui lui conférait un goût spécial, contrairement à un critique travail d'art fait à froid. M. Toubiana a également insisté que le rôle du critique n'est pas seulement de juger et départager les oeuvres, car il est également question d'agir pour sauvegarder la mémoire du 7è art, notamment en rééditant les bons vieux films et en organisant des rencontres de nature à initier les jeunes à la cinéphilie." "Sans critique, les films sont orphelins et oubliés", a-t-il affirmé, ajoutant "qu'il faut se battre pour avoir des cinémathèques et convaincre la puissance publique de s'impliquer dans ces efforts "ce qui est aujourd'hui faisable au Maroc". Revenant sur son expérience en France, notamment avec Les Cahiers du cinéma, M. Toubiana, a d'abord souligné que la fonction critique est avant tout esthétique et ne doit pas céder aux velléités idéologiques. "Un film, n'est pas un tract et encore moins un discours politique, car le cinéma c'est d'abord le spectacle", estime-t-il. Né le 15 août 1946 en Tunisie, Serge Toubiana a été le rédacteur en chef de la revue Les Cahiers du cinéma aux côtés de Serge Daney de 1973 à 1979. Il a repris la revue à la fin des années 1980 en la rénovant et en lui donnant une nouvelle ligne éditoriale davantage axée sur le cinéma que sur la politique (les années 1970). Il a également donné à la revue une nouvelle présentation et un nouveau format. M. Toubiana est aujourd'hui directeur de la Cinémathèque française, un poste qu'il occupe depuis sept ans.