Le terme de « cinémathèque » fut à coup sûr copié sur celui déjà existant de « bibliothèque » et tous les deux impliquent l'idée de stockage, des films pour le premier, et des livres pour le second. Et la première idée d'une cinémathèque avait été émise dès le début du siècle dernier par un des opérateurs Lumière après que ces derniers eurent cumulé un certain nombre de films. Ce dernier suggéra un « dépôt » du cinématographique historique. Si l'idée était simple, sa mise en œuvre, elle le fut beaucoup moins, et l'on peut s'expliquer pourquoi : matière copiable, montable, démontable, le film n'a longtemps pas été considéré comme un objet à traiter avec soin et respect. On exploitait la pellicule jusqu'à l'usure et on n'attribuait pas de prestige particulier à son support matériel. D'ailleurs, comme le rappelle l'historien et critique français Raymond Borde : « La bobine de film n'est pas considérée comme un monument. Elle n'est que le support matériel, le prolongement accidentel et l'incarnation transitoire d'un droit immatériel d'exploitation, de location et de vente qui appartient à un personnage tout puissant : l'ayant droit qui dispose d'un pouvoir absolu sur le matériel ». La nécessité de conserver et même de sauver les films n'apparut aux amoureux du cinéma d'une matière aigue qu'à partir du pesage en parlant. Des milliers de films muets dont l'ayant droit n'attendait plus de bénéficier et qui ne représentaient plus qu'un encombrement dans des entrepôts, furent jetés, abandonnés, vendus à des forains, ou refondu pour être récupérés. Peu à peu, des cinémathèques se créèrent, souvent avec l'indifférence ou l'ironie des milieux culturels, et contre l'opposition de la plupart des producteurs qui craignant non sans raison le piratage, résistèrent souvent de toutes leurs forces à l'idée d'un dépôt. Même beaucoup de spécialistes trouvaient dérisoire la conservation des films. Contre ces voix s'en élevèrent d'autres dont la plus célèbre fut celle de Henri Langlois. Certes, la cinémathèque que celui-ci fonda en 1935 à partir de presque rien avec Georges Franju, Jean Mitry et Paul Augusgte Harle, n'avait pas été la première. A Stockholm en 1933, dans le Berlin du Reich peu après, puis dans plusieurs villes d'Europe et d'Amérique, l'exemple avait déjà été donné. Mais Langlois, dont les méthodes et la politique ont été beaucoup discutées n'a pas seulement sauvé de très nombreux films, il a donné à la conservation des films quelque chose d'inestimable : une dimension créatrice et poétique. Grâce à lui, sauver des films n'était pas seulement une entreprise morte, et la salle de projection de la cinémathèque française fut, selon de vœu de cet homme extrêmement fin et curieux de nouveauté, un lieu de formation et de sensibilisation extraordinaire pour un grand nombre de créateurs qui allaient constituer le jeune cinéma. Elle a profité également à la première génération de cinéastes marocain élèves de l'IDHEC, et qui retrouvaient habituellement leur chemin vers cinémathèque en vue d'amplifier leur culture en matière de cinéma. Les vieux films que programmaient Langlos fournissaient des modèles et des contre-exemples à la fronde que menaient « les jeunes turcs » du cinéma contre l'académisme installé partout. De cette collusion, paradoxale en apparence, entre un « conservateur » de pellicule et les jeunes créateurs, témoigne l'étonnante affaire Langlos qui fut l'un des détonateurs de mai 68, lorsqu'on vit une bonne partie des auteurs du cinéma mondial se mobiliser contre le ministre de la culture Andre Malraux qui a voulu faire évincer le fondateur et directeur de la cinémathèque française. Ce fut ne fut pas une chose aussi simple que le croyait Malraux.