Historique et mémorable, tels sont les adjectifs qualifiant la poignée de main entre le résistant Assou Oubslam et le général Huré. Ce face-à-face qui eut lieu le 25 mars 1933 à Ikniouen (80 km de Tinghir) suivit la bataille de Boughafer que se sont livrée les Aït Atta et l'armée française forte de plus de 80 mille soldats. Par Mustapha Elouizi Grâce à sa sagesse et son intelligence politique instinctive, l'Amghar comprit que la négociation que demandait Huré, avait le goût d'une victoire. Le capitaine Henri de Bournazel étant blessé puis abattu, l'Etat Major français ne pouvait plus se permettre de s'embourber dans une aventure imprévisible. Entouré des siens, le héros du Saghru tenait encore son fusil artisanal dans sa main gauche. Son regard vif dénotait une force de caractère. Dans la pure tradition des grands guerriers, Oubslam qui ne courba pas l'échine, resta le dos bien droit. Le général Huré, lui, exécuta un salut militaire digne des grandes personnalités, avant de tendre sa main à son ennemi juré. Outre l'analyse sémiotique de la photo historique montrant les deux hommes, l'historien français Henri Bordeaux avait qualifié Assou Oubslam d'"homme au beau visage grave, au corps maigre et musclé, impassible et indifférent d'apparence, mais fier et plein de dignité, et qui imposait la confiance." David Hart, lui, évoquera sa personnalité dans un condensé phrastique lourd de sens: "ce très remarquable homme". Redescendu du Saghru où il était entré en dissidence quarante jours auparavant, il n'était jamais aussi libre et fier de son appartenance. Assou Oubslam, de son vrai nom Issa Ou Ali N'Aït Baslam, dirigea ses troupes de manière charismatique. A quarante ans environ, l'homme faisait déjà l'unanimité. Assou Oubslam qui rappela aux stratèges coloniaux français la bravoure inégale d'un Abdelkerim El Khattabi, et sa célèbre bataille d'Anoual onze ans auparavant, voulait épargner un carnage aux siens. Pas question de donner l'occasion aux 44 avions de guerre et à la lourde artillerie de commettre le pire. Les salons français, eux, parlaient d'un échec. Dans leurs cahiers intimes, les officiers français, comme les historiens, avouaient la dureté des guerriers d'Aït Atta. Depuis le Saghru, mont dans lequel ils s'étaient retranchés, ils étaient en train d'écrire une page indélébile de l'histoire d'un Maroc libre. L'histoire gardera aussi le rôle des femmes dans cette bataille. Le médecin Major Vial racontera comment les femmes amazighes "veillaient à orienter les guerriers égarés, à soigner les blessés et à marquer les déserteurs". Leur courage les a même poussées à refuser en pleurs d'arrêter la bataille et d'appeler Oubslam à poursuivre les combats. Sur le terrain, le manque d'effectifs et de matériel fut intelligemment remplacé par un sens de l'organisation et une parfaite mise à profit des données géographiques. Le tout est bien évidemment mêlé à un patriotisme intact. Plus l'étau se resserrait autour des résistants, plus leur courage s'accentuait. Rares ceux qui surent à l'époque que la bataille de Boughafer eut une influence sur la stratégie coloniale dans son ensemble. A elle seule, la mort de Bournazel disait tout. Celui qui prenait toujours sa position au devant des troupes, allait être l'objet d'un "baroud d'honneur" du haut d'une grotte. Envoûté des récents triomphes au Tafilalt, ce capitaine français de 36 ans, dit le "Diable rouge", allusion faite à sa tunique rouge habituelle, avait certainement raté, lors de sa formation, la consigne de mise à profit de la géographie, mais aussi de ne pas sous-estimer l'ennemi à cause juste. Trente ans plus tard environ, les américains commettront la même erreur. Imprévisible, le bilan global de la bataille fut surprenant. Avec toute l'armada des Français, les pertes parmi les combattants étaient de l'ordre de 1300 personnes dont beaucoup de femmes et d'enfants, alors que l'ennemi avait perdu 3500 militaires dont 10 officiers. Conforté par les écrits des généraux et officiers français ayant assisté à cette bataille, et fort d'un hommage que lui a rendu feu SM Mohammed V, après l'indépendance du pays, Assou Oubslam entra dans les annales de l'histoire marocaine contemporaine.