Le gouvernement éthiopien est en train de mener une "attaque coordonnée et intensive contre les opposants politiques, les journalistes et les défenseurs des droits humains à l'approche des élections de mai 2010", a indiqué l'ONG américaine Human Rights Watch (HRW) dans un rapport publié mercredi. Par Hicham EL ALAOUI Selon ce document intitulé "Cent façons de faire pression: les violations de la liberté d'expression et d'association en Ethiopie", le Front démocratique populaire révolutionnaire de l'Ethiopie (EPRDF au pouvoir) a depuis les élections de 2005, "utilisé son contrôle quasi-total sur les administrations locales et les districts pour restreindre les moyens financiers des opposants en bloquant leur accès à des services tels que les subventions agricoles, le microcrédit et les opportunités d'emploi". Le rapport décrit également la manière dont diverses lois récemment entrées en vigueur restreignent gravement les activités de la société civile et des médias. "Exprimer son désaccord avec le gouvernement est un acte très dangereux en Ethiopie", a déclaré Mme Georgette Gagnon, directrice de la division Afrique de HRW. "Le parti au pouvoir, a-t-elle ajouté, est en train de fusionner avec l'Etat même, et le gouvernement utilise tout son pouvoir pour éliminer l'opposition et contraindre les gens au silence par l'intimidation". La répression du gouvernement a poussé de nombreux activistes de la société civile et journalistes à fuir le pays au cours des derniers mois. Le principal journal indépendant a cessé de paraître en décembre 2009 et le gouvernement a brouillé les émissions de la radio Voice of America (VOA) le mois dernier. Les Ethiopiens ne peuvent ni s'exprimer librement, ni organiser des activités politiques, ni contester les politiques de leur gouvernement - que ce soit en participant à des manifestations pacifiques, en votant, ou en publiant leurs opinions - sans craindre des représailles, a fait remarquer le rapport de HRW. L'Ethiopie est fortement dépendante de l'aide internationale, qui s'élève à environ un tiers de l'ensemble des dépenses du gouvernement. Les principaux bailleurs de fonds étrangers (la Banque Mondiale, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Union européenne) se sont montrés très timides dans leurs critiques vis-à-vis de la détérioration de la situation des droits humains en Ethiopie, selon Human Rights Watch. Au cours de 15 semaines de recherches en Ethiopie, HRW a interrogé pour ce rapport plus de 200 personnes, parmi lesquelles des paysans, des enseignants, des fonctionnaires, des activistes, des représentants de l'opposition et du gouvernement, ainsi que des diplomates étrangers et des représentants d'organisations internationales d'aide au développement. Ces entretiens ont eu lieu dans la capitale, Addis-Abeba, et dans trois autres régions. Depuis les élections locales d'avril 2008 qui ont abouti à la victoire de l'EPRDF avec 99,9 pc des voix, le parti au pouvoir a consolidé son contrôle sur les administrations dans les villages et districts, et dirigé le pays d'une main de fer. L'ONG estime également que l'emprisonnement de figures de l'opposition, à l'image de Birtukan Mideksa depuis décembre 2008, constitue la partie visible d'un travail de sape de l'opposition par le parti au pouvoir. Celui-ci se joue dans l'Ethiopie rurale, qui concentre 85 pc de la population. Nombre de témoins interrogés par HRW ont expliqué que l'obtention de semences, d'engrais ainsi que l'accès à la santé ou aux programmes de travail contre nourriture, sont conditionnés dans les campagnes à l'adhésion au parti au pouvoir. "On dit aux gens que s'ils ne votent pas pour l'EPRDF, alors, pas d'engrais, pas d'hôpital", affirme HRW, citant un responsable de l'opposition. Devant la percée de l'opposition en 2005, le parti au pouvoir a, selon HRW, renforcé son assise dans le pays à la faveur des élections locales de 2008 et d'une vaste campagne de recrutement, passant "de 760.000 membres en 2005 à plus de quatre millions, trois ans plus tard". Human Rights Watch appelle le gouvernement éthiopien à prendre des mesures urgentes pour améliorer le contexte électoral en libérant immédiatement tous les prisonniers politiques, y compris Midekssa. Elle appelle également le gouvernement à donner l'ordre officiel à tous ses représentants et aux membres de l'EPRDF de mettre fin aux attaques et aux menaces contre les membres de l'opposition politique, la société civile et les médias et d'autoriser des efforts indépendants, y compris de la part d'observateurs électoraux internationaux, pour enquêter et rendre publics ces abus. HRW exhorte tous les observateurs internationaux à prendre en compte la répression pré-électorale dans leur évaluation du caractère libre et équitable du scrutin. "Les alliés étrangers de l'Ethiopie devraient rompre leur silence et condamner le climat de peur qui règne dans le pays", a insisté Mme Georgette Gagnon. "Les bailleurs de fonds devraient utiliser leurs moyens de pression financiers, qui sont considérables, pour exiger la fin du harcèlement de l'opposition et des lois qui oppriment les activistes et les médias", a-t-elle soutenu. Les élections générales en Ethiopie auront lieu le 23 mai et la proclamation des résultats est prévue le 21 juin prochain. Le budget consacré à ces élections, les quatrièmes du genre depuis la chute du régime socialiste, s'élève à 12 millions de dollars.