Plus de 30 pc des médicaments commercialisés en Afrique, particulièrement dans les pays subsahariens, sont des produits contrefaits, ont annoncé des responsables sécuritaires africains réunis courant cette semaine à Lomé (Togo) pour diagnostiquer ce nouveau maux de la santé africaine. Par Driss Hidass Lors de cette rencontre, initiée par Interpol au profit des représentants des autorités policières de plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest, des rapports rendus publics révèlent que le trafic de faux médicaments, qui constitue une véritable menace à la santé publique, s'est érigé en activité criminelle organisée avec des moyens et une logistique qui rivalisent avec celles des cartels de drogue. "La criminalité pharmaceutique a atteint des niveaux très inquiétants. Les réseaux criminels sont très structurés et rivalisent avec les trafiquants de drogue et d'armes", a souligné le colonel Gnama Latta, ministre togolais de la Sécurité. "C'est un scandale moral et un défi pour les acteurs du développement", s'est -t-il indigné, appelant à renforcer la coopération entre les services compétents des pays d'Afrique de l'Ouest pour faire face à ce fléau transfrontalier. De parfaites imitations, de vrais placebo Les produits contrefaits, qui inondent les marchés informels d'Afrique et trouvent même leur place sur les rayons des pharmacies, sont reproduits à l'identique aux originaux en ce qui concerne l'emballage et les logos. Seul le contenu diffère avec des comprimés, pour la plupart, inopérants et dépourvus d'agents actifs comme les placebos où à dosages dangereux pour la santé. S'ils ne sont pas leurrés par de parfaites imitations mises en vente dans les pharmacies, les clients, souvent à faible pouvoir d'achat, se ruent sur ces produits dans les marchés populaires où ils sont souvent étalés à même le sol sans conditionnement adéquat, ce qui augmente leur nocivité pour la santé. Certains chiffres révélés lors de cette rencontre attestent de l'ampleur du phénomène. En novembre dernier, 22 tonnes de produits pharmaceutiques contrefais avaient été saisis et détruits par les douanes togolaises. Les produits contrefaits couvent une large gamme de médicaments, dont certains peuvent être fatales au patient, comme les antipaludiques et des traitements pour maladies chroniques. Marchands ambulants improvisés pharmaciens D'autre part, la vente illicite des médicaments par des personnes non autorisées sur les marchés informels constitue la grande porte d'accès des faux médicaments. Sur les marchés populaires en Afrique de l'Ouest, que ce soit dans les grandes capitales ou les petits patelins, des marchands ambulants improvisés en pharmaciens font partie du décor et n'hésitent pas à proposer leurs remèdes à bas prix pour des patients indigents et aux ressources limitées. A l'occasion de la tenue, la semaine dernière à Dakar, de la 12eme édition du forum pharmaceutique international (FPI), les professionnels africains de la pharmacie se sont penchés avec inquiétude sur ce dangereux phénomène qui tend à se banaliser. Intervenant à ce sujet, le premier ministre sénégalais Souleymane Ndéné Ndiaye a affirmé la volonté de son gouvernement à renforcer sa lutte contre la vente illicite de médicaments dans la rue par des personnes non qualifiées et non autorisées. Pour enrayer la propagation des médicaments contrefaits qui tend à s'installer en réseaux criminels organisés dans la région d'Afrique de l'Ouest, le chef du gouvernement sénégalais a vivement plaidé la nécessité de créer une inspection africaine des médicaments pour pouvoir assurer leur traçabilité et contrôler les circuits de distribution afin d'obstruer les failles par lesquelles passe le faux médicament. Des dizaines de milliers de victimes Lors d'une récente rencontre internationale à Cotonou (Bénin) sur le phénomène des faux médicaments, des statistiques alarmantes de l'OMS ont été communiquées au sujet des ravages occasionnés par ces produits dangereux dont les victimes se comptent par dizaines de milliers. Quelques 200.000 personnes meurent chaque année, dont plus de 100.000 en Afrique, à cause des faux médicaments utilisés dans le traitement du paludisme, avait affirmé à cette occasion l'ancien président français Jacques Chirac qui s'active dans le cadre de la "Fondation Chirac" contre ce phénomène. Un médicament sur 4 est faux dans les pays en développement, et des dizaines de milliers de décès auraient pu être évités si les médicaments prescrits contre plusieurs maladies étaient conformes à la réglementation et capables de traiter réellement les pathologies, avait-t-il dit en se référant aux données de l'OMS. "De toutes les inégalités, la plus blessante est l'inégalité devant la santé", avait déclaré Jacques Chirac en lançant son "appel de Cotonou" devant un parterre de présidents africains (Bénin, Togo, Sénégal, Burkina Faso, CongoBrazzaville, Niger, Centrafrique) réunis pour coordonner leurs efforts pour tenter d'enrayer le trafic de faux médicaments. Des législations peu dissuasives Les différents intervenants impliqués dans cette "croisade" contre le faux médicament sont unanimes à estimer que les actuelles législations dans les pays d'Afrique subsaharienne ne sont pas de nature à dissuader les trafiquants d'une activité illicite et très lucrative. Au Sénégal, les sanctions légales prévues par les textes actuels se limitent à des peines de deux à six mois de prison avec sursis assortie d'une amende de 15.000 à 30.000 Fcfa (1euro, environ 654 Fcfa). Les législations de différents pays d'Afrique de l'Ouest, généralement inspirées d'anciens textes de lois français, ne sont pas en mesure de freiner l'ardeur des trafiquants du faux médicaments, qui représente selon l'OMS 10 pc de la production pharmaceutique mondiale et un marché estimé à des dizaines de milliards d'euros.