L'ambassadeur déléguée permanente du Maroc auprès de l'Unesco, Mme Aziza Bennani, a rendu un vibrant hommage, vendredi à Paris, à l'islamologue et humaniste Mohammed Arkoun, décédé le 14 septembre dernier à Paris. Lors d'une rencontre à la mémoire du défunt à l'occasion de la remise du 9è Prix Unesco-Sharjah pour la culture arabe, dont feu Mohammed Arkoun fut le président du Jury international, Mme Bennani a mis en avant les qualités humaines et intellectuelles de ce grand penseur, né en Algérie, et qui a choisi le Maroc comme pays d'adoption et terre d'inhumation. Selon la diplomate, le Pr. Arkoun était "animé en permanence de l'inquiétude de comprendre, d'innover et de sonder les voies et les solutions appropriées pour la renaissance du monde arabo-musulman". Il n'a pas cessé de plaider pour "un Islam repensé dans le monde contemporain et d'exprimer l'urgence pour les sociétés arabo-musulmanes d'oeuvrer, comme elles l'avaient fait entre le 7e et le 13e siècles, en vue de produire une pensée moderne, sur la base d'une rationalité critique et d'un humanisme débarrassé de toute pesanteur", a-t-elle souligné. Outre "un attachement sans faille aux idéaux de tolérance, de modération et de dialogue entre les religions et les civilisations, le défunt n'a eu de cesse de s'ériger contre les conflits qui se nourrissent de l'ignorance", a-t-elle souligné, en reprenant les termes du message de condoléance adressé par SM le Roi Mohammed VI à la famille de feu Arkoun. Le Souverain avait également salué en sa mémoire "l'une des grandes figures de la pensée moderne, à l'échelle arabe, islamique et mondiale" dont le souvenir "restera à jamais gravé dans la mémoire de tous ceux et celles qui ont puisé dans l'oeuvre riche et abondante que le défunt laisse derrière lui, une oeuvre frappée du sceau de la rationalité et adossée aux sciences humaines modernes qu'il a su employer dans une méticuleuse analyse de la pensée islamique", a-t-elle ajouté. Evoquant les qualités humaines du grand disparu, Mme Bennani a salué un homme "à la pensée libre", à "l'imagination créative" et à "l'humanisme profond". Feu Arkoun était, selon elle, "profondément maghrébin, fidèle à ses racines et ouvert à la modernité". Des "sentiments d'affection et d'estime le liaient au Maroc, son pays d'adoption, où depuis les années 90 il passait, loin de la turbulence de la vie parisienne, ses vacances, durant lesquelles il se ressourçait, écrivait, participait à des forums et maintenait des contacts étroits avec les universitaires", a-t-elle rappelé. Mme Bennani a ajouté que le défunt penseur était porteur d'un message "plein d'enseignements" en faveur d'une éducation de qualité, "alors que nous assistons à un retour de plus en plus marqué du religieux, au débat sur la laïcité, aux nouvelles aspirations du monde arabo-musulman à la liberté et à la modernité". Son message "éclaire le chemin des réformes à entreprendre et la démarche à suivre pour promouvoir des valeurs universelles à même de permettre le rapprochement entre les peuples, les cultures, les traditions philosophiques et les pensées religieuses", a-t-elle conclut. Pour sa part, la Marocaine Touria Yacoubi, veuve du défunt, a livré un passionnant témoignage sur la vie de Mohamed Arkoun l'homme, soulignant qu'après sa disparition, elle se sentait "amputée de la meilleure partie d'elle-même". Arkoun "est parti avec de multiples blessures: celle de certains musulmans qui le critiquaient pour sa proximité de pensée avec l'Occident, celle de la France qui n'a jamais vraiment accordé assez d'importance à ses travaux, pourtant mondialement reconnus, et surtout celle de n'avoir pas revu son Algérie bien-aimée dans les conditions que lui souhaitait", a-t-elle déploré. Elle a assuré que toutes ces blessures et bien d'autres lui restaient en héritage et qu'elle s'est jurée "de consacrer le restant de mes jours à faire l'impossible pour rendre accessible sa pensée au plus grand nombre, avec l'aide de tout ceux qui l'ont approché, apprécié et aimé". Tout en déplorant "le silence assourdissant" des médias et du ministère français de la culture après la disparition du regretté penseur, elle a adressé ses "plus vifs remerciements" à SM le Roi Mohammed VI pour la "bienveillante sollicitude" dont le Souverain l'a entourée, elle et sa famille, après le décès de son époux et pour les obsèques officielles qu'il lui a réservées. Le choix d'Arkoun pour le Maroc parmi d'autres pays pour son repos éternel est dû, outre les liens familiaux et amicaux, "au fait qu'il y percevait la naissance d'une nouvelle Andalousie ouverte à toutes les cultures et les religions, désormais cité en exemple dans le monde entier pour la conduite éclairée de son Souverain". Mme Yacoubi Arkoun a conclu en espérant que "le vent de liberté" qui souffle actuellement sur le monde arabe pourra faire surgir cette "raison émergente" que le défunt appelait de ses voeux depuis tant d'années. Outre Mmes Bennani et Yacoubi-Arkoun, plusieurs autres personnalités venues du quatre coins du monde ont livré des témoignages sur les différentes facettes de la vie du défunt islamologue. Des spécialistes ont pour leur part apporté des réflexions sur le parcours et l'oeuvre de Mohammed Arkoun. Parmi ces derniers, figure l'islamologue marocain Rachid Benzine, professeur à l'Institut d'études politiques d'Aix en Provence et à la faculté protestante de Paris, qui a axé son intervention sur l'humanisme dans la pensée du défunt. Né en 1928 à Taourit-Mimoun, un petit village de Kabylie (Algérie), Mohammed Arkoun était professeur émérite d'histoire de la pensée islamique à l'université de la Sorbonne (Paris) et un des initiateurs du dialogue interreligieux. Il était notamment connu pour être un véritable "passeur" entre les cultures.