La compagnie de production et de distribution d'électricité "Eskom" a, à peine, entamé ses plaidoiries pour l'obtention d'une hausse des tarifs, que la polémique s'est aussitôt saisie du landerneau politique sud-africain sur l'implication du Congrès national africain (parti ultra majoritaire au pouvoir depuis 1994) dans un précédent contrat énergétique. Par Houcine Maimouni La société "Eskom" clôturera, vendredi aux environs de Johannesburg, ses séances de plaidoiries pour obtenir une hausse de 35 PC des tarifs d'électricité sur trois années consécutives auprès de l'Agence nationale de réglementation de l'énergie (Nersa), en vue de s'assurer une partie des fonds nécessaires à un programme d'expansion qui pèse 385 milliards de rand (plus de 52 milliards Usd). Alors que les plaidoiries de la compagnie publique, qui se trouve dans une situation de monopole de fait, prennent fin aujourd'hui, la Nersa devrait soigneusement bâtir son argumentaire au vu de la levée de boucliers qui a accompagné ces discussions, déjà entamées (du 11 au 21 janvier), non sans escarmouches, au niveau des neuf provinces que compte le pays. Après avoir revu à la baisse une demande antérieure d'augmentation des tarifs de 45 PC du 1er avril 2010 au 31 mars 2013, Eskom revient, donc, à la charge avec une hausse demandée de 35 PC qui, si elle est accordée, sera la deuxième plus grande augmentation qu'Eskom aura empochée en plus de 40 ans. Pourtant, la compagnie publique a déjà bénéficié d'une assistance substantielle du gouvernement et d'importants prêts étrangers et ne désespère pas d'en avoir davantage à la faveur d'un éventuel accord de prêt d'un montant de 3,7 milliards Usd, sur lequel la Banque mondiale devrait se prononcer en mars prochain. S'il est vrai que cette hausse des tarifs pourrait être rudement ressentie dans le contexte sud-africain, où le taux de chômage atteint 24,5 PC et où plus de 40 PC de la population vit sous le seuil de la pauvreté, rien n'explique, à priori, la polarisation tranchée des positions des acteurs politiques sur cette affaire. Après tout, "Eskom" n'a pas cessé de demander davantage de fonds depuis qu'elle a frôlé la faillite, début 2008, en plongeant des villes entières, des heures durant, dans l'obscurité pour ménager son système et ses infrastructures vieillissantes. Contre la hausse, business et opposition font front commun Et voilà que le directeur exécutif du patronat sud-africain (Busa) Jerry Vilakazi monte au créneau. "Si la hausse de 35 PC est acceptée par la Nersa, nous devons dire adieu à un rétablissement immédiat de l'économie sud-africaine", souligne-t-il jeudi à Johannesburg, une économie qui vient , à peine, de sortir, au troisième trimestre 2009, de sa pire récession en 17 ans, à la faveur d'une croissance de 0,9 PC. Il a estimé, lors des plaidoiries d'Eskom, qu'au moment où cette hausse apporterait à l'entreprise publique 18,2 milliards de rand, elle occasionnerait une perte de 80 milliards à l'économie du pays et se traduirait par la suppression de 200 mille postes d'emploi, notamment dans le secteur minier. Au lieu de la hausse des tarifs, le patronat sud-africain a préconisé "une politique claire" en matière d'énergies renouvelables et un "consensus national" entre le gouvernement, les acteurs économiques, les syndicats et Eskom sur l'avenir de la politique des dépenses publiques au profit de cette compagnie. Dans la foulée, les partis politiques de l'opposition n'ont pas tardé à se liguer contre la hausse demandée par Eskom, derrière laquelle ils disent percevoir la main du parti au pouvoir qui pourrait bénéficier d'un montant de près de six milliards de rand à travers son implication dans un projet énergétique avec la compagnie publique. En effet, l'Anc à travers sa branche financière "Chancellor House" détient 25 PC de la société Hitachi Power Africa, une filière du Japonais Hitachi adjudicataire d'un juteux contrat de 20 milliards de rand, conclu en 2008, portant sur l'équipement en turbines des deux stations thermiques de Medupi et Kusile (est du pays). Mercredi, le Secrétaire général du parti Gwede Mantashe a affirmé que "Hitachi a remporté le contrat parce qu'elle est une entreprise dotée de compétences et non pas parce qu'elle a une minorité d'actionnaires appelés Anc". "Il n'y a rien de mal à investir dans des compagnies publique et la Chancellor House n'a rien fait de mal", dans la mesure où le contrat n'était entaché ni d'illégalité ni de corruption, a-t-il dit, au risque de contredire son camarade Mathews Phosa, le Trésorier de l'Anc qui, en février 2008, avait promis de prendre des mesures "immédiates" pour éviter des situations de conflits d'intérêts. Pour l'Alliance démocratique (DA, principal parti d'opposition), il n'en fallait pas moins pour assumer que "les informations disponibles aujourd'hui dans le domaine publique fournissent des raisons convaincantes que l'Anc va bénéficier des hausses de tarifs d'Eskom". Mettant en doute la transparence du contrat remporté par Hitachi aux dépens du français Alsthom, le porte-parole de la DA a estimé que "les seules personnes qui semblent en bénéficier sont les gens de l'Anc. La seule façon pour ces personnes de démontrer que ce n'est pas le cas est de se désinvestir de la firme qui gagnerait de ces hausses de tarifs d'électricité". Même son de cloche du côté du parti des Démocrates indépendants (ID, petit parti d'opposition) pour qui le deal de 5,7 milliards de rand conclu par la "Chancellor House", en 2008, aura aujourd'hui plus que doublé. A cet effet, le porte-parole du parti Lance Greyling a appelé l'Anc à clarifier ses positions au sujet de contrats passés en son nom et, ce faisant, se prononcer clairement sur la hausse des tarifs d'électricité demandée par Eskom. En attendant le verdict de la Nersa, en février, le puissant Congrès des syndicats sud-africains (Cosatu, un des piliers de l'Alliance tripartite au pouvoir) a menacé de battre le pavé dans des manifestations contre une éventuelle décision autorisant Eskom à augmenter ses tarifs de 35 PC. L'atmosphère promet d'être pour le moins éléctrique.