Après avoir jalonné l'actualité politique durant pratiquement toute l'année 2009, le thème de l'immigration se trouve projeté, dès le début de cette année 2010, au devant de la scène en Italie où les événements de Rosarno, en Calabre (Sud), viennent rappeler que le dossier est loin d'être clos et qu'il est promis, en cette année d'élections régionales, à nourrir encore les débats entre protagonistes politiques. Par Amina Benlahsen Entre une gauche se voulant plus humaniste dans le traitement de la question de l'immigration et une certaine droite qui en fait un cheval de bataille dans sa quête de plus d'audience, l'Italie, pays lui-même de tradition migratoire, vient en effet de vivre à Rosarno un épisode douloureux qui n'a pris fin qu'au prix de "l'exil forcé" -comme certains l'ont qualifié- de centaines d'immigrés convoyés, sous bonne escorte, vers divers centres d'hébergement de la Péninsule. A fleur de peau devant un phénomène qui à l'évidence dérange, une partie de la population de cette petite ville de 15.000 habitants n'est pas allée de main morte pour punir cette frange d'immigrés, originaires principalement d'Afrique sub-saharienne, qui a osé, de manière il est vrai non dépourvue de violence, marquer sa colère après avoir été la cible, jeudi dernier, de tirs de fusils à air comprimé. L'acharnement manifesté deux jours durant à l'endroit des immigrés, dont 31 ont été blessés (deux l'ont été grièvement par des coups de barres de fer), a été tel qu'ils n'avaient d'autre solution que de quitter la région. Pourtant et malgré leur statut officiel de clandestins passibles, depuis l'été dernier, d'une amende pouvant aller jusqu'à 10.000 euros assortie d'une expulsion immédiate, ces immigrés, qui vivaient dans des conditions inhumaines, étaient d'un grand bénéfice pour les plantations agricoles de la région où ils étaient employés essentiellement dans la collecte d'agrumes moyennant un salaire de misère (25 euros la journée). Les premiers à devoir pâtir de leur départ sont les propriétaires de ces plantations dont certains ont déjà menacé de laisser leurs cultures à l'abandon. Selon les observateurs, l'exploitation des immigrés faisait tenir debout un secteur déjà en crise, car les marges des cultivateurs ont fondu comme dans d'autres régions du sud de l'Italie. A présent, beaucoup d'habitants de Rosarno pensent que le départ des immigrés marque la fin de la production d'agrumes dans la région. Quoiqu'il en soit, ces incidents, dans lesquels 19 des policiers et 17 des habitants italiens de Rosarno ont été également blessés, ont ravivé le débat sur l'immigration en Italie alors que les forces politiques affutent leurs armes en prévision des élections régionales de mars prochain. Pendant que l'opposition crie au racisme et à la xénophobie, le ministre de l'Intérieur, Roberto Maroni, qui appartient au parti anti-immigrés, la Ligue du Nord, s'est félicité que les autorités aient "brillamment résolu le problème d'ordre public" qui s'était posé à Rosarno. Ne retenant que la dimension emploi, Roberto Calderoli, un ministre issu également de la Ligue du Nord, a considéré, pour sa part, que "le travail doit revenir aux Italiens, pas aux immigrés" dans ce Sud de l'Italie où le taux de chômage tourne autour de 18 pc. Des spécialistes des questions d'immigration tirent à cet égard la sonnette d'alarme sur la banalisation d'un "racisme institutionnel" de la part d'hommes politiques, en particulier de la Ligue du Nord. Réagissant aussi aux événements de Rosarno, le pape Jean Paul II a lancé un appel à la tolérance envers les immigrés. "Un immigré est un être humain, différent par son origine, sa culture et sa tradition, mais il est une personne qui jouit de droits et devoirs et qui doit être respectée", a-t-il notamment souligné. Quelque 4.000 immigrants clandestins sont employés en Calabre, la plupart en tant que journaliers pour collecter les récoltes de fruits et légumes. Beaucoup vivent sans eau ni électricité dans des usines ou entrepôts désaffectés. Estimant à 50.000 le nombre de travailleurs immigrés vivant en Italie dans des logements insalubres similaires à ceux de Rosarno, le principal syndicat du pays, la Cgil a dénoncé, en outre, l'emprise de la mafia, surtout dans le sud du pays, sur ces immigrés massivement employés dans l'agriculture. "La mafia qui contrôle le territoire, exploite les immigrés avec cynisme et une détermination impitoyable. Les cerveaux criminels savent que les immigrés clandestins ne peuvent même pas tenter de se rebeller car ils sont privés de documents d'identité et donc de la protection de l'Etat", a déclaré à ce sujet don Luigi Ciotti, le fondateur de l'association antimafia Libera au quotidien "La Stampa". Le feuilleton immigration continue donc en Italie en ce début de 2010. L'un de ses derniers épisodes remonte à vendredi dernier lorsque le gouvernement italien a annoncé sa décision de limiter à 30 pc au maximum le nombre d'élèves étrangers toléré dans les classes des écoles primaires et secondaires de la Péninsule à compter de la rentrée 2010-2011. Les autorités italiennes expliquent officiellement cette mesure par la nécessité de mieux intégrer les enfants d'immigrés dans la société italienne et d'éviter qu'ils ne se retrouvent dans des classes ghettos, uniquement composées d'étrangers. C'est dire que le début de cette année augure d'autres épisodes dans un feuilleton aux péripéties incertaines et dont l'une des étapes marquantes en 2009 s'était traduite par les refoulements sans ménagement en pleine mer d'embarcations chargées de clandestins interceptées au large des côtes italiennes sans considération de la présence ou non à leur bord de demandeurs d'asile potentiels.