par Dounia Benqassem Personnellement je n'avais aucune position en faveur ou contre la façon dont certaines femmes, il se trouve qu'elles sont musulmanes, choisissent de se montrer en public, du moment qu'elles ne m'imposent pas leur mode vestimentaire. Pendant mes vingt ans d'enseignement à l'université ma relation à mes étudiantes et les thèmes que je traitais dans mes cours n'étaient nullement influencés par la progression du port de foulard dans la population des étudiantes. Le seul problème qui me gênait et je l'exprimais directement aux étudiantes c'est le port du Hijab intégral qui m'empêche de voir le visage de l'étudiante pendant l'examen oral. Nous trouvions toujours le moyen de résoudre la question dans le respect mutuel. J'ai aussi mené beaucoup d'activités au sein de mon groupe de recherche sur l'art et je ne peux pas dire quelle était la proportion des étudiantes portant un foulard. L'arrivée du Mouvement du 20 février en 2011, et nos sorties quasi hebdomadaires dans les marches de protestation et pour le changement démocratique m'a fait découvrir des femmes avec lesquelles je partage un idéal de liberté et de justice sociale. Dans les premières marches à Casablanca je remarquais un groupe compacte qui signait l'appartenance à la Jamaâ d'Adl Wa l'Ihssan, JAWI , Association islamiste politique non autorisée au Maroc et qui a rejoint le M20F dès ses débuts. Cette façon de manifester me gênait dans la mesure où nous luttions pour les mêmes objectifs de liberté et je trouvais déplacé de se replier sur un groupe politique, ethnique ou religieux. Je n'avais pas envie de traverser ce mur et aller vers ces femmes, toutes ayant la tête couverte. J'avoue un préjugé de ma part malgré l'expérience si naturellement vécue à l'université. Ce qui me gênait ce n'était pas le mode vestimentaire mais l'embrigadement et la fermeture à l'autre. Puis il y a eu les critiques adressées au M20F par des esprits inquiets de la domination du mouvement par le JAWI et … des mouvements d'extrême gauche, notamment Annahj Addimoqrati. Ces critiques ont eu un effet bénéfique pour le M20F quand les différentes tendances se sont fondues dans la masse des indépendants. Le M20F n'ayant pas une base idéologique, tous les courants cohabitent et lui donnent cet aspect arc-en-ciel avec la seule chose qui les réunit la plateforme du mouvement. Cette plateforme prône la lutte contre l'oppression et la corruption et pour la liberté, la dignité et la justice sociale. Elle épouse les préoccupations des masses populaires pour la garantie des droits à l'éducation, à la santé, à l'emploi et au logement. La démocratie est au centre des revendications du mouvement qui lutte pour une constitution instituant la séparation des pouvoirs, avec le roi qui règne mais ne gouverne pas, avec la séparation du pouvoir et des affaires, l'indépendance de la justice et l'instaurations des droits humains fondamentaux tels que définis par les lois universelles. De même que toutes les composantes du M20F ont subi la répression qui a suivi le discours royal du 9 mars et qui a couvert toute la campagne référendaire avec le déploiement de toutes les forces de l'ordre et les milices, que l'on appelle « Baltajis », terme emprunté à la révolution égyptienne et qui continuent à sévir pendant les marches du mouvement. Pour revenir à la question du voile dans le mouvement, il n'est visible qu'à ceux qui veulent le voir comme élément dominant les marches. Le M20F a comme tout mouvement social la fonction de rassembleur de toutes les sensibilités de la société marocaine, il reflète cette société avec ses composantes. Sa culture est l'inclusion dans une démarche pacifique qui éduque les jeunes à la tolérance. Les composantes politiques du mouvement, les jeunesses des partis politiques, les éléments partisans ou associatifs se démettent de leur culture partisane à l'intérieur du mouvement, comme dans ses assemblées générales où ils ne sont pas autorisés à exprimer les positions de leur partis. Personnellement je suis reconnaissante au M20F de m'avoir permis de balayer ce qui me restait comme préjugés et m'a appris la cohabitation avec des courants de pensée tellement éloignés de mes idées mais avec lesquels je partage des idéaux. Au fil des marches du M20F j'ai avancé main dans la main avec des femmes voilées, nous avons ri ensemble, car le mouvement surtout à Casablanca n'est pas dénué d'humour, nous avons pleuré ensemble nos disparus et nos prisonniers et bien sûr nous avons crié ensemble notre colère contre l'oppression, l'humiliation de notre peuple et l'arrogance et l'indécence de nos gouvernants. J'ai oublié leur voile et elles ont ignoré mon mode vestimentaire. *Une explication à l'adresse de mes amis occidentaux sur les différentes formes de voile s'impose. Le voile n'est pas nouveau dans nos sociétés marocaines. Ma mère et toutes les citadines d'avant l'indépendance portaient une djellaba qui couvrait tout leur corps et avait une capuche qu'elles arrangeaient élégamment sur la tête et nouaient un carré de mousseline qui couvrait leur bouche et leur nez et ne laissait voir que leurs yeux. Les femmes du Nord du Maroc portaient un triangle brodé noué au dessus de la capuche de la djellaba boutonnée à la manière d'un long manteau. Dans les montagnes et l'est du pays les femmes s'enroulaient dans un Haïk en laine et portaient un voile triangulaire ou simplement se cachaient le visage avec un pan du Haïk et laissaient juste un œil pour pouvoir se déplacer. Les femmes amazighes s'enroulaient aussi dans un drap noir brodé de laine multicolore et noué selon les régions.