Interview exclusive de Hakima Rojlane Avec les jumelles Imane et Sanae Laghrissi, Hakima Rojlane est l'une des trois mineures de 14 ans arrêtées dans le cadre de l'affaire des “ kamikazes ” de Rabat dont le procès s'est déroulé à huis clos la semaine dernière. Innocentée par la Cour qui l'a absoute des chefs d'inculpation qui pesaient sur elle, après avoir passé près de deux mois en prison, Hakima Rojlane accorde un entretien exclusif à La Gazette du Maroc. Elle revient sur les causes de son arrestation, ses conditions de détention, le déroulement du procès et sa propre lecture de l'affaire de Rabat qui a défrayé la chronique. La Gazette du Maroc : vous voilà libre et vous êtes de nouveau parmi vos proches. Quelle est votre première impression, à quelques heures du verdict qui vous a innocentée ? Hakima Rojlane : je n'arrive pas encore à le croire. Je suis dans ma maison, dans cette chambre où tout a commencé… C'est ici que les policiers sont venus chercher Imane, le premier jour, et cela me fait tout drôle de repenser à tout cela. Pour l'instant, je profite de la présence de ma mère, de mes sœurs qui n'ont jamais douté un instant de mon innocence, et j'essaie aussi de réfléchir à tout ce qui s'est passé… A mon arrivée, il y avait ma grande famille pour m'accueillir et malgré la fatigue qui nous étreignait, il a fallu fêter ma liberté (sa mère, Al Arbia, qui a longtemps pleuré de joie, lance des youyous dans la maison et des “Vive le Roi” qui nous plongent dans une atmosphère de fête). Vous attendiez-vous à ce verdict ? Sincèrement, non ! Je ne comprenais pas toujours ce que me disaient les adultes de la Cour, je ne savais pas ce qui m'attendait car toute cette affaire me dépassait. Je voyais des gens aller et venir, on prononçait mon nom quelquefois, j'entendais des échos, en prison, du déroulement du procès… Mais lorsque je discutais avec les autres femmes qui partageaient ma cellule, des femmes qui ont été très gentilles avec moi et m'ont aidée à supporter les moments difficiles, elles me disaient que les sentences allaient être très lourdes, même pour moi. D'après elles, si Imane a cité mon nom dans le procès-verbal de l'interrogatoire, alors j'allais être considérée comme membre du groupe et la Cour allait devoir corroborer à travers son jugement la déposition de Imane. Même ma famille s'attendait à une peine d'emprisonnement de plusieurs années. En regardant un reportage qui parlait de moi sur la chaîne arabe “Arabia”, ma mère a entendu le journaliste dire que les magistrats de Rabat avaient prévu des sanctions exemplaires contre nous, les trois filles inclues… Je crois qu'à la maison, personne n'a dormi ce soir-là, ni le jour suivant qui précédait l'annonce du verdict… Non, réellement, vu ce qui se passe depuis le 16 mai, personne ne pensait autour de moi que j'allais être relâchée (sa mère acquiesce en poussant un profond soupir où se mêlent tristesse et incompréhension). A votre avis, qu'est-ce qui explique que la Cour ait choisi de vous innocenter ? Quelles preuves ont été présentées par la défense pour attester de votre innocence ? Le principal chef d'inculpation de mon dossier reposait sur les dires d'Imane Laghrissi. Elle avait signalé à la police que je m'apprêtais à lui fournir de l'aide en dérobant une arme à feu à un membre de ma famille qui travaille dans la police. Tous les autres chefs d'inculpation de la Cour découlaient de cela. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la police a trouvé Imane Laghrissi chez moi, avec un sac d'affaires où étaient cachés des livres sur l'Islam. Cela n'a pas joué en ma faveur car Imane avait passé la nuit précédant son arrestation avec moi dans notre maison… Je ne savais vraiment rien de ce qu'elle faisait ou si elle préparait quelque chose… Mais heureusement qu'Imane est revenue sur ses dires devant le juge, en expliquant à la Cour que je n'avais rien à voir dans cette affaire de complots et que jamais je n'avais offert mes services pour voler une arme… Pour quelles raisons selon vous, Imane Laghrissi vous a-t-elle considérée au début de l'enquête comme membre actif de la cellule ? Je crois qu'elle avait peur, comme moi. A notre âge, ce n'est pas évident, convenez-en ! Se retrouver comme ça dans les locaux de la police, faire face à ces visages qui se succèdent pendant les interrogatoires, savoir que l'on est en phase d'être accusée du pire crime qui puisse être commis sur terre… Imane et Sanae Laghrissi ne m'ont jamais quittée durant mon arrestation. Au bout de quelques jours, nous nous sommes retrouvées ensemble dans la même cellule, avec plus d'une vingtaine d'autres femmes. Nous dormions ensemble, priions ensemble, jouions ensemble pour oublier ce qui nous arrive. Je leur pardonne tout car elles ne savaient pas ce qu'elles faisaient et si Imane a cité mon nom le premier jour, je sais que c'est pour montrer aux adultes qu'elle savait des choses afin qu'on la laisse tranquille. Elle avait très peur, je le répète. D'ailleurs, je me souviens qu'elle m'avait dit, avant mon interrogatoire : “dis oui à tout, sinon ils vont beaucoup te frapper” La police l'a-t-elle fait ? Non, jamais. On ne m'a pas frappée. On s'est même comporté très bien avec moi. C'est pareil à la prison, tout le personnel était gentil. Est-ce Sanaâ et Imane avaient réellement des liens dans cette affaire ? … ! (sans réponse) Et les hommes qui ont été arrrêtés avec elles ? Les connaissez-vous ? Je les connais de vue parce que certains vivent près de chez nous. mais je n'ai aucun rapport avec eux. En voulez-vous à Imane de vous avoir plongée dans une si triste affaire ? Je pardonne à Imane. Elle a tellement de choses à supporter maintenant. Les dernières heures que j'ai vécues en prison, je les ai passées avec les sœurs jumelles. Elles ont pleuré de joie en apprenant que j'étais libre. Elles m'ont aidée à faire mes bagages et à ranger mes affaires. Je pense beaucoup à elles. Je reviendrai les voir dans quelques jours avec des vêtements et de la nourriture chaude. Ce sont des enfants perdus dans la vie et elles ont besoin de notre soutien. Malgré l'histoire qui s'est passée à Hay Al Inbiat, je ne les oublierai pas (sa mère acquiesce et promet à son tour de rendre visite aux jumelles pour atténuer quelque peu leur peine). Comment avez-vous vécu ces longues semaines en prison ? Je crois que la prison était plus douce que la crainte que j'éprouvais au fond de moi quant à l'issue du procès… J'ai été placée dans une grande cellule avec Imane, Sanae et d'autres femmes. J'étais la plus jeune d'entre elles. Certaines étaient là depuis assez longtemps, d'autres commençaient de longues peines. Elles fumaient presque toutes, ce qui me dérangeait parfois, mais ces femmes avaient beaucoup d'estime pour nous. Elles nous remontaient le moral, nous racontaient des histoires et savaient comment nous faire rire au bon moment. Le soir, curieusement, je dormais très bien, à cause du silence qui régnait dans les couloirs. Je priais pour que Dieu me vienne en aide afin de retrouver les miens (Hakima pleure d'émotion). Vous portez toujours un foulard, n'avez-vous pas envie de l'enlever ? (Sourires) Non, je n'ai pas envie de l'enlever, je ne crois pas que le foulard soit une question importante… Que comptez-vous faire à présent ? Reprendre vos cours au collège ? Franchement, je ne sais pas encore. Je ne sais pas si j'ai envie de franchir la porte d'une classe et de retrouver mon école. Je ne sens pas l'envie de le faire maintenant. Ce qui m'est arrivé n'est pas anodin et il me faudra certainement du temps pour que les blessures se cicatrisent et que je retrouve une vie normale. Mes sœurs m'encouragent à me reposer un peu et à rester à la maison jusqu'à y voir plus clair. C'est ce que je vais faire. Quand les choses rentreront dans l'ordre, je me déciderai alors…