L'histoire est glauque. Si elle n'était pas si lourde de conséquences - pour deux femmes d'abord, pour l'image des Etats-Unis ensuite -, elle pourrait pourtant presque prêter à sourire. La libido d'un agent de la CIA en poste à Alger plonge dans l'embarras la nouvelle administration Obama et le président Bouteflika. Elle donne surtout un prétexte en or à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), la nébuleuse de Ben Laden au Maghreb, pour attiser la rancoeur du monde musulman envers l'Occident,. "Sexe, viols et vidéos à l'ambassade des Etats-Unis à Alger" : c'est ainsi que le quotidien algérien de langue française El Watan a résumé l'affaire à la une, il y a quelques jours. Andrew Warren, 41 ans, le chef de l'antenne de la CIA à Alger, est soupçonné d'avoir violé deux Algériennes, après les avoir fait boire et droguées. Mieux : il a filmé ses exploits. Il se pourrait qu'il ait fait d'autres victimes lors de ses affectations précédentes, en Egypte et en Afghanistan, notamment. Le scandale a éclaté il y a quinze jours. Aux Etats-Unis d'abord, en Algérie ensuite. Les hauts responsables des deux pays auraient bien aimé dissimuler l'affaire. Mais la chaîne de télévision américaine ABC a révélé que deux ressortissantes algériennes avaient porté plainte contre un agent du renseignement américain, qui, disaient-elles, les avaient attirées dans sa résidence officielle à Alger, en septembre 2007 et en février 2008, puis avait abusé d'elles. Andrew Warren a été rappelé à Washington. Le département de la justice déclare prendre l'affaire très au sérieux. Les premiers éléments de l'enquête, effectuée par un agent spécialisé du département d'Etat, sont accablants. L'enquêteur s'est déplacé à Alger, a rencontré et interrogé le violeur présumé ainsi que ses deux victimes. Rédigé en anglais sur dix-sept pages, son rapport fait froid dans le dos. V1, telle qu'elle est nommée dans le document, est invitée en septembre 2007 à une soirée organisée par Andrew Warren à l'ambassade des Etats-Unis à Alger. La jeune femme s'y rend et se voit offrir un Coca-whisky. Un verre, puis deux, puis trois. Le breuvage lui est chaque fois apporté par l'agent de la CIA. Mais la jeune femme se sent soudain prise de nausées. Andrew Warren l'emmène dans la salle de bains afin, dit-il, qu'elle ne vomisse pas sur le tapis du salon. Quand elle se réveille le lendemain, V1 est allongée nue dans un lit. Elle ne se souvient de rien, mais elle se sent mal. Près du lit, une poubelle. Elle y jette un coup d'oeil. Il s'y trouve un préservatif usagé... Le rapport de l'enquêteur du département d'Etat donne d'autres détails, sans équivoque possible. V2, l'autre victime, se rend en février 2008 à l'ambassade des Etats-Unis à Alger. Andrew Warren, elle le connaît bien. Son mari a passé plusieurs années à l'ambassade américaine au Caire. C'est là qu'ils ont fait la connaissance du correspondant de l'honorable agence. V2 se rend donc à une party organisée par Andrew Warren. Son hôte lui offre un Martini à la pomme. Quand il lui propose un second verre, elle l'accepte. Elle le suit dans la cuisine. Warren, surpris, lui met précipitamment dans les mains un plateau de petits fours à apporter au salon. Quand il la rejoint quelques minutes plus tard, elle boit le breuvage sans méfiance. Mais voilà qu'elle se sent prise de nausées et de l'envie irrépressible de vomir. Elle tombe dans une semi-inconscience. Andrew Warren l'entraîne dans la salle de bains, la déshabille et la plonge dans un bain "Ça te fera du bien", lui dit-il. La jeune femme a du mal à comprendre ce qui lui arrive. "J'arrivais encore à voir, à entendre, et même à parler, mais j'étais incapable de bouger mes muscles", expliquera-t-elle ultérieurement à l'enquêteur du département d'Etat. La suite, V2 s'en souvient vaguement. Elle est allongée dans un lit, l'agent de la CIA en train de la violer. Les détails du rapport du département d'Etat sont aussi crus qu'explicites. V2 informe son mari de ce qui s'est passé. Elle en parle aussi à un psychologue. Il lui faudra des mois pour se décider à dire à l'ambassadeur américain ce qui lui est arrivé. Quand Andrew Warren est rappelé en octobre 2008 à Langley, en Virginie - lieu du siège de la CIA -, pour y être interrogé, il admet qu'il a eu des relations sexuelles avec les deux plaignantes. "Elles étaient consentantes", se défend-il. Mais les enquêteurs découvrent les photos et les vidéos de ses "exploits". Il en a stocké sur son ordinateur, sur son téléphone portable, sur une clé USB. Et ces images montrent que V1 et V2 "se laissaient faire" comme des poupées de son. Qui sont ces deux Algériennes ? L'histoire ne le dit pas pour le moment. Elles auraient toutes deux une double nationalité, l'une serait algéro-espagnole, l'autre algéro-allemande. Il n'est pas exclu qu'elles aient été en cours de recrutement par la CIA à Alger. Sur Andrew Warren, on en sait un peu plus. Bon vivant, très porté sur l'alcool, sur les cigares et sur les femmes, évidemment. S'est-il converti à l'islam il y a quelques années, comme l'affirme la presse algérienne ? Rien ne l'assure. Un Andrew Warren musulman limitera-t-il la colère et l'amertume de l'autre côté de la Méditerranée ? Le quotidien arabophone Echourouk, le premier tirage en Algérie, fait remarquer que "le viol des femmes honorables ne diffère pas du viol des nations". par Florence Beaugé ,Le monde fr