À 6 ans, mes parents voulaient faire de moi ce qu'ils n'ont jamais pu être. Même chose pour mes neuf frères et soeurs. Pour nous, il n'y avait que l'école et l'école. Acheter un cahier quelque soit son prix, oui. Mais pour faire une sortie ou acheter un jouet, c'était un non catégorique. À titre d'exemple dans toute ma vie, je n'ai été que quatre fois au cinéma, deux fois au Québec et deux fois dans mon pays. Alors j'ai pris l'habitude de ne pas aller au théâtre et au cinéma. Dans notre quartier, on a été les premiers à avoir une télévision, une Philips noir et blanc. J'étais fier de voir réuni chez nous une grande partie de nos voisins assis sur un tapis en train de regarder la télévision. J'ai réalisé à ce moment que j'avais un plus sur nos voisins. Dans le sacrifice d'Abraham, on avait tout le temps le plus gros mouton avec les plus grosses cornes. Et nous, en tant qu'enfants, nous étions toujours en train de comparer... Notre nom Khouyibaba est un nom d'origine probablement mauritanienne, saharaoui en tout cas, il n'était pas un nom des familles marocaines connues. On doit la renommée aujourd'hui de ce nom-là d'abord à mon père qui nous a forcé à suivre un chemin économique mais riche et en deuxième à mon grand frère Mohamed qui a servi comme cobaye à l'intérieur de notre famille. Il a subi toutes les expériences d'un père qui voulait avoir des enfants exemplaires. Mohamed nous a sorti de l'anonymat. Avec lui, nous sommes tous devenus le frère de..., la sœur de..., la mère de... et même le père de Khouyibaba. Il a commencé à écrire dans un journal et il a fini par devenir reporter sportif en gardant toujours un travail à côté qui le fait vivre. Jusqu'au point même où mon père a dit : " je ne suis pas juste le père mais je suis Khouyibaba ". Nous avons tous suivi le chemin pour réaliser le rêve de mon père. Après Larbi, ma sœur Zahra c'était à mon tour. Mais je ne voulais pas être dans les branches littéraires, le choix de mes frères et de ma soeur. Je suis allé en mathématiques et techniques, une des branches les plus sélectives, dans le système français, on l'appelle E. Vous savez aujourd'hui, je suis capable de travailler sur un tour, une fraiseuse, une raboteuse, je passe la lime très bien. Je peux même faire tourner une unité de traitement de phosphates en entier. Pendant mes études, j'ai demandé à mon père " rodé par Mohamed, Larbi et Zahra ", un permis de conduire. " Le permis de la voiture c'est pour les femmes, toi tu es un homme, tu dois passer un permis de camion ". Et il était là pour mon examen. Je le voyais dans mon rétroviseur, sa main droite en haut exprimant sa fierté de voir son quatrième enfant réussir, une chose que lui-même a réussi en plus de ce qu'il voulait réussir. À ce moment, il m'a dit : " Mon fils, l'apprentissage s'il n'enrichit pas, il fait vivre ". À cette époque où notre nom n'était pas encore connu, j'allais en Yougoslavie. Je dormais dans le train entre Venise et Zagreb et j'ai perdu mon passeport. Je suis revenu avec un laissez-passer. Mais pour réussir à avoir un autre passeport, cela a pris un an et demi, le temps de perdre mon in scri ption en France et en Suisse. Suite à une convocation des services militaires, il fallait que je m'inscrive quelque part pour me cacher. J'ai fait deux ans à l'école de maîtrise avec l'Office chérifien de phosphates. Ensuite après avoir finalement reçu mon passeport grâce à l'intervention de mon frère Mohamed, j'ai pris la direction du Canada. À suivre...