Le Haut Commissariat au Plan vient d'organiser sa traditionnelle conférence-débat pour présenter son Budget Economique Exploratoire 2020 et présenter une révision de la prévision initiale de la croissance économique nationale de l'année 2019 retenue au mois de janvier. Une occasion aussi pour M. Ahmed Lahlimi, Haut commissaire au plan, de mettre tout son savoir faire au service d'un faire savoir qui, cette fois, s'est amplement focalisé sur l'économie du savoir et les opportunités qu'offrirait la maitrise des NTI et du digital en termes de positionnement sur le nouvel échiquier de plus en plus mouvant de l'économie internationale. Une économie qui, de l'avis de M Lahlimi, « est en passe de rompre tant avec les instruments classiques d'élaboration de politique économique ou de création de richesses et de valeur ajoutée qu'avec les bienfaits du multilatéralisme et/ ou les vertus de la mondialisation ». Clairvoyance prospective Pour cet économiste géographe de formation ,nommé, avec rang de ministre, par Sa Majesté le Roi et, de par ses attributions de principal producteur de l'information statistique économique, démographique et sociale et chargé de l'établissement des comptes de la nation, les changements de paradigme nourris à coups de protectionnisme, de mesures restrictives et de guerres commerciales sino-américaine en vue de s'approprier le monopole de l'économie numérique et de plateformes « virtuelles », appellent une certaine clairvoyance prospective. Celle-ci gagnerait à prendre en considération les exigences de l'économie de demain, déjà en jeu aujourd'hui. D'autant plus que ces plateformes, se développant sans intermédiation aucune, de par les capitaux qu'elles mettent en jeu, bouleversent la dichotomie, sphère réelle-sphère financière, qui veut que, généralement, les flux migrent naturellement vers les investissements traditionnellement producteurs. Du coup, ajoute le Haut Commissaire au Plan, « les modèles émanant de l'orthodoxie économique, tant dictés par la mondialisation, ne sont plus de mise. C'est le cas de l'économie US qui contredit la théorie des cycles économiques. C'est le cas, aussi, de l'économie européenne qui, dans une conjoncture déflationniste, finance les banques par le biais de taux négatifs ». Dans certains cas, les banques peuvent même emprunter gratuitement, voire à taux négatif, auprès de la Banque centrale européenne à condition qu'elles développent, en contrepartie, leurs prêts à l'économie. Pour M.Lahlimi cet état de fait n'est, quelque part, que « la limite d'accumulation de profils qui cède la place à d'autres modèles qui se développent à l'image de la crypto monnaie qui, indépendamment de toute intermédiation ,crée ses propres moyens de financement à même de remplir les traditionnelles fonctions de la monnaie classique, à savoir une unité de compte, une réserve de valeur et un intermédiaire des échanges ». Le taux de croissance se situerait à 2,7% en 2019 Pour le Haut Commissaire au Plan et eu égard à ce genre de considérations, il est grand temps que le Maroc mise intelligemment sur ses ressources humaines et s'investisse davantage dans la formation d'un tout autre genre de profils, dont des développeurs, des programmateurs…et ce, dans la perspective de s'approprier et, l'outil, et le savoir nécessaire en la matière. Pour ce faire, M Lahlimi livre le fond de sa pensée et va droit au but : « Le modèle économique ne se décrète pas mais se change par de judicieuses politiques économiques secondées, nécessairement, par un pacte nationale concerté et à réviser au fur et à mesure, si besoin est ». En attendant les perspectives d'évolution de l'économie nationale, telles que présentées par le Haut Commissaire lors de cette conférence débat, ne poussent guère à l'optimisme et confirment, une fois de plus, la tendance baissière du rythme de la croissance. Laquelle croissance demeure toujours impactée par la dépendance de la valeur ajoutée agricole aux aléas climatiques, d'autant plus que la dynamique des activités non agricoles peine toujours à hisser la croissance économique nationale à des niveaux adéquats en termes de création de richesse et d'opportunités de travail. A ce titre, deux ratios sont à retenir : la croissance économique nationale serait de 2,7%, en 2019, et, sous certaines conditions, pourrait être portée à 3,4% en 2020. Et dans les deux cas de figure, l'économie nationale, de par ses déficits structurellement bien installés, continue et continuera de pâtir de moult maux, dont une croissance tirée principalement par la demande intérieure, alors que la demande extérieure présenterait une contribution négative pour la deuxième année consécutive. Bien plus, le recours à la privatisation pour réduire le déficit budgétaire, compromis par la hausse des dépenses de fonctionnement, suite à la nouvelle augmentation des salaires approuvée dans le cadre du dialogue social, ne peuvent qu'alourdir davantage les dépenses publiques. Lesquelles dépenses feraient qu'en 2019, la situation déficitaire des finances publiques se traduirait par le recours de l'Etat au marché des adjudications et aux emprunts extérieurs. Dans ce cadre, précise le HCP, « la dette intérieure du Trésor devrait connaitre une hausse de 4% par rapport à son niveau enregistré en 2018 pour atteindre 51,6% du PIB en 2019. La dette extérieure du Trésor, de son côté, devrait s'accroitre de 7,4% au lieu d'une baisse de 3,4% en 2018. Elle devrait ainsi représenter 21% de l'encours global de la dette du Trésor au lieu de 20,5% en 2018 et 13,7% du PIB au lieu de13, 3%. Au total, le taux d'endettement global du Trésor devrait augmenter à 65,3% du PIB au lieu de 64,9% en 2018. Et Compte tenu de la dette extérieure garantie par l'Etat qui devrait se maintenir à 16% par rapport au PIB en 2019, le taux de la dette publique globale s'accroitrait pour atteindre près de 81,3% du PIB en 2019, au lieu 73,4% durant la période 2010-2017 et 60,2% durant 2005-2009 ». En termes de liquidité l'économie nationale, celle-ci continuerait d'être marquée par un important besoin en liquidité, atteignant près de 70 MMDH entre 2018 et 2019, au lieu de 41 MMDH en 2017, en liaison avec l'insuffisance des moyens de financement extérieur, notamment celle des flux des investissements directs étrangers et des recettes des MRE. Ce qui ferait que, dans ces conditions, les réserves en devises devraient se limiter à près de 237 milliards de DH pour couvrir 5,6 mois d'importations au lieu de 5,8 mois en 2018. De même, précise-t-on de même source, « le maintien de la stabilité du taux directeur à 2,25% ne devrait pas profiter à la promotion des crédits bancaires, qui resteraient peu dynamique en 2019, avec un taux de croissance de 3,8% au lieu de 3,4%, en 2018, et 10,6%, en moyenne, durant la période 2007-2017. Cependant, les créances nettes sur l'administration centrale, avec une hausse de 10,7% par rapport à 2018, devraient continuer de soutenir la création monétaire en 2019». Une croissance modérée Dans ce contexte, et en prenant en compte les perspectives de croissance économique, en 2019, et le niveau général des prix, la masse monétaire continuerait d'enregistrer un taux d'accroissement modéré, de l'ordre de 4,3%, en 2019, au lieu de 4,1%, en 2018. A ce niveau et outre les problématiques soulevées par l'effet d'éviction qui interpelle une sorte d'arbitrage entre le recours au financement extérieur et celui intérieur, le constat du HCP est on ne peut plus clair : « Le FMI n'est nullement une cour internationale de justice. C'est un organisme financier qui a pour mission d'assurer la stabilité financière du monde et sa vocation, de l'avis même de cette institution, n'est pas de dicter aux Etats ce qu'ils doivent faire. D'ailleurs, c'est la wali de Bank Al Maghrib qui avait déclaré que sa démarche afférente à la flexibilité du taux de change n'était pas dictée par le FMI », précise M. Lahlimi, en ajoutant qu'il n'appartient ni au HCP, ni au Wali de Bank Al Maghrib, ni à la Banque mondiale de dicter quoi que ce soit et que c'est au gouvernement de se charger de concevoir et d'appliquer sa politique sur la base des grandes orientations royales. Or, dans cette histoire de réaménagement du régime de change, «il est malheureux de constater que le wali de Bank Almaghrib s'est substitué au gouvernement et aux finances pour aller au Parlement et défendre ce projet, alors que sa mission principale consiste, à la limite, à donner son avis et à veiller à l'application de sa mise en œuvre», conclut M. Lahlimi, pour qui et au vue d'une certaine cohérence institutionnelle, chacun se doit de faire son travail et d'assumer ses propres responsabilités. N. BATIJE