Des leçons doivent être tirées des échecs constatés dans la mise en œuvre de certains projets énergétiques régionaux de la zone CEDEAO. Il conviendrait, ainsi, de prendre en compte un certain nombre de fragilités avérées et de faire preuve de vigilance concernant le projet de gazoduc Nigeria-Maroc-Europe. C'est ce qui ressort d'une étude de l'Institut Royal des Études Stratégiques (IRES) intitulée « La transition énergétique en Afrique, à l'aune de la nouvelle stratégie africaine du Maroc », fraîchement rendue publique. Le premier point de vigilance concerne le calendrier de ce projet. Selon l'IRES, ce dernier devrait être inscrit dans un horizon de très long terme (entre 2035 et 2040) et ce, eu égard aux délais requis pour son approbation par les pays concernés, le travail législatif, les études détaillées, le montage financier, le processus de passation des marchés, le bouclage financier. Pour ce qui est du deuxième point, le Maroc est appelé à réexaminer sa stratégie de développement de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) en tenant compte du développement de la zone offshore immédiatement au sud du Royaume qui se transforme en une importante zone productrice et exportatrice de GNL avec le premier gaz prévu à l'horizon 2021. Si d'autres découvertes de gaz se matérialisent, un gazoduc reliant l'Europe et le Maroc aux champs gaziers, partagés par la Mauritanie et le Sénégal, pourrait constituer une première étape du Gazoduc Nigeria-Maroc-Europe, est-il souligné. L'IRES estime aussi que des risques réels peuvent affecter le succès de ce projet. Les risques en question sont celles associés à la solvabilité des acheteurs dans certains pays fragiles de la région, à la situation politique instable dans certains pays, aux problèmes de sécurités des installations dans certaines zones de la région et la non-régularité de la fourniture du gaz par les pays producteurs. Face à ce constat, l'IRES recommande le lancement d'une étude d'impact dudit projet permettant d'identifier les risques majeurs y associés et de recommander les actions appropriées pour les mitiger. L'Europe sera le principal demandeur du Gazoduc Autre élément soulevé par l'IRES est que ce projet de gazoduc offshore, qui devra traverser le Bénin, le Togo, le Ghana, la Côte d'Ivoire, le Liberia, la Sierra Léone, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Gambie, le Sénégal, la Mauritanie et le Maroc avant son point de chute en Europe, aura pour principal demandeur et consommateur le continent européen. L'implication de l'Europe paraît ainsi primordiale pour la mise en place de contrats de type "take or pay" ou encore "ship or pay", et donc pour le succès du projet. L'IRES tient à remarquer que le gaz nigérian, ou tout autre gaz qui serait amené à être transporté plus tard si de nouvelles découvertes voient le jour, entrera en compétition avec d'autres sources telles que le gaz nord-africain, le gaz russe ou le GNL importé dans le cadre du projet Gaz-to-Power au Maroc. Le prix de revient, c'est-à-dire le prix d'achat à la source plus le prix de transport par gazoduc, reste donc un facteur important dans les considérations des acheteurs potentiels européens, compte tenu des projets Nord Stream 2 et du gazoduc Trans-Adriatique, en cours de réalisation ou des projets africains tels que les gazoducs d'Algérie ou de Libye ou du projet de gaz offshore Zohr en Egypte – l'une des plus importantes découvertes récentes en Afrique - dont le premier gaz a déjà été produit. Disponibilité du gaz nigérian, un facteur de risque majeur Cependant, poursuit la même source, la disponibilité du gaz nigérian reste un facteur de risque majeur. « Etant donné les coûts nécessaires pour produire et transporter les quantités de gaz associées afin de les commercialiser, la pression démographique et sociale pour rattraper le retard en termes d'électrification du pays, et les conditions difficiles de production d'hydrocarbures, le Nigéria pourrait-il se permettre d'exporter une partie du gaz produit alors que ses centrales thermiques pourraient en manquer ? », s'interroge l'IRES. L'IRES tient à signaler cependant que le gazoduc Nigeria – Maroc – Europe ne pourra voir le jour sans un leadership politique prononcé tel qu'exercé par le Maroc et un engagement ferme du Nigeria de mettre en œuvre les conditions à même de garantir une fourniture continue et sûre du gaz pour l'export. Pour rappel, le lancement officiel du projet de gazoduc a eu lieu le 15 mai 2017 à Rabat, lors d'une cérémonie présidée par SM le Roi en présence du ministre des Affaires Etrangères, Geoffrey Onyeama. Avant ce lancement officiel, un accord de partenariat stratégique a été déjà signé à l'occasion de la visite officielle du souverain au Nigéria les 2 et 3 décembre de la même année entre le fonds souverain marocain Ithmar Capital et la Nigeria Souverain Investment Authority (NSIA) afin d'appuyer ce projet d'envergure. A. CHANNAJE