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II - Gazoduc Nigeria-Maroc : Le levier d'Archimède : Un gisement à retombées diplomatiques
Publié dans L'opinion le 20 - 12 - 2016

Nous poursuivons, aujourd'hui, la publication du dossier réalisé par M. Mohamed Et-Tobi, intitulé « Gazoduc Nigeria-Maroc, le levier d'Archimède », qui traite de la portée économique et géostratégique du mégaprojet de gazoduc Nigeria-Maroc. Dans la première partie, « Le génie diplomatique du Royaume au service d'une Afrique prospère », l'auteur s'est attaché à mettre en évidence la pertinence socioéconomique du projet à l'échelle régionale et la mobilisation des moyens financiers nécessaires pour sa construction. Dans cette deuxième partie, il est mis en évidence la complémentarité de ce projet avec le plan gazier marocain, « Gas to power », et la diversification des sources d'approvisionnement que le Maroc cherche à réaliser.
La politique africaine du Maroc démontre que des réalités nouvelles se font jour sur le continent.
Ses réalités nouvelles invitent l'Occident, qui ne peut ignorer les changements historiques que connaît en ce moment l'Afrique, à se mobiliser et agir avec solidarité responsable et participative à cette phase de la renaissance africaine. Le Maroc, sous le leadership de Sa Majesté le Roi Mohamed VI, s'y est investit avec un esprit fédérateur, dans le contexte d'approche gagnant-gagnant.
C'est dire que l'Occident se doit de prendre la mesure de ce changement et mettre à profit le rôle stratégique du Maroc. Le Royaume est devenu un hub pour les échanges avec l'Afrique, en matière économique, mais également en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme et la radicalisation.
Une telle vision illustre à bien des égards la stratégie éclairée, solidaire et intégrée du Roi Mohammed VI en direction de l'Afrique avec, au premier plan, le développement d'un modèle de coopération économique mutuellement bénéfique et l'amélioration des conditions de vie des peuples africains. De l'avis des analystes, il sera concrètement question d'améliorer la compétitivité des exportations et de stimuler la transformation locale des ressources naturelles disponibles pour les marchés nationaux et internationaux. Cette plate-forme de coopération Sud-Sud tend vers la création de joint-ventures susceptibles de placer toute cette zone sur le chemin d'une croissance plus forte profitant des complémentarités et des synergies durables fondées sur des approches inclusives.
Le Gazoduc, qui reliera le Nigeria et le Maroc, permettra à plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest d'accéder à la prospérité économique et à l'autonomie énergétique et agricole. Ces deux facteurs, ajoutés au développement humain du continent pour lutter contre les inégalités, fondent la vision de Sa Majesté le Roi du Maroc. En atteste aujourd'hui le développement exceptionnel du Maroc, basé sur des innovations technologiques.
Le partenariat maroco-nigérian ne se limite pas aux hydrocarbures et aux engrais, mais couvre des domaines aussi variés que la formation, les investissements, les mines, la promotion des compétences, le tourisme, la finance, les assurances et la logistique. Par ailleurs, l'accord-cadre de coopération scientifique et technique, signé entre l'Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM) et la National Geologic Survey Agency (NGSA), permettra de mener une prospection conjointe des matières premières et de l'or au Maroc et au Nigeria.
Le grand projet de Gazoduc Nigéria-Maroc, qui ailleurs fait grincer des dents, est un pipeline aux multiples enjeux commerciaux et économiques, mais aussi géostratégiques, tant il implique tous les pays concernés dans la perspective d'accélérer les projets d'électrification dans toute la région. Il est par conséquent amplement justifié pour la région qui regorge d'importantes quantités de gaz naturel, dont le Nigeria détient à lui seul 90% des recettes et 30% des réserves continentales, sans oublier le Ghana et la Côte d'Ivoire qui sont déjà parmi les producteurs et consommateurs de cette ressource énergétique stratégique.
Le Maroc développe ainsi une orientation stratégique inédite avec le Nigeria, ce grand pays d'Afrique qui a fait preuve de prise de conscience des atouts du Royaume pour enclencher l'histoire de l'intégration politico-économique à l'échelle de la région.
La conclusion de cet accord gazier avec le Nigéria est à elle seule une victoire diplomatique pour le Maroc. Sous cet angle, le pipeline s'avère l'outil géostratégique pour structurer une région nord-ouest africaine en coalition économique multilatérale. En effet, le Royaume ambitionne, de manière effective depuis juillet dernier, d'intégrer l'Union africaine dont il est absent depuis 1984. Les nouveaux liens économiques entre Abuja et Rabat - plusieurs autres accords commerciaux ont été signés lors de la visite de Sa Majesté Mohammed VI - conforte la diplomatie africaine du Royaume.
Ce tuyau de près de 6000 kilomètres de long est de nature à assurer au Maroc la concrétisation de nombreuses de ses stratégies nationales et internationales ; en l'occurrence la transition et l'indépendance énergétique, le leadership dans le co-développement africain pivot de la collaboration Nord-Sud, un lobbying international sur la question de l'intégrité nationale du territoire marocain, l'Union Africaine, etc.
2.1 La flexibilité de moyens
de production pour la sécurité énergétique
A l'occasion de la COP22 tenu en novembre 2016 à Marrakech, et en ratifiant l'Accord de Paris, le Maroc s'est engagé à réaliser 52% de la puissance électrique installée à partir de sources renouvelables d'ici 2030, sachant que sa demande électrique nationale augmente de plus de 6% par an. C'est pourquoi, il faut absolument trouver des sources alternatives, en plus des infrastructures éoliennes, hydroélectriques et solaires. L'intégration des énergies renouvelables dans le système électrique national nécessite la mobilisation de moyens de production flexibles pour faire face à leur intermittence et améliorer la stabilité du réseau électrique. En effet, en matière de flexibilité, les centrales à charbon ou à fioul ne sont pas les plus indiquées. Ces dernières ont beaucoup trop d'inertie lorsqu'il s'agit de répondre en quelques heures à un besoin énergétique urgent.
En matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le développement de centrales fonctionnant au gaz naturel se positionne aujourd'hui comme l'un des moyens les plus appropriés pour faire face aux intermittences générées par les énergies renouvelables.
Les besoins du Maroc sont évalués à environ 5 milliards de mètres cubes de gaz par an à l'horizon 2025 ; alors que la production nationale de gaz reste symbolique, aux environs de 70 millions de m3. La récente découverte « significative » de gaz naturel dans la région de Figuig, annoncée début août 2016 par la société d'exploration britannique Sound Energy pourrait toutefois modifier les scénarios, si les premières estimations faisant état d'un « potentiel de plus de 6 milliards de mètres cubes par an » venaient à être validées.
2.2 « Gas to Power »,
un plan marocain stratégique
L'annonce du projet de gazoduc intervient deux ans après le lancement par le Maroc d'un vaste plan gazier : « Gas to power ». Il ambitionne de faire passer la consommation de gaz naturel du royaume de 0,9 milliard de m3 en 2014à 5 milliards de m3en 2025 pour produire de l'électricité et fournir l'industrie.
Le projet « Gas to Power » initié par le Maroc doit courir jusqu'en 2025 et sans doute au-delà. Il consiste en la réalisation des différentes infrastructures :
- une jetée maritime et un terminal GNL incluant des bacs de stockage à Jorf Lasfar, à environ 120 km au sud de Casablanca ;
- quatre centrales électriques à cycles combinés CCGT à gaz, totalisant une puissance d'environ 2,4 GW. Deux seront construites à Jorf Lasfar et deux autres à Dhar Doum, au nord de Kénitra.
- des bretelles de raccordement des centrales CCGT et éventuellement des cavités souterraines de stockage du gaz;
- un gazoduc de transport reliant le terminal GNL au Gazoduc Maghreb Europe existant près de Tanger sur environ 400 km, en desservant au passage les centres de consommation des régions de Casablanca, Mohammedia et Kenitra.
A travers ce plan, il s'agit essentiellement de construire un terminal gazier à Jorf Lasfar pour réceptionner du gaz naturel liquide (GNL) arrivé par bateau depuis la vingtaine de pays qui ont déjà exprimé leur intérêt. Sur place, le liquide est re-gazéifié, puis acheminé, via gazoduc, vers différentes centrales sur le territoire, à construire ou à adapter. Le coût de ce projet est évalué à 4,6 milliards de dollars.
Le Maroc va donc devoir coordonner son plan gazier avec ce nouveau projet qui s'inscrit dans le cadre d'une vaste offensive diplomatique du Maroc en Afrique. La réalisation du plan Gas to power doit s'étaler sur une dizaine d'années. Une centaine d'entreprises, dont EDF, ENGIE ou GAZPROM ont d'ores et déjà répondu à l'appel à manifestation d'intérêt.
Le Maroc et le Nigéria ont signé bien plus qu'un accord pour acheminer le gaz vers le Royaume, qui en a besoin pour diversifier son mix énergétique. Le recours à l'importation par le gazoduc ouest-africain pourrait cependant remettre en cause la structuration actuelle du plan. Celui-ci mise, jusqu'ici, sur l'importation de gaz naturel liquéfié (GNL) par voie de mer via un port dédié encore à construire. Les infrastructures portuaires et de regazéification représentent ainsi à elles seules près de 30% du coût de tout le Plan « Gas to power », évalué en 2014 à 4,6 milliards d'euros par le ministère de l'Industrie, alors que, par ailleurs, le Maroc prévoit près de 15 milliards de dollars d'investissements (surtout via des capitaux privés) dans les énergies vertes d'ici à 2030.
2.3 Le gazoduc Nigéria-Maroc, levier pour l'indépendance gazière
L'approvisionnement en gaz de nos deux centrales se fait sur les quantités perçues au titre des royalties du passage du gazoduc Algérie-Espagne par le territoire marocain. En effet, le Maroc et l'Algérie sont liés par un contrat qui autorise notre voisin à utiliser un gazoduc traversant le Maroc pour approvisionner le marché européen. En contrepartie, le Royaume obtient des redevances en nature, sous forme de gaz. En tout, le Maroc pompe quelque 750 millions de m3 de gaz, par an, sur ce pipeline. Dans la Loi de Finances 2016, la valeur de cette quantité de gaz est évaluée à quelque 2 milliards de dirhams.
Ce gaz est cédé à l'ONEE et sert principalement à alimenter la centrale à cycle combiné de Tahaddart et la centrale thermo-solaire d'Aïn Beni Mathar. Ces deux centrales étaient d'ailleurs exclusivement approvisionnées par le gaz algérien jusqu'en 2011, date à laquelle l'Etat marocain a signé un contrat d'approvisionnement sur les marchés internationaux qui court sur dix ans. Cela permettait de réduire la dépendance de ces unités de production d'électricité, au contrat avec l'Algérie.
Le Maroc n'envisage pas en effet, d'importer plus de gaz algérien qu'il ne le fait déjà - près d'un milliard de mètres cube - via le Gazoduc Maghreb Europe qui relie l'Algérie à l'Espagne. Cet approvisionnement est permis par les royalties dues au titre du passage du gazoduc sur le sol marocain et d'un contrat signé avec la Sonatrach en 2011. Ces deux contrats expirent en 2021. Le projet de Gazoduc Nigéria-Maroc devrait renforcer la position du Maroc pour la négociation des redevances liées au passage du gaz algérien, si toutefois le contrat entre les deux pays est reconduit. En effet, lors de la présentation de la feuille de route pour le développement du gaz naturel, en décembre 2014, le ministre de l'Energie et des mines a clairement laissé entendre que la stratégie marocaine devait tenir compte d'une possible non reconduction de l'accord entre les deux pays. Cette non-reconduction avait même été retenue parmi les principales hypothèses servant au calcul des besoins en gaz du Maroc. Et que le pays devrait satisfaire en s'approvisionnant sur les marchés internationaux.
2.4 Le gazoduc Nigéria-Maroc, des atouts concrets de mise en œuvre
Le Nigeria dispose des plus importantes réserves de gaz naturel en Afrique et sa production a atteint son record en 2016 (50 milliards de mètres cubes). Un important gisement offshore a été découvert en janvier 2016 à la frontière du Sénégal et de la Mauritanie. Ses réserves sont estimées à 450 milliards de m3, soit le plus grand gisement d'Afrique de l'Ouest. Quant au Maroc, il produira du gaz d'ici 2 à 3 ans, avait annoncé le ministère de l'Energie et des Mines en 2015. Le Gazoduc Nigéria-Maroc alimentera éventuellement l'Europe, mais sera aussi une source d'approvisionnement du plan gazier marocain qui cherche à diversifier ses sources d'approvisionnement.
L'objectif du projet de gazoduc maroco-nigérian sera donc d'étendre le pipeline qui ne traverse actuellement que quatre pays (Nigéria, Bénin, Togo et Ghana) vers le Maroc en passant par Dakar. Le projet d'extension du pipeline vers le Sénégal a été validé par la CEDEAO (Communauté économique des états de l'Afrique de l'ouest).
D'autre part, la configuration du financement du pipeline nécessite des études techniques qui vont être réalisées incessamment. Elles devront peut-être, et entre autres, tenir compte des raisons d'échec de deux projets similaires, qui n'ont jamais vu le jour :
Le Trans-Saharangas pipeline notamment, qui devait alimenter l'Europe en gaz nigérian via l'Algérie. La Sonatrach algérienne et la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC) avaient signé un mémorandum d'entente, en 2002, 14 ans avant celui d'Ithmar et de la NSIA. Le projet, estimé à 12 milliards de dollars, n'a jamais vu le jour, essentiellement pour des questions de sécurité. Même s'il n'a jamais été officiellement enterré, le projet algérien se trouve remis en cause. L'échec a conduit le Maroc à miser sur une approche d'intégration régionale.
Le pipeline reliant l'Afrique de l'Ouest à l'Europe envisagée par la société américaine Van Dyke, qui, après avoir acquis des millions d'hectares de concessions sur les côtes du Sénégal et du Maroc, avait conduit des études topographiques pour l'étude du tracé de gazoduc. Ce projet américain prévoyait d'exporter du gaz autre que nigérian, mais il semble avoir été égaré.
Pour rappel, le mémorandum d'entente entre l'Algérie et le Nigéria pour la construction d'un gazoduc transsaharien d'une capacité de 20 à 30 milliards de m3 n'a jamais eu de suites. En cause, la présence de groupes terroristes dans le nord du Nigeria et au Sahel, mais également le manque de financement et l'absence d'engagement de l'Union européenne par des accords commerciaux. Les pays clients ont affiché des réticences face au risque sécuritaire qui mine la région et qui pourrait être à l'origine d'interruptions intempestives d'approvisionnement. En raison de ce facteur d'incertitude, le promoteur a échoué à réunir les financements nécessaires, condamnant ce projet à un report sine die, voire à une paralysie permanente.
Bien que couvrant une plus longue distance et justifiant d'un coût supérieur, le pipeline proposé par le Maroc est prêt à remplir toutes les conditions de sécurité et de financement.
Pour l'heure, la diplomatie nigériane a souligné son attachement à une plus grande ouverture sur le marché européen de l'énergie, tout en mettant à profit les affinités et la complémentarité développées avec le Royaume du Maroc et les pays d'Afrique de l'Ouest. Dans ce contexte, le Maroc a déjà réussi à obtenir l'adhésion de plusieurs pays de l'Afrique de l'Ouest pour ce projet estimé à plusieurs milliards de dollars, et qui acheminera le gaz nigérian jusqu'au marché européen. C'est un gazoduc qui va souder les relations entre le Maroc et le Nigeria ; et entre les deux, une quinzaine de pays sont intéressés par le passage du précieux gaz, contre leur électrification.
(Demain suite et fin de « Gazoduc Nigeria-Maroc : Le levier d'Archimède »
III- Faisabilité comparée gazoduc/méthanier-gnl, l'argument décisif face au scepticisme)


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