Le 3 décembre 2016, lors de la visite de Sa Majesté le Roi Mohammed VI à Abuja, le Maroc et le Nigeria ont conclu un partenariat pour le financement d'un projet de gazoduc. Il s'agit d'un pipeline de gaz qui va traverser toute la côte Ouest africaine jusqu'au Maroc et éventuellement l'Europe. Selon un communiqué du Cabinet Royal, la faisabilité technique et le financement du géant projet de gazoduc ouest-africain étaient au cœur d'une rencontre entre responsables marocains et nigérians mardi 13 décembre 2016 à Casablanca. Cette réunion de travail s'est tenue sous la présidence du Roi Mohammed VI. Le projet avait été annoncé à l'occasion de la visite du Souverain marocain à Abuja où il avait rencontré le président Muhammadu Buhari. Le méga projet de gazoduc entre le Nigeria et le Maroc constitue irrévocablement, et entre autres, l'une des grandes percées diplomatiques et géostratégiques développées tout récemment par le Souverain du Royaume en faveur des Marocains et des pays amis africains. A propos du levier d'Archimède Dans l'histoire des Sciences, Archimède fut un grand scientifique grec de l'antiquité (287 avant J.-C. / 212 avant J.-C.), physicien, mathématicien et ingénieur. On lui attribue plusieurs inventions ou découvertes comme la vis d'Archimède, la roue dentée, la poussée d'Archimède... S'il est l'auteur d'études et de résolutions de problèmes de théorie pure, on le connaît surtout pour ses travaux d'ingénieur. A ce titre, il a imaginé la théorie du levier qui eut des applications très larges, notamment dans les transports. Toutefois, c'est grâce au principe d'hydrostatique qu'il est considéré comme l'un des génies du monde antique. Ainsi, trois siècles avant notre ère, Archimède aurait-il dit : « Donnez-moi un point fixe et un levier et je soulèverai la Terre. » ; plus connue sous l'expression :« Donnez-moi un point d'appui, je soulèverai le Monde » ; ou encore sous la forme : « Pourvu qu'on me donne un point d'appui, je soulèverai la Terre » ! Cette sentence émane de la loi fondamentale des leviers d'Archimède, résumée comme suit : voir photo jointe La sentence en question présente à l'esprit une image grandiose du « principe d'une moindre puissance capable de surmonter une plus grande résistance », qu'Archimède assume au début de son célèbre traité de l' « Équilibre des Plans », mais qu'il avait sans doute établi théoriquement dans son traité intitulé : « Sur les fléaux de Balance ». Trêve de philosophie, et autrement dit, la force nécessaire pour lever l'objet est inversement proportionnelle à la distance du point d'appui à laquelle elle est appliquée : « Plus le levier est grand, plus la force requise est faible ». Quant à l'hydrostatique, elle représente l'étude des fluides immobiles. Fondée par Archimède, c'est un cas de la mécanique des fluides riche d'enseignements. En physique, on appelle « équilibre hydrostatique » : l'état atteint par un système lorsque les forces de gravitation sont contrebalancées par un gradient de pression de direction opposée. Sans commentaire, de quoi dissuader l'ennemi ! S'agissant ainsi de gazoduc, il s'agit bel et bien de transport ; et dans ce cas précis, le transport du gaz naturel, une ressource stratégique. A plus forte raison, l'inconvénient du gaz naturel, c'est son transport pour lequel il n'existe que deux (02) solutions : - Le gazoduc (voir paragraphe 3.1) ; - Les méthaniers pour le transport du gaz naturel liquéfié (LGN), représentent la seconde solution (voir paragraphe 3.1) , en l'occurrence pour combler les pics de demande des industriels, commerciaux et particuliers, ou faire du « saut d'obstacle » par voie maritime ! Bref aperçu des flux de gaz naturel dans le Monde Les tableaux et la carte ci-après résument les principaux échanges extérieurs respectivement par gazoduc et sous forme liquéfiée. On voit notamment l'importance des échanges intra-européens et des importations de gaz russe. I- Le Gazoduc Nigeria-Maroc : Défi à la précarité énergétique en Afrique Le Maroc et le Nigeria se sont mis d'accord, pour mettre à l'étude la construction d'un gazoduc offshore entre l'Ouest nigérian et le Maroc. L'objectif du projet est de construire une extension de l'actuel gazoduc ouest-africain, vers le Maroc et l'Europe, en passant par Dakar et en longeant la côte ouest-africaine. Selon les médias, le géant projet maroco-nigérian prendra appui sur le gazoduc ouest-africain déjà fonctionnel depuis 2010 et qui relie actuellement les zones gazières du Sud du Nigeria au Bénin, au Togo, et au Ghana, et va s'intégrer en partie au vaste plan gazier du Maroc. De fait, la position géostratégique du Maroc aux portes de l'Europe, en tant que trait d'union entre les grands producteurs d'hydrocarbures africains et le vaste marché occidental, fait déjà du Royaume un acteur incontournable non seulement pour le transit du gaz, mais aussi de l'or noir. 1.1 Le défi à la précarité énergétique en Afrique L'Afrique est confrontée à un problème de précarité énergétique et d'accès à l'énergie ; et a besoin chaque année de 7 000 MW de production d'électricité. L'objectif du pipeline est « d'accélérer les projets d'électrification dans toute la région de l'Afrique de l'Ouest », précise un communiqué d'Ithmar publié le 4 décembre 2016. La longueur, le tracé exact et le financement détaillé de ce projet ambitieux ne sont pas pour l'heure connus, mais l'on a désormais plus de détails sur la philosophie de ce gazoduc. L'objectif est ainsi de créer « un marché régional compétitif » de l'électricité, qui pourra être relié à l'Europe et permettre le développement de pôles industriels intégrés (industrie, agro-business, engrais, ...). Le Maroc et le Nigeria espèrent ainsi attirer vers le continent des capitaux étrangers, améliorer la compétitivité des exportations, et stimuler la transformation locale des ressources naturelles. Ce projet structurant permettra à terme à tous les pays de l'Afrique de l'Ouest d'alimenter leurs centrales respectives en gaz, mais aussi d'alimenter leurs unités industrielles et domestiques en énergie propre. Les récentes découvertes d'importants gisements de gaz au Sénégal et au Niger, de même que l'exploitation prochaine de nouvelles découvertes en Côte d'Ivoire et au Ghana, laissent augurer d'un avenir prometteur pour ce projet de gazoduc. Ce «trans-africain pipeline», ainsi que d'autres projets visant à développer une plate-forme de production d'engrais au Nigeria, sont sans conteste des initiatives stratégiques à forte empreinte Sud-Sud qui donnent la mesure du partenariat maroco-nigérian florissant entre les deux nations. Le gazoduc ambitionne ainsi une petite révolution économique et énergétique en Afrique de l'Ouest. En effet, au-delà des intérêts maroco-nigérian, voire européen, ce pipeline permettrait d'électrifier toute l'Afrique de l'Ouest, qui demeure confrontée à un problème de précarité énergétique et d'accès à l'énergie. Le géant projet de gazoduc révèle la ferme volonté de rattraper le temps perdu pour concrétiser une intégration régionale soucieuse des réels besoins des Africains. 1.2 Le gazoduc Nigeria-Maroc : levier stratégique pour l'Afrique de l'Ouest Ce gazoduc se propose de prolonger sur près de 3 000 km le Gazoduc Ouest-Africain qui joint déjà le Nigeria à Cotonou au Bénin, Lomé au Togo et Téma et Takoradi au Ghana sur 678 km. Il traverserait le territoire alors de nombreux pays dont le Sénégal, la Mauritanie, mais aussi, côté marocain, les provinces sahariennes du Royaume Chérifien. Dans sa version initiale, l'actuel Gazoduc Ouest-Africain qui est géré par Wapco, un consortium comprenant des Etats mais aussi Chevron (opérateur) et Shell, affiche une capacité de 5 milliards de m3 par an (soit, à titre de comparaison, environ 10% de celle du récent gazoduc NordStream qui relie la Russie à l'Europe). Mis en place par les autorités nigérianes, le pipeline géré par la West AfricanGas Pipeline Company Limited (WAPCo) a pour vocation principale « d'assurer, en toute sécurité, responsabilité et fiabilité, et à des prix compétitifs par rapport aux autres combustibles, le transport du gaz naturel depuis le Nigeria vers les marchés du Bénin, du Togo et du Ghana ». Le coût de ce gazoduc est estimé à 974 millions de dollars, soit environ 9,74 milliards de dirhams. La prolongation pourrait impliquer un accroissement de capacité du gazoduc Wapco, surtout, si le projet Nigeria-Maroc devait à terme rejoindre l'Espagne. Par ailleurs, ce type d'infrastructure suppose toujours la conclusion d'accords commerciaux à long terme avec des clients identifiés pour sécuriser les financements ; mais également la négociation du tracé et des droits de passage avec les pays riverains, soit en l'espèce huit Etats. Concrètement, le partenariat maroco-nigérian ouvre la voie à l'alimentation en énergie des pays traversés par le futur gazoduc. Premier du genre, ce projet gigantesque entre le Golfe de Guinée et le Maroc pourra à terme relier également l'Europe, gros consommateur des hydrocarbures. Un tracé encore non défini, mais qui pourrait atteindre les 6000 kilomètres. La portion qui existe déjà constitue le West AfricanGas Pipeline (WAGP) qui dessert le Bénin, le Togo et le Ghana, voisins du Nigeria. La CEDEAO (la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) a validé le 28 avril 2016 un projet d'extension du gazoduc jusqu'en Côte d'Ivoire et au Sénégal. Parmi les alternatives financières, le projet maroco-nigérian peut capitaliser sur cette structure. Financièrement, il pourrait être avantageux de s'appuyer sur une structure existante. 1.3 Les fonds de souveraineté réciproques, garanties du gazoduc Le méga-projet de gazoduc, officialisé le 3 décembre 2016 par Sa Majesté le Roi Mohammed VI et le Président Muhammadu Buhari, a été accompagné par la signature, en présence des deux chefs d'Etat, d'un accord de partenariat stratégique (SPA) entre les fonds souverains des deux pays : le fraîchement constitué Ithmar Capital (l'ex-fonds marocain de développement touristique FMDT reconverti en fonds souverain), et le fonds souverain du Nigeria, Nigeria Sovereign Investment Autority (NSIA ). Les deux pays ont signé un mémorandum d'entente (MoU) qui concrétise l'adhésion de NSIA à l'initiative GGIF (Green Growth Infrastructure Facility) for Africa initiée lors de la COP22 par la Banque Mondiale et le Maroc. Ce mémorandum a pour objectif de « catalyser la transition de l'Afrique vers une économie verte ». Le « trans-africain pipeline » ainsi que d'autres projets, comme celui visant à développer une plate-forme de production d'engrais au Nigeria, sont sans conteste des initiatives stratégiques à forte empreinte Sud-Sud qui donnent la mesure du partenariat naissant entre les deux puissances continentales. Le gaz et la production d'électricité ne sont pas les seuls domaines de coopérations que va permettre ce nouvel accord stratégique. Ithmar cite la sécurité alimentaire, les infrastructures et les énergies renouvelables au Maroc, au Nigeria, mais aussi dans toute l'Afrique comme perspectives de développement futur. Vu la taille prévisible du projet - plusieurs milliards d'euros - des financements internationaux seront également indispensables. A titre de comparaison, le plus long gazoduc du monde, qui relie l'Est du Turkménistan à l'Ouest de la Chine sur 8700 kilomètres, a coûté 22 milliards de dollars (voir .....). La rentabilité de l'investissement peut être appréhendée dans la logique de développement régional, plus que commerciale. Le fonds marocain Ithmar Capital a précisé dans un communiqué que : ce « mégaprojet [...] sera conçu avec la participation de toutes les parties prenantes, dans le but d'accélérer les projets d'électrification dans toute la région de l'Afrique de l'Ouest, servant ainsi de base pour la création d'un marché régional compétitif de l'électricité, susceptible d'être relié au marché européen de l'énergie, de développer des pôles industriels intégrés dans la sous-région dans des secteurs tels que l'industrie, l'agrobusiness et les engrais, afin d'attirer des capitaux étrangers, d'améliorer la compétitivité des exportations et de stimuler la transformation locale des ressources naturelles largement disponibles pour les marchés nationaux et internationaux ». Enfin, dans l'esprit de réussite, le Nigeria va devoir aussi faire la preuve de la pérennité de ses réserves, à ce jour les plus importantes du continent (5.100 milliards de m3), et de sa capacité à répondre aux besoins croissants de la demande et des prévisions d'exportation.