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Entretien avec Mme Selma Sedki, Professeur et Enseignant-Chercheur à l'Université Ibn Tofail Le « oui mais » de la transition vers un système de change flexible du dirham
La toute dernière réforme du régime de change opérée au Maroc et consistant à augmenter la bande de fluctuation de la parité du Dirham de +/-0,3% à +/-2,5%, tout en maintenant le panier de cotation, a fait couler beaucoup d'encre et est encore sujet à débats. Et pourtant, les autorités monétaires nationales enchaînent les sorties médiatiques et croient dur comme fer en les vertus d'un tel assouplissement. S'ouvrant sur le monde universitaire et revenant sur les tenants et aboutissants d'une telle décision, « L'Opinion » donne la parole à Mme Selma Sedki, Professeur Enseignant-Chercheur à l'Université Ibn Tofail, qui, vis-à-vis de cette mesure, se prononce beaucoup plus du côté du « oui mais » que du côté du « oui » tout court. L'Opinion : Quelle est votre évaluation de la politique économique de manière générale ? Va-t-elle, à votre avis, dans le bon sens ? Est-elle réellement inclusive, génératrice d'emploi et assurant une répartition équitable des richesses ? Mme Selma Sedki : J'estime que, de manière générale, le Maroc dispose de certaines politiques économiques qui sont bonnes et de bien d'autres qui le sont moins. Et j'estime aussi que le but de toute politique économique consiste à contribuer à la création de la richesse. Et à aujourd'hui, force est de constater que cette création de richesse de manière conséquente tarde à voir le jour et, de ce fait, je pense que l'on ne peut parler de politiques économiques suffisamment bonnes. Beaucoup de choses restent encore à faire. L'Opinion : Qu'en est-il de l'élaboration d'un nouveau modèle de développement économique encore au stade de la réflexion ? Mme Selma Sedki : Tout le monde s'accorde à dire que, depuis quelques années déjà, le modèle de croissance économique au Maroc s'essouffle. Ceci est dû à des raisons tout aussi subjectives qu'objectives. Le modèle marocain peine toujours à créer de la richesse et de la croissance économique et il est grand temps de changer de modèle. D'autant plus que plusieurs études récentes évoquent cet état de fait et renvoient à une nécessité de changement de paradigme. D'ailleurs, la crise de 2008 a imposé au niveau mondial ce genre de changement. Au Maroc, je pense que la création de richesse dans un monde de plus en plus ouvert passe aussi par le biais des exportations en tant que locomotive. Ce qui n'est plus le cas au Maroc depuis plusieurs décennies dans la mesure où l'on ne parvient toujours pas à créer un tissu productif convenablement compétitif et créateur de valeur ajoutée demandée en externe. Autrement dit, un tissu productif compétitif à l'export. Partant de là, notre champ de bataille consiste à renforcer l'investissement dans des secteurs créateurs de valeur ajoutée. Or, ces derniers temps, l'on ne jure que par l'immobilier et les infrastructures qui, somme toute, ne sont pas créateurs de valeur ajoutée. Et il est grand temps d'admettre la nécessité d'investir dans l'élément humain et de disposer aussi de la volonté politique pour admettre l'échec de notre système éducatif et tenter de le revoir dans sa globalité sans omettre d'investir dans la santé, de développer le climat des affaires, de créer les conditions de concurrence et d'égalité sur la marché ... et d'opter également pour tout ce qui peut drainer des IDE. L'Opinion : Et la politique monétaire dans toute cette dynamique ? Mme Selma Sedki : La politique monétaire est menée par la Banque Centrale et depuis 2006, en toute indépendance vis-à-vis du gouvernement, par Bank Al Maghrib. C'est une politique qui s'aligne sur les travaux de la nouvelle économie classique développés vers la fin des années 70, plusieurs pays ont opté pour ce modèle dont l'objectif principal est la stabilité des prix. Et jusqu'ici, BAM réussit en ce sens et le Maroc dispose des taux d'inflation des plus bas dans le monde. L'Opinion : Justement, ces taux d'inflation ne risquent-ils pas d'être chamboulés suite à la toute dernière décision relative à la flexibilité du dirham ? N'y a-t-il pas des risques au niveau de l'évolution des prix ? Est-on vraiment en face d'un flottement du dirham ? Mme Selma Sedki : Je ne pense pas qu'il s'agit d'un flottement. L'on est toujours dans le cadre d'un régime fixe. La particularité de ce nouveau régime réside dans le fait qu'il s'agit d'un élargissement de la bande de fluctuation de la monnaie qui est, depuis, passée de plus ou moins 0,3 à plus ou moins 2,5%. La monnaie demeure toujours liée à un panier de devises : 60% à l'euro et 40% au dollar. Je tiens à préciser qu'on est toujours dans le cadre de taux fixes avec un assouplissement. Le flottement présuppose une monnaie qui n'est plus liée à un panier de devises mais qui, plutôt, évolue librement, en fonction du libre jeu du marché. L'Opinion : Cet assouplissement ne présente-t-il pas des risques en termes d'inflation ? Mme Selma Sedki : Peut-être qu'au début, l'on assistera à une petite inflation importée. La demande sur les produits étrangers va augmenter, ce qui peut éventuellement exercer une pression sur les produits nationaux et induire une inflation à l'intérieur. Mais c'est toujours maîtrisable dans la mesure où la bande n'est pas trop grande. Dans certains pays, cette bande va jusqu' ‘à plus ou moins 15%. Le Maroc ne présente pas à ce niveau de grands risques et au vu de la bande, la situation sera toujours maîtrisable. S'il s'agissait d'un passage brusque du fixe au flottant, c'est sûr que le risque serait grand et l'économie ne saurait suivre. L'Opinion : Est-ce à dire que dans le long terme, l'on doit s'attendre à d'autres mesures qui vont suivre ? Mme Selma Sedki : Je pense que oui. Dans une seconde étape, on assistera à un autre élargissement - plus grand cette fois - de la bande. Avant de passer à une troisième étape, à savoir le passage au flottement proprement dit. L'Opinion : A votre avis, la pondération restera la même ? 60% pour l'euro et 40% pour le dollar ? Mme Selma Sedki : Je le pense, étant donné que la majorité de nos échanges sont avec l'UE. L'Opinion : Question de timing, était-ce le moment opportun de procéder à cet assouplissement ? Mme Selma Sedki : Des réserves de change situées à 6 mois d'importation conjuguées à un taux d'inflation des plus bas font que le moment était opportun. Par contre, ce qui me dérange le plus, c'est plutôt le niveau de la dette. Mais je pense que l'on s'achemine vers une restructuration de la dette avec le passage de la dette extérieure à celle intérieure. L'Opinion : Qu'est-il des études d'impact ? Ont-elles été menées par les autorités monétaires ? Mme Selma Sedki : Je le pense. Et généralement, lorsque le passage à la flexibilité s'opère de manière graduelle, il est mieux réussi. D'ailleurs, cette démarche est tout à fait adéquate avec la nature de l'économie marocaine. A condition, bien sûr, qu'elle soit accompagnée de bien d'autres réformes de politique économique dont une réelle volonté d'industrialisation, de création de tissu productif compétitif adossé à un système éducatif adéquat... L'Opinion : Qu'en est-il de l'effet surprise de cette démarche ? Beaucoup d'opérateurs estiment qu'ils n'y ont pas été associés ? Mme Selma Sedki : A ce titre, l'on se rappelle le mois de juillet dernier et la spéculation sur la monnaie qui s'est opérée alors. Et c'est justement cet effet surprise qui renseigne sur le comment va se comporter le marché, sur le comment vont réagir les opérateurs et surtout sur comment va évoluer la monnaie. L'intérêt justement de cette phase transitoire, entre flexibilité et flottement, est justement de développer le marché de change et de permettre aux opéateurs de dépasser la peur de flottement et les habituer aux risques de change. A ce niveau, je tiens à redire qu'étant donné le fait que la bande n'est pas assez large, les éventuels risques ne seront que minimes. L'Opinion : Justement, en revenant au mois de juillet, est-ce qu'il ne vous semble pas anormal, qu'au lieu de manifester des besoins en termes d'instruments de couverture de risques de changes, des opérateurs ont procédé à des mouvements effrénés de spéculation sur la devise ? Mme Selma Sedki : Malheureusement, ces spéculations ont coûté pour le Maroc, la perte d'environ un mois d'importation en réserves de change. Cela montre aussi que la Banque Centrale ne jouit pas encore de la crédibilité vis-à-vis des opérateurs ; or, cette crédibilité est nécessaire pour la réussite de toute politique monétaire. Et que voulez-vous, c'est le goût prononcé pour l'intérêt et le gain. L'Opinion : Ce n'est pas, quelque part, le peu de vigilance des autorités monétaires qui ont sous-estimé la réaction du marché ? Partant de là, seraient-elles en mesure d'intervenir en cas de grandes fluctuations sur le marché ? Mme Selma Sedki : Tant que la bande est fixée, les fluctuations se feront à l'intérieur de la bande, grâce aux interventions de BAM. Ce qui serait intéressant d'observer dans les prochaines semaines, voire mois, c'est le mouvement du taux de change réel. Mais gardons à l'esprit qu'à ce titre, la politique jusqu'ici menée est une politique graduelle, attentive, bien pensée et peut être une politique adéquate. L'Opinion : Ce n'est pas le cas de l'Egypte ? Mme Selma Sedki : Aucunement. L'Egypte est passée à un flottement pur et dur et, déjà à la base, l'inflation était relativement élevée, et le déficit commercial creusé avec des réserves couvrant 3 mois d'importations. Le plus important dans la démarche marocaine est qu'il s'agit d'une politique graduelle. L'Opinion : Justement, cette politique est-elle prise en considération dans l'élaboration-conception d'un nouveau modèle économique pour le Maroc? Mme Selma Sedki : Sûement. Un modèle économique dure au moins une vingtaine d'années et il faut y intégrer le flottement et disposer d'une vision de long terme. A mon avis, Il serait question essentiellement d'un modèle tourné vers l'exportation à forte valeur ajoutée et à même de drainer des IDE et des devises. L'Opinion : Comment assurer une parfaite adéquation entre politique monétaire et économie réelle ? Mme Selma Sedki : D'abord, le Maroc a fait depuis plusieurs décennies des choix en termes d'ouverture et le libre échange. L'ouverture est là, qu'on le veuille ou pas. Il y a des choix sur lesquels l'on ne peut revenir. On veut attirer des IDE, l'épargne internationale et des capitaux non volatils. Et il va sans dire que le maintien d'un taux de change fixe présente une contrainte d'incompatibilité avec ce genre de dynamique. Ce qui renvoie à la trinité impossible des taux de change fixe, libre circulation de capitaux et politique monétaire autonome. Au Maroc, la politique monétaire est conçue par la Banque Centrale, indépendamment du gouvernement, le projet des nouveaux statuts qui sera adopté, sous peu, prévoit une plus grande autonomie de la politique monétaire et de l'autre côté on veut passer à la libre circulation des capitaux. Le taux de change fixe ne sera pas le régime adéquat et la question est ramenée à un choix, somme toute simple. Est-ce qu'on veut s'ouvrir ou garder un taux de change fixe ? A mon avis, il n' y a pas un régime de change optimal pour toutes les économies et dans toutes les situations, il y a un régime de change optimal pour une économie donnée dans un contexte donné. Entretien réalisé par Noureddine BATIJE