Originaires d'Oujda, les Mégri (Hassan, Mahmoud, Jalila, Younes et Nasr, l'actuel flambeau du mouvement musical Mégri) ont créé dans le Maghreb , puis dans le monde arabe, une véritable révolution artistico culturelle qui, de toute évidence, a engendré la création de la « World Music « version arabe Stars symboles du Maroc, à l'instar d'un Houssine Slaoui, Abdelwahab Doukkali, Naima Samih, Abdelhadi Belkhayat ou encore Samira Ben Saïd, les Mégri ont joué un rôle prépondérant et initiateur pour les nouvelles générations suivantes. Devenus une légende vivante, ils nous font encore rêver par leur créativité novatrice visant la scène internationale, avec un clin d'œil et un coup de cœur pour l'Occident. Entretien. * Pour l'Histoire, nous souhaitons savoir comment les Mégri ont réussi à instaurer leur style musical à une époque où toute la planète vibrait sous les rythmes du Rock and roll et pendant que le monde arabe était bercé par les mélodies des Pharaons d'Egypte ? Hassan Mégri : Certes, à l'aube de l'indépendance du Maroc, notre pays était attaché à son africanité et son arabité sous l'ère de Jamal Abdel Nasser, avec des liens bien étroits avec l'Occident par le biais de la culture francophone. Feu le Roi Hassan II avait dit que « le Maroc est un arbre dont les racines sont bien ancrées en Afrique, mais qui respire par ses feuilles en Europe ». C'est dans ce contexte et cette vision « Hassanienne » que les Mégri ont vu le jour musicalement pour accomplir un destin exceptionnel qui les guidera contre vents et marées jusqu'à la célébrité, franchissant ainsi de nombreux obstacles parsemés d'embuches et d'épines douloureuses, et ce, avec abnégation, dévouement et témérité, durant leur longue épopée et leur lutte incessante. Leurs objectifs et leur but essentiels étant d'élever le ton et de mettre au diapason la culture musicale du monde arabe, au même titre que l'Occident. Une lourde tâche très difficile, mais qui demandait l'appui et la participation de l'Etat, comme fut le cas des Beatles en Angleterre et Elvis Presley aux USA. J'ajouterai aussi le cas de Johnny Halliday, s'agissant du prestige de la France au sein de la communauté européenne, ou encore Abdel Halim Hafez, pour maintenir la suprématie de l'Egypte et son hégémonie artistique et culturelle dans les pays arabophones. Or, devant ces géants à l'échelle de la planète, j'ai pensé en tant que citoyen marocain d'utiliser les nombreux atouts que la Radio Nationale possédait à l'époque des années 60 qui étaient, entre autres, l'existence d'un grand orchestre oriental formé de musiciens virtuoses à la mesure de l'« Orchestra al Massya » d'Egypte, puis le nouveau Studio1 doté d'instruments sophistiqués pour permettre des enregistrements de haute qualité, et enfin la possibilité d'une puissante diffusion sur antenne pour atteindre un large public, au-delà même de nos frontières. Or, il s'est avéré que je m'étais trompé sur mon point de vue, car j'ai su très vite à mon propre regret, qu'on gardait ces précieux avantages pour certains artistes privilégiés, au détriment de beaucoup d'autres moins chanceux peut être, mais pleins de talents à ma connaissance. Les citer dans ce bref historique des Mégri, serait à mon humble avis, « remuer le couteau dans les plaies ! ». Toujours est-il que certains chanteurs et compositeurs étaient les seuls à profiter de la Radio Nationale en enregistrant leurs œuvres dans l'un des meilleurs Studios d'Afrique à l'époque. Ce qui fut un énorme avantage pour leurs palmarès artistiques et surtout leurs activités musicales à savoir (soldes mensuelles et cachets à la radio, droits d'auteur, programmes et soirées de télévision, tournées itinérantes organisées à travers le Maroc, production de disques ou cassettes etc...). Tout était dans le meilleur des Mondes pour cette « élite » qui faisait penser plutôt à un « loby » bien organisé et orchestré par le responsable du département musical au sein de la Radio Nationale, de l'époque. Mais si, d'une part, la Radio avait cet aspect philanthropique en participant à la promotion de la chanson marocaine dite moderne, d'autre part, elle l'assassinait. Et ce, en privilégiant la chanson égyptienne, vu l'intérêt particulier qu'elle réservait à celle-ci, à tel point que nous n'avions pas besoin de zapper ou de chercher les ondes lointaines de « la Voix du Caire ». L'Egypte avait au Maroc son havre de choix, qui l'accueillait à bras ouverts. Ainsi, Mohamed Abdelouhab, Farid el Atrach, Oum Kaltoum...et bien d'autres régnaient en maitres et seigneurs sur notre devenir artistique et culturel. L'invasion de leurs films avaient fait le reste dans nos foyers et notre société Arabo Amazighe en quête d'identité. Que restait-il donc de l'« Identité Marocaine » ? Le fameux responsable de l'époque veillait au grain en éliminant tour à tour tout nouveau challenger qui oserait bousculer son autorité et sa notoriété à la Radio. Bien plus, il se complaisait dans ses « créations à la Oum Kaltoum » inspirées de Ryad Sambati, celles-ci n'ayant aucune saveur marocaine, et bien loin de l'apport artistique de l'inoubliable chansonnier Houssine Slaoui qui dans le temps avait eu le courage de créer une chanson engagée, qui répondait au goût des Marocains, tout en critiquant d'une manière subtile et humoristique la présence américaine au Maroc, ainsi que sa société. Cette ère fut catastrophique pour le moins qu'on puisse dire, quant au Patrimoine artistique et culturel de cette période, vu qu'on a bel et bien hérité d'une « chanson marocaine à la manière égyptienne». Ainsi pour réussir auprès d'un public matraqué par la radio depuis son réveil, il fallait penser, composer et chanter égyptien !!! ». D'ailleurs ni Abdelouhab Agoumi, ni Abdeslam Amir et beaucoup d'autres n'ont échappé à cette règle en subissant l'influence de l'Egypte ou bien seraient contraints de disparaitre de la scène. D'ailleurs, même les Mégri furent victime de cette situation critique et insoutenable. Car, je n'avais pas accès au grand orchestre de la Radio donné sur ordre de Ahmed El Bidaoui. Motivé par cet obstacle et non des moindres ! j'ai dû changer de cap, pour découvrir de nouvelles sources bienfaitrices afin de réaliser ma noble mission : celle d'instaurer dans le monde arabe le « Mouvement Musical Mégri » qui aboutira à la création de la World Music arabe. Celle-ci, à ma grande satisfaction m'avait donné le privilège de recevoir la « Médaille d'Or de l'Académie des Arts-Sciences-Lettres » de Paris ( 2007). *A qui faites-vous allusion en parlant de ces nouvelles sources bienfaitrices de cette époque? J'aimerais remercier chaleureusement mes chers amis Ould Zahra Blal, créateur des groupes « Toubkal » et des « Fingers », puis Aziz, le leader des « Golden Hands » qui ont cru en moi, en me permettant alors d'enregistrer mes premières œuvres musicales (Ouadà'touhou, Ifidni Ihe , Aywa Sahhini de Ali al Haddani puis Ya rit et Roubbama), avec leurs formations dotées d'instruments ultra modernes tels (guitares électriques, batterie, percussions, piano, orgue, saxos, trompette, accordéons...) Comme je voudrais rendre un vibrant hommage à notre regretté Abdelouahab Agoumi qui, en tant que directeur de tous les Conservatoires du Maroc, puis conseiller du ministre de la Culture, avait mis à la disposition des Mégri le grand Orchestre symphonique du Conservatoire de Musique et de Danse de Rabat, dans le but d'élever le ton et la valeur musicale de la chanson marocaine des années 70. Les Mégri des débuts (Hassan, Mahmoud et Jalila) ont été les premiers et les seuls à utiliser cet Orchestre symphonique formé uniquement de musiciens français sous la direction de Mariton . Quant à feu sa Majesté le Roi Hassan II, les Mégri lui doivent énormément pour leur avoir accordé un détachement Royal (en 1969) qui leur a donné la liberté de voyager dans le monde et de se consacrer corps et âme à la musique pour réaliser leurs objectifs. La « baraka » de notre illustre Roi Hassan II avait ouvert bien des portes sous nos yeux. Notre illustre et visionnaire Monarque avait vu juste, quand on sait que les Mégri sont à l'heure actuelle la fierté du Maroc et du monde arabe, tout comme les Beatles en Occident. Ainsi détaché à la Radio Nationale, nous avions droit de se servir du grand orchestre National...ce fruit tant défendu. Mais, celui-ci ne me servait plus beaucoup, sauf pour les chansons nationales, du fait que j'avais opté pour un nouveau style musical s'adaptant mieux avec les groupes de la chanson internationale. Brisant les frontières et le mythe égyptien, le Mouvement Musical des Mégri était né, entre temps renforcé par Younes, avec le succès incontestable de « Lili Touil » en 1972. * Vous estimez que la France vous a tendu la main pour vous aider à achever cette magnifique aventure qui est en quelque sorte, une première dans le monde arabe ? Ce que vous dites est tout à fait juste, puisque nous avons eu notre moment de gloire, et je peux vous dire que les Mégri sont entré dans l'Histoire par la grande porte. Non sans peine, bien sûr ! * Etiez-vous conscients que vous alliez provoquer une révolution artistique dans la musique dans ces années-là ? Pour être sincère avec vous, non ! Car, je ne pensais qu'à la survie de cette nouvelle forme musicale qui devait se frayer une place au soleil. Mais, il y avait une force mystérieuse qui guidait mon chemin, me dictant la voix du salut. Suivant mon instinct et mon étoile, j'ai entrepris un long voyage pour les Indes Via katmandou au Népal (1969) dans le but de faire la promotion des MégriI dans les radios du Maghreb et des pays arabes (l'Algérie, la Tunisie, la Lybie, l'Egypte, le Liban, la Syrie, et l'Irak) dans lesquels j'ai réalisé des Interviews sur le Mouvement Musical Mégri. J'ai poussé mon Odyssée jusqu'en Iran, puis l'Afghanistan, le Pakistan Via New Delhi découvrant des musiques insolites et diverses civilisations pleines de richesses culturelles et artistiques...