25 civils, dont six enfants, ont été tués dans des raids aériens sur Raqa, le fief du groupe Etat islamique (EI) en Syrie, a indiqué mercredi l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH). Toutefois, une victoire déjà claironnée par certains optimistes pourrait surtout signifier, en Syrie, le retour sur le devant de la scène d'Al-Qaïda, via sa branche locale du Front al-Nosra. «Tant qu'une alternative arabe et sunnite crédible ne sera pas soutenue sur le terrain en Syrie comme en Irak, Daech maintiendra l'essentiel de ses positions et pourra même regagner une partie du terrain perdu, comme on l'a vu à l?ouest de Palmyre», estime un spécialiste du Moyen-Orient. Si l'hypothèse d'un reflux militaire majeur de Daech reste encore bien lointaine, c'est en Syrie où elle est peut-être la plus envisageable, car «l'emprise populaire de l'EI y est moindre qu'en Irak, véritable coeur du califat d'al-Baghdadi», observe sous couvert d'anonymat un expert syrien du conflit. Une défaite d'envergure, voire la perte de Raqqa - capitale de l'EI dans le nord de la Syrie - n'entrainerait pas pour autant la fin des jihadistes dans le pays. Car en quatre ans d'un conflit sanglant qui a fait près de 280.000 morts, le Front al-Nosra s'y est imposé comme un fer de lance de la rébellion face au régime, et un rival dangereux de l'EI, tout en ménageant les autres groupes rebelles islamistes, notamment les salafo-nationalistes d'Arhar al-Sham. «Dans un premier temps, beaucoup de combattants défaits de l'EI - Syriens et étrangers - viendront tout simplement gonfler les rangs d'al-Nosra», estime l'analyste syrien. «Al-Nosra va ensuite capitaliser encore un peu plus sur le sentiment d'abandon des sunnites dans les régions sous son contrôle dans le nord-ouest de la Syrie», poursuit cette source. Faute de négociations de paix crédibles, les populations de ces zones (Idlib, ouest d'Alep et une partie de la province de Lattaquié) n'ont toujours aucune perspective de solution politique dans ce conflit sans fin. Au quotidien, elles continuent de subir les ravages des bombardements aériens russes et du régime, avec des massacres réguliers d'enfants et de civils, dans la plus parfaite indifférence internationale. «Tout concourt aujourd'hui à radicaliser encore un peu plus ces populations des zones rebelles, qui se sentent totalement abandonnées», déplore la source syrienne. Les rebelles islamo-nationalistes d'Arhar al-Sham, puissamment implantés localement, y restent pour l'instant la première force militaire. Mais al-Nosra n'a eu de cesse ces quatre dernières années de s'y enraciner et d'accroitre ses capacités militaires, note Charles Lister, chercheur au Middle East institute, dans un récent article pour la revue Foreign Policy. Bientôt un émirat d'Al-Qaïda? Surtout, «Al-Qaïda a de grandes ambitions en Syrie» et travaillerait à faire de ce pays son nouveau fief, dans une stratégie au long terme, avec «l'avènement d'un émirat, premier Etat souverain d'Al-Qaïda», selon M. Lister. Anticipant la défaite de l'EI dans la terre mythique du Sham, l'organisation d'Ayman al-Zawahiri, réfugiée dans les confins de l'AF-Pak (Afghanistan-Pakistan), aurait envoyé depuis trois ans plusieurs dizaines de ses cadres dirigeants en Syrie. Figurerait parmi eux, toujours selon M. Lister, l'Egyptien Saif al-Adel, insaisissable vétéran du jihad mondial et l'un des premiers compagnons de route d'Oussama ben Laden. Sa tête est mise à prix 5 millions de dollars par Washington. Sa présence en Syrie n'a néanmoins jamais été confirmée. Leur mission? Renforcer le leadership local d'al-Nosra, dissiper les inquiétudes des groupes rebelles islamistes -pour l'instant très majoritairement opposés à la création d'un émirat -, et préparer le déménagement durable d'Al-Qaïda centrale de l'Af-Pak vers la Syrie, énumère le chercheur. Al-Qaïda pourrait alors se présenter «comme le mouvement jihadiste le plus intelligent, le mieux structuré, le plus crédible», par contraste avec l'extrémisme de l'EI, ajoute M. Lister, pour qui cette «stratégie est susceptible de s'attirer une bien plus large sympathie dans le monde sunnite». Dans ce contexte, une décision de classer Arhar al-Sham ou d'autres groupes armés islamistes comme organisations «terroristes», apparemment à l'étude dans plusieurs chancelleries occidentales, «serait une catastrophe», souligne l'analyste syrien. «Car elle précipiterait leur alliance avec al-Nosra, et finirait de jeter les populations de ces zones rebelles dans les bras d'Al-Qaïda». Raqa sous les bombes Sur le terrain, les raids menés mardi ont visé plusieurs quartiers de la ville de Raqa et fait des dizaines de blessés dont certains sont dans un état critique, a précisé l'OSDH, ajoutant qu'il était dans l'immédiat impossible de savoir qui avait effectué ces frappes. Les aviations syrienne, russe ainsi que celle de la coalition internationale antijihadiste emmenée par les Etat-Unis conduisent des raids contre les positions de l'EI à travers tout le pays en guerre. Environ 300.000 personnes vivent toujours dans la ville de Raqa, où l'EI est accusé d'utiliser les civils comme «boucliers humains». Les forces prorégime, appuyées par l'aviation de son allié russe, avait lancé le 3 juin une offensive pour s'emparer de la ville clé de Tabqa, à une cinquantaine de km à l'ouest de la ville de Raqa, chef-lieu de la province du même nom et capitale de facto de l'EI en Syrie. Mais les jihadistes ont réussi à les repousser dimanche hors de la province après une contre-attaque, alors que les forces de Damas s'étaient rapprochées à sept km de l'aéroport de Tabqa. Le régime a perdu plus de 40 hommes dans la contre-attaque des jihadistes, avait indiqué l'OSDH, une organisation basée en Grande-Bretagne qui dispose d'un vaste réseau de sources. Dans la province voisine d'Alep, plus à l'ouest, l'EI, également sur la défensive, a mené lundi une contre-offensive pour desserrer l'étau autour de son fief de Minbej, assiégé par l'alliance arabo-kurde des Forces démocratiques syriennes (FDS). Au moins trois kamikazes de l'EI y ont attaqué mardi les FDS près de cette ville, a ajouté l'OSDH sans mentionner de bilan. L'EI contrôle depuis 2014 Minbej, carrefour routier pour l'approvisionnement des jihadistes entre la frontière turque et la ville de Raqa. La guerre en Syrie, déclenchée en mars 2011 par la répression de manifestations prodémocratie, a fait plus de 280.000 morts et poussé à la fuite des millions de personnes.