En paraphrasant un adage venu d'ailleurs, on peut dire que «impossible» n'est pas marocain. Les propos très graves du ministre Anis Birou, chargé des MRE et des affaires de la migration, relatifs à la participation directe des MRE aux législatives 2016, sont l'expression d'une attaque frontale par le gouvernement Benkirane, des acquis constitutionnels de la Jaliya. Ils constituent selon le titre pertinent de l'éditorial de Sarie Abdeslam, paru dans «Dounia-News» du 14 mai 2016 « une déclaration de divorce «, si ce n'est une véritable «déclaration de guerre « contre les citoyens marocains à l'étranger. II - Une déclaration de guerre ! Relevons tout d'abord un élément important. En tant qu'analyste et observateur actif et assidu de la scène migratoire marocaine, on constate que cette intervention concernant les droits politiques des citoyens MRE, est des plus belliqueuse et guerrière auxquelles on ait pu assister, mettant du sel sur les plaies et (ré) ouvrant en quelque sorte les hostilités avec la communauté marocaine résidant à l'étranger, au lieu de tenter de résoudre le passif. Avec respect pour la personne, nous le déclarons, mais notre devoir est de le dire avec une grave tonalité d'alerte, sans mettre la chose sous le boisseau. Nous suggérons d'organiser par le ministère un débat public pluriel, avec la participation de la société civile MRE et où les diverses visions en présence puissent être discutées en toute transparence. Les moyens d'information publics, qui se contentent le plus souvent de répercuter et de prendre le relais de ce qui est déclaré officiellement sans débat contradictoire dans les séances d'ouverture de séminaires, de colloques, de journées d'étude, sont aussi concernés, faute de débat pluriel, comme à Marrakech et dans bien d'autres occasions. Par ailleurs, on ne peut réduire au silence ceux dont l'éthique de conviction est la règle de vie et qui s'en tiennent à l'exactitude des faits, sous prétexte que, dans une conception étriquée de la citoyenneté et de l'appartenance nationale, le dossier politique des citoyens marocains résidant à l'étranger, ne peut être discuté que par les Marocains de l'extérieur. De même, à ceux qui nous disent : pareille analyse ou l'expression de ces revendications n'ont rien de nouveau, de «novateur», faisant office de «déjà lu, vu et entendu», que « ça été ressassé et rabâché «, «dit sous toutes les coutures», nous dirons que dans ce dossier précis des droits politiques des MRE par rapport au Maroc, nous ne sommes pas à l'affût de l'insolite, à la recherche d'originalité, de production de «l'inédit» à tout prix, du neuf pour le neuf coûte que coûte, ou à la recherche de l'exclusif, de distinctions et de «perle rare» pour susciter l'émerveillement et surprendre. Aux allergiques à la critique constructive et à ceux qui, parmi les responsables de la gestion du dossier migratoire marocain, nous reprochent notre «leitmotiv», voire même pour certains notre «obsession» consistant à soulever depuis des années la question des droits politiques des citoyens MRE par rapport au Maroc, nous dirons que lorsqu'une situation de blocage dure et perdure, que ses responsables persistent et signent, que certains veulent donner du temps au temps pour jouer en fait du temps et faire oublier la nécessité de mettre en pratique un certain nombre de droits, on ne peut tourner la page et passer à autre chose. On ne peut s›imposer sur ce plan une diète d›écriture, une cure de réflexion pour l›action. Nous ne suivons pas un effet de mode, mais nous agissons par conviction et par devoir citoyen. Nous faisons nôtre cette formule de Thucydide : « Un homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile ». Bien entendu, la recherche pour l›action et le plaidoyer doivent évoluer avec la transformation des aspects multidimensionnels du vaste dossier de la communauté marocaine résidant à l›étranger. Ce à quoi nous nous attelons en abordant d›autres dimensions de ce dossier intersectoriel. Mais tant qu›une question de la plus haute importance comme celle-ci reste non résolue et que de plus, pour maintenir le statu quo, les adversaires de la participation politique et de la représentation parlementaire des citoyens MRE continuent à utiliser des arguments fallacieux et mensongers pour ne pas fournir la solution juste et équitable qui réponde à une revendication citoyenne des plus légitime, alors il faut en parler et en reparler. La nécessité de poursuivre le débat s›impose pour déconstruire les arguments «antiparticipationnistes» et fournir des alternatives crédibles. Car, ce n›est pas un débat banal, une broutille, un débat clos, dépassé ou, en définitive, une discussion stérile et insignifiante. Les Marocains vivant hors des frontières nationales ont le droit d›avoir des droits politiques par rapport au Maroc, liés à la citoyenneté marocaine, une citoyenneté active et responsable. Ces droits politiques ne sont pas un luxe mais une nécessité démocratique. Cette question n›est pas encore réglée, en raison notamment de l›usage d›arguments mensongers par certains pour qui, l›important n›est pas de faire ce qu›ils pensent en leur âme et conscience en toute impartialité et indépendance d›esprit, mais de faire ce qu›on leur demande de faire, en cédant aux influences «officieuses» . Ces éléments importants doivent être dits et redits, sans lassitude et sans fard. En cela, ce précepte du Coran renvoyant au verset 42 de la sourate 2 (La vache), nous interpelle tous : «Ne couvrez pas le Vrai par le faux et ne taisez pas la vérité alors que vous savez». Sur ce plan, l›écriture réalisée dans cet esprit, est un acte citoyen. On ne nous aura pas à l›usure. «Mamfakkinch», diront certains ! En précisant qu›au delà des critiques constructives qui ont été faites sur les politiques passées et les politiques en cours en la matière, ce qui nous importe toujours, c›est l›avenir et la construction. On constatera ainsi que les trois approches qui sont discutées ici (Marrakech-Rabat; Paris; Montréal), quels que soient leur angle d›attaque et les arguments utilisés, ainsi que les bonnes intentions de l›approche de Paris, concourent, volontairement ou non, à l›obtention du même résultat : priver les citoyens MRE de l›effectivité de la plénitude de leurs droits politiques par rapport au Maroc. Chose qui ne peut évidemment nullement être acceptée. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi ce problème politique n›a pas été résolu depuis si longtemps ? Où se situent les responsabilités de ce blocage et qu›elle est la part de chacun des acteurs principaux ? Dans les développements qui suivent, nous focaliserons notre attention d›abord sur les partis politiques marocains, en explicitant au préalable les raisons de cette démarche, puis nous analyserons les développements récents de la politique du ministère chargé des MRE sur cet aspect politique du dossier. Enfin, un certain nombre de suggestions pour l›action, seront développées. III - Partis politiques marocains et dossier des droits politiques des MRE Au delà des gouvernements, qui sont composés principalement des représentants des partis politiques, et au-delà des responsables de certaines institutions nationales consultatives, comme le CCME et le CNDH pour les années récentes qui ont joué un rôle négatif en la matière, la non résolution de la question de la participation politique et de la représentation parlementaire des citoyens MRE par rapport au Maroc, revient d›abord et avant tout aux partis politiques. Les interpeller dans ce domaine en ce moment est très important vu leur rôle central dans la vie politique, parlementaire et institutionnelle. Ils participent à la gestion gouvernementale (ou à l›opposition au gouvernement), à l›élaboration et au vote des lois, à la formation de l›opinion publique... Par conséquent, on n›est pas là pour dénigrer ou dégrader le rôle qui doit être reconnu, par tous, aux formations politiques. Ce n›est pas un réquisitoire anti-partis. Bien au contraire, dans ce domaine précis des droits politiques des MRE par rapport au Maroc comme en d›autres, on ne peut dégommer les politiques et les partis. Ces derniers jouent en effet, faut-il le rappeler, un rôle primordial et incontournable dans la vie politique nationale, ayant la mission constitutionnelle d›encadrer les citoyens. Rien ne peut se faire sans eux dans la vie démocratique du pays. L›article 7 de la Constitution de 2011 leur est d›ailleurs consacré. En voici le premier paragraphe, qui fait référence aux citoyens marocains en général, qu›ils soient à l›intérieur du pays où à l›extérieur : «Les partis politiques œuvrent à l›encadrement et la formation politique des citoyennes et des citoyens, ainsi qu›à la promotion de leur participation à la vie nationale et à la gestion des affaires publiques. Ils concourent à l›expression de la volonté des électeurs et participent à l›exercice du pouvoir, sur la base du pluralisme et de l'alternance par les moyens démocratiques, dans le cadre des institutions constitutionnelles ». Voilà pourquoi le suivi et l›évaluation de la pratique des partis en matière de droits politiques des citoyens MRE par rapport au Maroc, est incontournable. Leur responsabilité est d›autant plus grande quand ils sont au gouvernement, dans la mesure où beaucoup d›entre eux, passent du soutien politique aux citoyens MRE quand ils sont dans l›opposition, au refus de cette représentation politique dès qu›ils accèdent (ou veulent s›approcher de l›accession) au pouvoir, comme dans la situation présente, à quelques mois du scrutin législatif du 7 octobre 2016. IV - Mettre l›analyse du dossier en perspective Dans le dossier qui nous préoccupe et que nous avons suivi de très près en tant que chercheur en migration, notamment au niveau des activités parlementaires, de la vie partisane et de la vie politique nationale en général, le passé ne doit pas être occulté et l›Histoire oubliée. Pas d›amnésie, la mémoire a un rôle primordial à jouer, s›y référer est incontournable. L›Histoire de la question des droits politiques des citoyens MRE par rapport au Maroc est celle en effet d›un grand gâchis, avec une série de ratés ! Ce passif démocratique, discuté à nouveau maintenant, date de très loin, de 1992 précisément, c›est à dire plus qu›une génération, et le problème est toujours d›actualité. Le contexte a été la suppression de manière brutale et sans aucun débat, de la première et unique expérience de représentation parlementaire des citoyens MRE qui a démarré en 1984, avec cinq députés de l›étranger issus de cinq circonscriptions électorales législatives de l›étranger (allant respectivement à l›UC, au RNI, à l›USFP, à l›Istiqlal, au Parti du Centre Social), sans chercher à améliorer ce qui pouvait l›être, comme ceci a été fait pour les autres composantes de la Chambre des Représentants et de manière générale pour consolider l›Etat de droit, en réalisant entre temps une série de réformes substantielles. A notre sens, parmi les raisons pouvant expliquer la suppression de cette formule de représentation des MRE, citons deux : - Trois parmi les cinq députés MRE avaient, pendant la législature, changé d›affiliation pour rejoindre le groupe parlementaire Mouvement National Populaire (MNP) de Mahjoubi Aherdane. Il s›agit de Akka Ghazi, Merzouk Ahaidar, Brahim Berbache, venant respectivement de l›USFP, de l›UC et du Parti du Centre Social. Le ministère de l›Intérieur n›avait pas apprécié à l›époque ce ralliement à Aherdane, qui connaissait une traversée du désert. - L›absence de communication entre les cinq députés de l›émigration et le ministère chargée de la Communauté marocaine résidant à l›étranger (créé fin juillet 1990) a amené les responsables de ce département à susciter, à travers le milieu associatif qui leur était acquis («amicales», etc.) toute une campagne contre la poursuite de l›expérience. Sans nous attarder là-dessus, concernant les premières responsabilités des partis politiques marocains, relevons que dans le cadre de la commission nationale de préparation aux élections législatives de 1992, seuls Arsalane El Jadidi (PND) et Mahjoubi Aherdane (MNP) étaient pour la poursuite de la représentation parlementaire des MRE, moyennant certaines améliorations à introduire, en tirant bénéfice de l›expérience acquise entre 1984 et 1992. On notera en particulier que ni l›UC, ni l›USFP qui avaient vu leur député MRE changer de camp durant la législature pour rejoindre le groupe parlementaire du MNP, n›ont plaidé pour la reconduction de l›expérience de députation des MRE. Pour les législatives de 1997, les deux responsables des partis précités furent rejoints par le seul Ahmed Osman (président du RNI) concernant la revendication au retour de la députation des MRE, alors qu›en 1996, les partis politiques de la « Koutla Démocratique » (Istiqlal, USFP, PPS, OADP, UNFP), avaient, mais sans succès, demandé dans un mémorandum au Palais qui avait été «fuité» et non pris en considération, une représentation des citoyens MRE à la deuxième Chambre du parlement, instituée par la réforme constitutionnelle de 1996, qui avait été adoptée par référendum auquel avaient participé également les citoyens. * Universitaire à Rabat, chercheur en migration