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(3ème et dernière partie) Tribune LIBRE : Faire mûrir la formule d'implication politique au Maroc des citoyens marocains à l'étranger et non pas faire mourir et enterrer l'idée même
Nous avons publié dans notre édition d'hier une première partie d'une tribune libre du chercheur en migrations M. Abdelkrim Belguendouz. Un travail qui se veut une réflexion sur l'implication politique des MRE au Maroc ainsi que de leurs droits politiques. Nous poursuivons aujourd'hui, avec une troisième partie, la publication de la réflexion de la tribune de M. Belguendouz. La quatrième interrogation que l'on peut se poser en matière de droits politiques par rport au Maroc des citoyens marocains à l'étranger, est celle-ci : y a-t-il des expériences menées par d'autres pays dans le domaine de la représentation parlementaire de leurs émigrés, dont le Maroc peut s'inspirer ? Capitaliser l'expérience 1984-1992 Pensons d'abord au Maroc lui-même qui a déjà vécu, entre 1984 et 1992, une expérience de représentation parlementaire de ses émigrés, avec la présence de 5 députés de l'émigration, provenant de cinq circonscriptions électorales législatives de l'étranger : Paris (Akka Ghazi, USFP) ; Lyon (Brahim Berbach, Parti du Centre Social) ; Bruxelles (Marzouk Ahaidar, Union Constitutionnelle) ; Madrid (Rachid Lahlou, Parti des l'Istiqlal) ; Tunis (Abdelhamid Naïm, Rassemblement National des Indépendants). On ne peut rejeter globalement cette expérience, en disant, sans démonstration aucune, qu'elle fut un échec total pour justifier le rejet systématique actuel de toute représentation parlementaire des MRE. Cette expérience a connu, bien entendu, des faiblesses et des limites dont il faut tirer les leçons, comme le découpage irrationnel des circonscriptions électorales de l'étranger, mais elle eut également des aspects positifs qu'il faut capitaliser, comme le travail des députés de l'émigration dans le cadre des discussions sur les lois de finances, la sensibilisation d'une série d'acteurs administratifs sur les problèmes concrets des MRE. Toujours est-il qu'on ne peut supprimer définitivement des circonscriptions entières en raison de certaines limites. Si c'est le cas et pour l'époque, on aurait dû supprimer tout le parlement en tant qu'institution, car qu'est-ce qui avait réussi à l'époque ? Or, des évolutions positives ont eu lieu depuis avec des réformes de fond, des progrès tangibles dans la transparence, un affermissement de l'Eat de droit et un élargissement palpable des droits humains. Le Maroc n'est pas isolé Par ailleurs, il ne s'agit pas d'avancer comme le fait la littérature du CCME, tel son livre « la question de la participation et de la représentation politique des Marocains du Monde » (octobre 2013), que « seuls 9 pays » confèrent à leurs ressortissants expatriés la possibilité d'être représentés dans les instances législatives de leur pays d'origine. Or, ces exemples ne sont-ils pas significatifs ? Il s'agit d'abord de la France, avec 12 sénateurs depuis fort longtemps et 11 députés depuis 2012, dont un (Pouria Amishahi, du Parti socialiste français) représentant les Français du Maroc, qui relèvent de la neuvième circonscription électorale législative de l'étranger, constituée de 16 pays : Algérie, Burkina, Cap Vert, Côte d'Ivoire, Gambie, Guinée, Guinée-Bissao, Libéria, Libye, Maroc, Mauritanie, Niger, Sénégal, Siéra-Léone, Tunisie. Les autres pays qui ont une représentation parlementaire de leur émigration sont l'Italie (représentation dans les deux Chambres, à raison de six sénateurs et de douze députés), le Portugal (quatre députés, dont deux pour l'Europe et deux pour le cercle hors de l'Europe), la Croatie, l'Algérie (huit députés à l'Assemblée Populaire), le Mozambique et le Cap-Vert, la Colombie et l'Equateur. La Tunisie a également introduit cette pratique avec 19 députés de l'émigration dans l'Assemblée nationale constituante. Par ailleurs, la Constitution tunisienne, promulguée le 27 janvier 2014, reconnaît explicitement en son article 55 le droit de vote et à la représentation des élu(e)s tunisien(ne)s à l'étranger dans le prochain parlement qui sera élu en octobre 2014, avec notamment 18 députés de l'émigration qui vont être élus sur trois jours (du 24 au 26 octobre 2014), par un vote organisé dans les pays de résidence. De l'expérience acquise par tous ces pays, des enseignements pratiques utiles peuvent être tirés. Encore faut-il le vouloir ! Pourquoi alors le Maroc qui a une communauté expatriée de quelques cinq millions de personnes, qui a connu de grandes avancées démocratiques, en particulier avec la Constitution de 2011 et se caractérise par des liens fondamentaux puissants entre cette communauté et sa patrie d'origine, ne serait-il pas parmi le peloton de tête des pays qui reconnaissent dans la pratique la citoyenneté pleine et entière à leurs ressortissants à l'étranger et les impliquent étroitement dans la vie politique nationale !? Les droits politiques forment un tout Sous le titre « Participation politique rime-t-elle avec élection ? », un article publié à la une depuis plusieurs semaines sur le site web du CCME, tente de délégitimer la participation politique et la représentation parlementaire au Maroc des MRE. Pour son auteur, les initiatives parlementaires tendant à la concrétisation réelle des droits politiques, ne constituent que « des spéculations et des interprétations partielles et partiales » de la Constitution. Deux partis politiques marocains, qui ont pris leurs responsabilités, sont particulièrement visés. Il s'agit « des propositions de loi relatives à la Chambre des Représentants proposées par l'Union Socialiste des Forces Populaires (USFP) et le Parti de l'Istiqlal (PI), où les deux protagonistes offrent une lecture biaisée et cloisonnée de la participation politique de la communauté à l'étranger autour de la représentation parlementaire ». Or, c'est bien l'auteur de l'article qui procède à une lecture étriquée et appauvrie de la Constitution, en voulant en soustraire l'article 17 pour que, comme le souhaitent les responsables du CCME, les MRE n'élisent pas leurs députés à partir des pays d'accueil. De même que pour l'application de l'article 163, il oublie le fait que les mêmes partis politiques (ainsi que le PAM) ont déposé des propositions de loi séparées concernant le CCME constitutionnalisé. Un plus démocratique Par ailleurs et bien sûr, pour le Maroc, d'autres mécanismes de participation politique sont prévus par la Constitution. Ainsi en est-il de l'article 18 qui institue des mécanismes de démocratie participative, avec la nécessaire implication des MRE dans les instances de bonne gouvernance de toutes les institutions nationales consultatives déjà existantes ou prévues par la nouvelle Constitution. Mais, en pratique et à titre d'exemples significatifs, la mise en place du Conseil économique, social et environnemental, ainsi que celle du Conseil supérieur de l'enseignement, n'ont nullement tenu compte, au niveau de leur composition, des exigences de l'article 18 de la Constitution, avec l'absence de nomination de MRE en leur sein. Par ailleurs, les articles 14 et 15 de la nouvelle Constitution ont prévu des mécanismes intéressants de participation politique au niveau de la société civile avec la possibilité de présenter à certaines conditions des pétitions et des initiatives législatives, qui sont à encadrer avec une législation qui n'a pas encore été adoptée. Mais tout ceci est un plus démocratique, qui n'enlève en rien la nécessité du vote et de l'effectivité de la représentation parlementaire pour les citoyens marocains à l'étranger. La cinquième question que l'on se posera est la suivante : dans quelle mesure le vote des MRE peut-il avoir une incidence sur la carte politique au Maroc (le poids des partis) ? Dépasser la peur des résultats des urnes Les partis politiques marocains, qui ont pour vocation l'encadrement des citoyens, ont commencé pour certains, et amplifié pour d'autres leur structuration dans les principaux pays de présence de la communauté marocains à l'étranger. Ainsi en est-il notamment du PJD, du PAM, de l'Istiqlal, de l'USFP, du Mouvement Populaire, du RNI, du PPS, etc. De même, certains d'entre eux, tels l'Istiqlal et le Mouvement Populaire, ont modifié leur organisation, en prévoyant dans leur statut la mise en place d'une commission spécifique liée aux citoyens marocains à l'étranger. Bien entendu, toute élection a une incidence sur les résultats et la représentativité électorale des partis et il faut les assumer. Ceci veut dire qu'en démocratie, on n'organise pas des élections uniquement lorsqu'on est sûr des résultats favorables pour son clan ou son parti, ou bien on les supprime, retarde ou on les annule en cas de prévisions de résultats contraires. Or, pour la question du vote et de la députation des MRE, ce sont ces motivations qui paraissent à l'origine des altermoiements ou du blocage du dossier. Il faut par conséquent dépasser la peur des résultats des urnes et non pas continuer à craindre l'impact sur l'équilibre entre les partis, en prenant les MRE comme une manace....Avec l'état des lieux que nous avons présenté, une sixième et dernière question va de soi : quelles pistes peut-on proposer pour résoudre au mieux cette question lancinante de la participation et représentation politique au Maroc des citoyens marocains à l'étranger, sachant bien entendu que les dimensions économique, sociale, culturelle, religieuse, administrative, etc., liées à l'existence de la communauté marocaine résidant à l'étranger, ne doivent pas être occultées ou marginalisées ? Respecter la Constitution Il s'agit de se conformer à la lettre et à l'esprit de la Constitution, que le gouvernement assume ses responsabilités pleines et entières dans ce cadre et que tous les responsables du dossier migratoire au Maroc procèdent à la reddition des comptes, y compris les responsables du CCME, ainsi que les gestionnaires de la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l'étranger qui n'a pas tenu son comité directeur depuis l'an 2000, alors que, selon la loi, il doit y avoir au moins deux comités directeurs par an ! Nous marquons notre désaccord total et profond avec l'analyse avancée par le secrétaire général du CCME Abdallah Boussouf, dans l'interview incendiaire parue dans «Akhbar Al Youm» du 15 août 2014, selon laquelle il est dans l'intérêt du Maroc et des Marocains résidant à l'étranger eux-mêmes qu'ils ne participent pas à la vie politique du Maroc et ne soient pas représentés au parlement !!! Dépouiller les citoyens marocains à l'étranger de leurs droits politiques par rapport au Maroc, en les cantonnant comme le fait cette interview à des liens culturels, religieux et à une relation exclusive par le biais d'Imarat Al Mouminine, au mépris de la Constitution et de divers discours royaux, dont celui du 20 août 2012, est inadmissible. Vouloir également, sur cette lancée, déclarer la guerre aux partis politiques marocains qui prônent et agissent dans un cadre démocratique et constitutionnel pour la participation et la représentation parlementaire au Maroc des « Marocains du Monde », est irresponsable et irrecevable, constituant un dérapage manifeste...Il s'agit plutôt, par la réflexion et l'apport constructif de tous les acteurs concernés, de faire mûrir la formule démocratique d'implication politique des citoyens marocains à l'étranger et non pas de faire mourir son idée même, en avançant des arguments fallacieux. Dans cet esprit, il s'agit de lancer véritablement le chantier, d'ouvrir un débat de fond, réfléchi, apaisé, serein et responsable, en vue de sortir avec une vision d'avenir, des modalités et des mécanismes concrets. Un débat national à organiser par le Parlement Dans cette perspective positive pour donner corps et vie aux dispositions avancées de la Constitution concernant les citoyens marocains à l'étranger (articles 16, 17, 18, 163 et même 30 sur certains aspects), nous proposons l'organisation par le Parlement, à travers ses deux Chambres et l'implication étroite de la société civile MRE, d'un débat national sur les aspects multidimensionnels du dossier de la communauté marocaine à l'étranger, avec la participation des ministères concernés (en particulier la Primature, l'Intérieur, Affaires étrangères, Justice, ministère des MRE et des affaires de la migration, Relations avec le Parlement, Secrétariat général du gouvernement), les groupes parlementaires des deux Chambres, les syndicats et les partis politiques, y compris ceux non représentés au parlement, les principaux organismes et institutions nationales dédiés aux MRE, la société civile marocaine et les chercheurs en migration de divers profils. L'objectif de ce débat initié par le Parlement, en partenariat avec la société civile MRE, est de parvenir à dégager les principales mesures à prendre et leur contenu, en premier lieu au niveau législatif concernant les MRE : code électoral, révision de la loi organique numéro 27-11 concernant la Chambre des Représentants (qui fait actuellement l'objet de divers amendements déposés séparément par les députés de l'USFP et les députés du Parti de l'Istiqlal), loi concernant la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l'étranger, loi organique de la Chambre des Conseillers, dans l'optique d'une réforme de la Constitution de 2011, qui créerait un collège d'élus MRE, pouvant donc, un second temps, élire des conseillers MRE.... Si la prochaine session parlementaire, qui s'ouvrira le 10 octobre 2014, doit être marquée notamment par l'adoption des textes législatifs liés à la nouvelle politique marocaine audacieuse impulsée directement par le Souverain, concernant les étrangers au Maroc, avec notamment la régularisation administrative des « sans-papiers », qui se veut notamment une expression de solidarité interafricaine (et avec d'autres pays), une autre urgence est à relever. Cette session devrait à notre sens concerner aussi les lois liées à la communauté marocaine à l'étranger concernant les divers aspects, y compris en matière de droits politiques. Rabat, le 28 septembre 2014 Abdelkrim Belguendouz, universitaire à Rabat, chercheur spécialisé en migrations