20 mai 2007/20 mai 2016, près d'une décennie que tu as cédé au repos définitif du guerrier, alors que tu n'as respiré, ici-bas, que pendant moins de six décennies, dont le tiers comme étouffé et emmuré dans les geôles et les sombres sous-sols des tortionnaires (1974/1991). Dès les premiers mois de ta libération, tu nous as rejoint à l'OMDH pour déclencher, discrètement mais opiniâtrement, ta deuxième révolution, cette fois-ci bien concrète et conséquente sur la vie et le devenir des gouvernants comme des gouvernés, des puissants comme des faibles, des injustes comme des justes, des tortionnaires comme des torturés, des citoyens comme des citoyennes... Quelle fût grande notre joie alors de retrouver ton constant sourire d'éternel enfant. Nous les vieux jeunes de l'UNEM et de ses mouvances plus ou moins clandestines qui t'ont connu avant que tes 24 ans soient fauchés et plombés par les menottes, le bandeau noir et autres attirails de torture...De retrouver en toi intacte l'extrême détermination d'une intelligence politique hors-pair qui compte faire fléchir le cours de l'histoire, notre histoire, nous les Marocains et Marocaines, les « Aït Maroc ». Moins de cinq ans après ton ultime retour à Aït Ouahi, aux côtés de ta Batoul bien aimée, disparue trois ans avant toi, ayant succombé à des années de douleur - tes années d'emprisonnement - comme mère et insoumise victime, nous avons pu cueillir le premier fruit de ton arbre, planté et irrigué par toi comme maître d'œuvre : une Constitution enfin dominée par la dignité de l'humain, du citoyen. Ce que certainement, sur ton lit de mort, tu dessinais déjà dans ta tête, quand tu avais « commis » ton dernier acte, la signature du texte inespéré (dans des pays au « plomb» similaire au nôtre) par lequel tu léguas aux victimes des années dites de plomb une couverture médicale totale. Maintenant que tu t'es reposé de l'ingratitude, du déni, des dévoiements et des coups bas des ennemis, des usurpateurs et des resquilleurs de tout acabit qui fontde la dignité humaine un fonds de commerce ou un marchepied pour ascension, voilà que, à quelques lieux où tu gis, à Meknès, un tonnerre inimaginable pour toi comme pour nous, déchire le grand ciel que tu as dégagé pour nous afin que brille de mille astres cette dignité. « Ba Driss », comment te rapporter et te décrire ce « tonnerre », ce « fait-divers » survenu 3 jours avant le 9ème anniversaire de ton départ, sans que je n'inflige une séance de torture supplémentaire à ton âme dans l'au-delà... 25 ans après qu'un pacha de Khénifra ait rasé le crâne à deux femmes et brûlé leurs chevelures (1990, souviens-toi !)*, un groupuscule activiste d'étudiants de l'université de Meknès, réputés appartenir à un courant « d'extrême-gauche » (« voie démocratique basiste », dit-on) a fait exécuter la sentence d'un « procès populaire », gros coutelas dans les mains : raser la tête et les sourcils de la jeune employée de la cafétéria de leur faculté des sciences ! Ah ! Que ta perspicacité d'analyse et ta patiente et méticuleuse recherche d'agencement de mécanismes de mise en œuvre d'une stratégie de combat pour nos valeurs, les universelles, nous manque cruellement devant ce fossé survenu derrière nos dos, alors que notre marche de l'avant ne fixait que les horizons du futur ! Toi, l'artisan de l'irréversible, serais-tu encore d'un secours pour arrêter cette inouïe régression rampante depuis moins d'une décennie ? L'obscurantisme, avec son sous-humanisme ravageur, nous assaille de toutes parts. Nous sommes en passe d'être enterrés vivants, avec comme linceuls nos valeurs, les tiennes...Pourriez-nous encore survivre à toi avec ces valeurs, celles pour lesquelles tu t'es consumé sans compter et sans relâche jusqu'à ton dernier souffle ? Que faire camarade citoyen ? Puisse ton souffle de combattant tenace et audacieux se diffuse encore parmi nous et nous insuffle le courage nécessaire qui nous manque pour qu'on arrête la déferlante de cette régression de notre humanité...Pour qu'on régénère nos capacités de lutte afin que domine le règne d'un citoyen marocain digne de nos valeurs et de notre histoire sans cesse tondue à vif. *In « Les droits de l'Homme dans la presse marocaine. 1989/1994. Par J.E. Naji. CDFDH/PNUD/ Haut-Commissariat aux DH. 2004.145 pages (p.98).