Le village berbère d'Aït Ouahi a enterré mardi dans le recueillement Driss Benzekri, ancien opposant au roi Hassan II et la figure la plus célèbre de la lutte pour les droits de l'Homme dans le royaume. Sous un ciel gris, la dépouille a été inhumée, conformément à sa dernière volonté, près de la tombe de sa mère, Batoul Allouch, décédée en 2004 dans ce hameau délaissé dans une région agricole pauvre située à 85 km à l'est de Rabat. Décédé dimanche à l'âge de 57 ans d'un cancer, Driss Benzekri, ancien adversaire politique de Hassan II, a été nommé en 2003 par le fils de ce dernier, Mohammed VI, à la tête de l'Instance Equité et Réconciliation (IER), une commission pour faire la vérité sur les "années de plomb" (1960-1999). "Jamais nous n'avions vu à Aït Ouahi autant de monde et même des dignitaires", dit Rahou, un jeune habitant, les larmes aux yeux. Dans le petit cimetière, perché sur une colline plantée d'oliviers, cinq fossoyeurs s'affairent alors que le cortège à la tête duquel se trouve le prince Moulay Rachid, frère cadet du roi, quitte la mosquée du village au terme de la prière pour les morts. Plus de 2.000 personnes dont des dizaines de militants des droits de l'Homme venus de toutes les régions du royaume ont assisté à des obsèques émouvantes. Avant de rendre l'âme, affirme son entourage, Benzekri a dit au médecin qui était à son chevet: "j'ai terminé ma mission, je vais pouvoir partir en paix". "Ce n'est pas seulement le Maroc qui a perdu un militant des droits de l'Homme mais tout le monde arabo-musulman", dit en sanglot une cousine du défunt en rappelant qu'il fut l'homme qui a dirigé en 2005 les auditions publiques au cours desquelles des victimes ont raconté leur calvaire avec émotion et dignité. Ces tribunes, retransmises en direct par les radios et télévisions marocaines, étaient inédites dans la monde arabe qui compte de nombreux régimes autoritaires souvent accusés de pratiquer la torture contre leurs opposants. "Il voulait le bien pour son pays", confie Mahama Allouch, 72 ans, qui se présente comme sa nourrice. La cousine Chaieta, 70 ans, se souvient d'avoir accompagné la mère de Driss Benzekri à la prison de Kénitra où il purgeait une peine de 30 ans pour avoir milité dans une organisation marxiste. Il a été libéré après 17 ans de détention. "Il était serein et courageux à la prison. Il nous disait souvent qu'il militerait pour les droits de l'Homme jusqu'à sa mort", assure-t-elle. Dans la foule, un jeune militant associatif, Noureddine Dghoughi brandit une pancarte sur laquelle est écrit: "Nous ne t'oublierons jamais Driss, notre héros. Tu as souffert de la prison et de la torture mais tes tortionnaires sont encore libres". Cette question avait opposé des militants des droits de l'Homme à Benzekri qui considérait que la lutte pour la démocratisation du pays devait l'emporter sur l'action pour traduire en justice les anciens tortionnaires. Ahmed El Haou, co-détenu islamiste à la prison de Kénitra a qualifié Benzekri de "père des victimes". "Idéologiquement nous n'étions pas du même bord, mais c'était un grand défenseur de la liberté. C'était un patriote". Un de ses amis intimes qui l'a côtoyé en prison, Ahmed Lahirzni, est persuadé que "l'histoire gardera le souvenir d'un homme qui a contribué de manière décisive à la transition démocratique" au Maroc.