Les épreuves qui ne tuent pas, fortifient. Cette maxime nietzschéenne s'imposait à moi, chaque fois que j'ai travaillé avec le président Driss Benzekri. Epris des autres, l'homme a passé, pour ses convictions, les plus belles années de sa jeunesse en prison. Les funérailles de Driss Benzekri n'étaient pas un hommage de la Nation puisque les drapeaux, à la différence des âmes, n'étaient pas en berne. Ils étaient un hommage du peuple et de la monarchie, qui, de manière fusionnelle, ont porté la sépulture sur cette colline sobre et retirée. L'oraison et les prières coraniques captivaient l'émotion pour la délivrer de la raison. La résistance était vaine face à ces flots de femmes dont les pleurs arrosaient les youyous. Et puis, ces regards insurrectionnels que seul adoucissait le fatalisme musulman qui inflige l'absolue soumission face à la mort et son arbitraire. Car la tentation était grande de dénoncer chez celle-ci ce choix cynique qui nous fauche injustement un juste alors qu'il y a tant de crapules qui traînent. Les épreuves qui ne tuent pas, fortifient. Cette maxime nietzschéenne s'imposait à moi, chaque fois que j'ai travaillé avec le président Driss Benzekri. Epris des autres, l'homme a passé, pour ses convictions, les plus belles années de sa jeunesse en prison. Et l'autre moitié de sa vie à œuvrer pour en réaliser une partie. Il était pour nous une leçon permanente sur le sens même du mot abnégation, sur la citoyenneté exemplaire, sur l'amour cristallin qu'on peut porter pour son pays, pour son peuple. Comment un homme si riche de sens a pu voir sa vie si réduite à une telle dimension binaire et ascétique ? Entre enfermement et ouverture. Il y a dans les plateaux des Zemmour de ces funérailles une part de l'énigme. Cette terre, qui nous a donné en offrande ce Marocain rare, ressemble à l'homme Benzekri. Terre pudique et retirée dans l'arrière-pays, elle est dissimulée et discrète. Comme elle est en biais, elle est délaissée. C'est probablement dans ce sentiment d'abandon que l'enfant d'Aït Ouahi a puisé la nécessité du refus et la volonté de ne pas abdiquer face au sort. Quitte à ce que le don de soi soit le prix à payer. Cette terre ressemble et rassemble ce que le Marocain a de plus fabuleux : gentillesse, disponibilité et tolérance. Et Driss en était la synthétique quintessence. Ces qualités l'ont certainement initié à cette dimension sacrificielle. Il en est devenu porteur d'un message qui le dépasse et qui dépasse les contours de ce village et de ce pays parce qu'inscrit dans l'universel. Seuls les hommes capables de mourir pour une idée accèdent à ce mausolée très fermé. Hostile au diktat, l'homme de combat va, après une longue et douloureuse lutte, être vaincu par le diktat de la biologie et des malignités du crabe sournois. Et là aussi, Driss aura fait preuve non seulement de courage, mais aussi d'une citoyenneté exemplaire. Sur son lit de malade harassé, les dossiers n'étaient jamais loin des perfusions. Il faudra y lire un message testamentaire, pour nous les vivants, sur ce que doit être le sens de l'engagement. C'est, à mes yeux, mon ami Mohamed El Ghas qui a le mieux défini Driss Benzekri. Il disait de lui qu'il était «l'homme qui murmurait à l'oreille de la Nation». Mardi, on a enterré cet homme. Il nous faudra maintenant faire vivre et faire aboutir son projet.