Le monde de l'art marocain vient de perdre un de ses représentants les plus déterminants, l »artiste peintre de Meknès, Lahousseine Maouhoub. Né en 1945 dans un milieu modeste juste au moment où renaissait la plupart des rêves et des mirages qui ne pouvaient qu'embellir une vie humaine, Lahousseine Maouhoub subit bien des expériences faites de notions acquises et d'un prodigieux labeur aboutissant à l'éclipse de l'idéal et à l'obsession dynamique du réel. Il sut s'en consoler par la familiarité de l'invisible, refuge protecteur des aspects grossiers de la réalité. C'est ce qui donne à son œuvre une élégante noblesse et à l'artiste le sentiment de s'être grandi à son contact. C'était un ami fidèle, généreux, parfois directif mais conséquent. Si j'ai beaucoup écrit sur l'œuvre de Lahousseine Maouhoub, c'est qu'il m'apparaissait aussi comme une âme ardente, inquiète, assoiffée de bonheur, tentée par la beauté mais trop clairvoyante aussi pour se faire illusion ; et qu'il avait commencé depuis son plus jeune âge à pratiquer la peinture pour en faire son moyen d'expression, prédisposition que nous pouvons sans exagérer situer au niveau de son être, « de la constitution génétique de son être ». En effet, notre artiste n'a profité d'aucune formation académique lui permettant, à l'instar d'autres artistes marocains, d'être en contact avec les maîtres de l'art pictural et avec différents courants qu'a connu la peinture à travers l'Histoire et ce par le biais d'une école ou d'un institut. Depuis notre première rencontre en 1999, j'ai suivi avec une attention particulière le « modelage » par la vie de cette personnalité hors du commun qui n'a pas cessé de se poser les questions si primordiales de savoir ce que l'on fait sur terre, si l'on doit avoir une vision pessimiste du monde, quelle attitude avoir envers le prochain ? Appétit de la liberté Marcel Guiton, dans une tribune du « Progrès », répond à ces questions : « nous savons quelles sont nos réactions, elles sont inscrites dans le grand livre de la connaissance objective » qui, pour Maouhoub, s'est traduit par l'appétit de la liberté, l'appétit de la justice et aussi du bonheur et c'est bien ce pôle intérieur qui définit ce que sa personnalité possédait d'original, car c'est en lui que s'intègraient les aspects esthétiques, l'acquis des traditions, des groupes, des familles naturelles et spirituelles auxquelles il appartenait. Et il a peint aussi avec une joie et un enthousiasme sans pareil, qui font de son œuvre autant de petits chefs-d'œuvre concrétisant une émotion, une pensée, une déception, un grand espoir. Il a peint les femmes, les enfants, les arbres et les villes, les hommes, leurs métiers, leurs distractions et leurs actes avec « l'admirable sincérité d'un homme qui croit que cet univers se propose à sa palette aussi simplement que s'il avait été créé de toute éternité pour être peint. » Certes, ses réactions spontanées, épidermiques, parfois longuement mûries, pouvaient fâcher sur le moment, être mal interprétées, contrecarrer des politiques, dénoncer des malversations, des bassesses, des intérêts particuliers, mais tout homme de bien, tout penseur, tout historien, comprendra la portée de ces images à verser dans la mémoire de l'humanité et du Maroc. L'art du peintre ajoute un élément pittoresque à la vérité de ses sujets. Il aimait les lignes transversales qu'il multipliait à souhait, les petits rectangles où il isolait ses personnages qui représentent les divers mouvements d'une même idée, la musique, la révolte par exemple, dont il dessinait les différents aspects comme l'ont fait parfois les images populaires. Quelques fois, comme les cubistes, il groupaient différentes idées qu'il avait d'une entité et cherchait à la concrétiser en une seule grande émotion. C'est du grand art ! D'autant plus qu'il maniait la couleur avec bonheur, choisissant dans sa palette acrylique les tons les plus francs, appliquant avec ferveur ce conseil qu'il aimait à propager : « de la couleur avant toute chose ». Doté d'un solide métier, doué, c'est certain, ayant acquit par ses voyages et ses rencontres une grande expérience de la vie, sachant qu'il existe dans toute civilisation un fond commun d'humanisme et de sereines pensées, Lahousseine Maouhoub a poursuivi son œuvre en artiste convaincu et sincère, attentif et précieux témoin des activités de la société marocaine, il excellait à déceler au fond des esprits et des âmes les dons méconnus et les qualités ignorées. Il compris aussi que son pays n'était pas une majorité malheureuse mais bien une minorité active, tenace, affairée, brave et avisée et toujours respectueuse à l'égard de qui mérite le respect (c'est le cas de l'artiste) et il l'appréciait à sa juste valeur. Érudit ayant assimilé en complémentarité les bases de la culture française, il avait cette volonté de partage qu'affirmait en son temps cet autre Africain, Saint-Augustin par ces paroles : « viens partager avec moi l'héritage ». Aussi éloigné que l'on peut l'être de l'expression picturale d'un Abouelouakar Mohamed, voire d'un Guessous Fouzia et se détachant nettement de Hamri Mohamed ou de Hafid Mustafa, Maouhoud sut créer un style qui n'appartient qu'à lui et qui fait sien cette « ethnologie picturale du Maroc de l'intérieur », message que Mohamed Ben Ali R'bati avait laissé à sa mort en 1939, richesse visuelle des signes et des mouvements. Refusant aussi bien l'art naïf que l'héritage académique, notre peintre de Meknès laissait éclater sa joie de vivre, heureux de savoir qu'il a en lui cet équilibre serein de deux civilisations si complémentaires, source de progrès dans la recherche d'une entité nationale que seuls le temps, le travail et l'ouverture d'esprit peuvent apporter. Travailleur acharné, ne laissant rien au hasard, chaque œuvre étant précédée de nombreux croquis, d'ébauches et d'études, pour lui, le paysage n'était pas un vague état d'âme, ni le fugace reflet de ses rêves, de ses aspirations ou de ses humeurs mais bien la figuration imparfaite (comme tous les grands, il n'était jamais content de son œuvre achevée) et tout de même splendide de hautes réalités invisibles. Regarder un tableau de Maouhoub, c'est donc appréhender une forte et vivifiante odeur du pays. Mais ne nous trompons pas, si passagèrement les toiles de Lahousseine Maouhoub reflètent un état d'âme, absorbé par une situation matérielle et sentimentale difficile dans un contexte sociologique en pleine mutation, ce qui est un bien pour l'art, l'énergie qu'il a pu emmagasiner pendant sa longue vie de labeur, d'expérience humaine au cours de ses rencontres avec des personnalités déterminantes de notre époque contemporaine tant au Maroc qu'en France, en Hollande, en Espagne ou Italie, ses actions de militant qui souvent vinrent contrarier l'institution et l'apathie quotidienne, avant toute considération des meilleurs raisons mythologiques religieuses ou sociales, l'oeuvre de l'artiste réfléchie une absolue joie de vivre. Joie de vivre synonyme chez lui de joie de créer, de créer des formes neuves distribuant des lumières nouvelles. C'est pourquoi l'œuvre de Lahousseinne Maouhoub reflète une personnalité respectée et reconnue et qui est en mesure de donner son essor à une puissance émotive qui traitant de sujets difficiles, interpelle le public non sur les apparences de son œuvre, mais de son intention. Son art ne forme pas une distraction supérieure, encore moins une recherche de beauté. Il chante la révolte et l'amour, il cherche à illustrer de clartés nouvelles les ressources magiques de l'inconscient, de l'instinct et de toutes les forces obscures par quoi l'homme tente de se dépasser lui-même et d'exalter sa condition. En cela, Lahousseine Maouhoub a participé à l'effort de création qui anime le monde dans tous ses instants artistiques et n'a pas craint de tout détruire avec sincérité quitte à reconstruire ensuite, d'être soi-même et de redécouvrir par la peinture le monde qui nous entoure et dont peut-être les principales beautés nous échappent encore. Au moment du passage entre la réalité et le souvenir, nous apportons à Zhor Boukhchiba, sa femme, à ses enfants Mohamed et Omar le plus filiale soutien.