De retour de Rome, fief d'ex-gladiateurs, je prenais le chemin de Paris, mégapole européenne que je visitais pour la énième fois. 40 Euros le ticket, c'était presque un voyage donné ; et l'autocar flambant neuf qui nous transportait était équipé du nécessaire (caméra de surveillance, toilettes...). Le raccourci alpin de Chambéry offrait une vue pittoresque. La douane frontalière battant pavillon tricolore se nichait dans le creux de deux montagnes aux flancs entrecroisés et dont les cimes étaient coiffées de neige. Une incongruité de circonstance: ‹‘Schengen'' semblait se volatiliser. On revint aux barricades et aux contrôles frontaliers bilatéraux. On vérifia nos passeports sans froncer les sourcils ; et comme la politesse était de rigueur, on s'excusa de cet impératif ultra-sécuritaire. A quelques dizaines de mètres, se trouvait une aire de repos. On y vendait, en plus des accessoires utilitaires, si convoités par les montagnards, toutes sortes de friandises. Comme un soleil splendide favorisait l'escale, le gentil conducteur du bus qui allait jusqu'à Londres nous avait gratifiés d'une bonne demi-heure de vif plaisir. Ça fait des lustres que je n'avais pas touché la neige de mes propres mains, comme on touche le sable coulant. A Ourika dans le Haut-Atlas marocain, je n'avais fais que la regarder de loin. Mais comme disaient les cubistes, ‹‘il faut toucher la matière et non la voir». Ainsi, descendant des hauteurs, celle de Chambéry était maculée d'un blanc cristallin. D'un bleu-turquoise étaient colorés ses interstices. J'y revoyais les phrases prosodiques dont était fait un de mes premiers textes écologiques que j'avais intitulé justement: ‹‘Fable écologique''. Arrivé à Paris, je retrouvais mes coins douillets habituels. Une bonne pitance arrosée de fin vin des celliers bordelais. La ville grelottait sous le froid hivernal. La plupart des bars-restaurants se servaient de chauffage, pour épater la clientèle. Le modeste hôtel où j'avais pris l'habitude de me loger se trouvait tout près du chenal Saint-Martin qui n'était qu'à deux pâtés de maisons de la gare de l'Est. Ce canal bien architecturé et plein d'écluses est devenu, hélas, un véritable dépotoir. On y jette toutes sortes de carcasses métalliques et de détritus non biodégradables en verre ou en plastique (vélos, jantes, guidons, bouteilles, canettes...). Cette image macabre a agacé le ''poète écolo'' que je crois être. Ainsi, revenant à la rime, (option lyrique presqu'absente dans mon premier florilège paru en 1994 au Canada sous le titre: «Au delà de l'Artifex, je dis») j'avais improvisé ce poème en m'inspirant de ce que j'avais vu et senti à Paris, ville des lumières éteintes. Commencé sur un des ponts du célèbre canal, je l'avais parachevé sur les gradins du mythique hippodrome de Vincennes, le temple de sports hippiques, que l'on a implanté dans une zone de verdure. Le bois de Vincennes est considéré par les écologistes les plus réputés comme le poumon de la capitale française. Sans ses providentiels bienfaits, la ville déjà croupissante sous une démographie galopante aurait été asphyxiée. A travers sa métrique et sa sémantique, le poème en fait allusion. En tant qu'aède voyageur, qui se soucie de l'environnement et de la qualité des ressources hydriques, je l'ai intitulé : «La chanson de l'esthète troubadour». Comme on pourrait aisément le constater, la teinte écologique y transparait de vers en vers. En voici par ailleurs les strophes: Sur le pont Saint-Martin Non loin du rail à remorque La vie prend un autre chemin Le temps se disloque Une misère sans fin Un monde loufoque Vaincu, le présent tend la main A un Paris d'une autre époque Où Hugo le crack des rimes de satin Décrit les tribulations d'un peuple en loques Il en sanctifie ce qui est bien Et rejette tout ce qui est toc Désormais la vérité appartient Au plus fort, sinon au plus escroc Sur le pont Saint-Martin Le temps soliloque Les vieux comme des gamins Crient sous le choc Un soleil black brunit les ravins Et noircit les gypseuses bicoques Le beau jardin cerné de sapins Perd ses fleurs-lucioles et se couvre de rocs L'humanité prend fin là d'où elle vint Le caractère zoo que rien ne débusque Dans un interminable va–et-vient Exhibe ses venimeux crocs Même le plus gentil des lapins A de la haine en grand stock Sur le pont Saint-Martin J'ai mal aux ménisques J'ai trop erré comme un galérien Qui en a plein la nuque Une cabane de bohémien Dans une zone à hauts risques Sous un froid sibérien Le paysage l'offusque Avant les autres, il faut connaitre les siens Je déteste le postiche et les masques En bon sophiste cartésien je soutiens Que la laideur peut engendrer du fantasque Etre ce qu'on est, est pour le bon terrien Mieux que le clone qui porte une perruque Hormis le bal et les cercles de cabotins Où le double-jeu parait famélique Comme la malchance a fait de moi son concubin Là où je mets les pieds le rêve devient utopique