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Carnet de voyage: / La chanson de l'esthète troubadour
Publié dans L'opinion le 08 - 02 - 2016

De retour de Rome, fief d'ex-gladiateurs, je prenais le chemin de Paris, mégapole européenne que je visitais pour la énième fois. 40 Euros le ticket, c'était presque un voyage donné ; et l'autocar flambant neuf qui nous transportait était équipé du nécessaire (caméra de surveillance, toilettes...). Le raccourci alpin de Chambéry offrait une vue pittoresque. La douane frontalière battant pavillon tricolore se nichait dans le creux de deux montagnes aux flancs entrecroisés et dont les cimes étaient coiffées de neige. Une incongruité de circonstance: ‹‘Schengen'' semblait se volatiliser. On revint aux barricades et aux contrôles frontaliers bilatéraux. On vérifia nos passeports sans froncer les sourcils ; et comme la politesse était de rigueur, on s'excusa de cet impératif ultra-sécuritaire. A quelques dizaines de mètres, se trouvait une aire de repos. On y vendait, en plus des accessoires utilitaires, si convoités par les montagnards, toutes sortes de friandises. Comme un soleil splendide favorisait l'escale, le gentil conducteur du bus qui allait jusqu'à Londres nous avait gratifiés d'une bonne demi-heure de vif plaisir. Ça fait des lustres que je n'avais pas touché la neige de mes propres mains, comme on touche le sable coulant. A Ourika dans le Haut-Atlas marocain, je n'avais fais que la regarder de loin. Mais comme disaient les cubistes, ‹‘il faut toucher la matière et non la voir». Ainsi, descendant des hauteurs, celle de Chambéry était maculée d'un blanc cristallin. D'un bleu-turquoise étaient colorés ses interstices. J'y revoyais les phrases prosodiques dont était fait un de mes premiers textes écologiques que j'avais intitulé justement: ‹‘Fable écologique''.
Arrivé à Paris, je retrouvais mes coins douillets habituels. Une bonne pitance arrosée de fin vin des celliers bordelais. La ville grelottait sous le froid hivernal. La plupart des bars-restaurants se servaient de chauffage, pour épater la clientèle. Le modeste hôtel où j'avais pris l'habitude de me loger se trouvait tout près du chenal Saint-Martin qui n'était qu'à deux pâtés de maisons de la gare de l'Est. Ce canal bien architecturé et plein d'écluses est devenu, hélas, un véritable dépotoir. On y jette toutes sortes de carcasses métalliques et de détritus non biodégradables en verre ou en plastique (vélos, jantes, guidons, bouteilles, canettes...). Cette image macabre a agacé le ''poète écolo'' que je crois être. Ainsi, revenant à la rime, (option lyrique presqu'absente dans mon premier florilège paru en 1994 au Canada sous le titre: «Au delà de l'Artifex, je dis») j'avais improvisé ce poème en m'inspirant de ce que j'avais vu et senti à Paris, ville des lumières éteintes. Commencé sur un des ponts du célèbre canal, je l'avais parachevé sur les gradins du mythique hippodrome de Vincennes, le temple de sports hippiques, que l'on a implanté dans une zone de verdure. Le bois de Vincennes est considéré par les écologistes les plus réputés comme le poumon de la capitale française. Sans ses providentiels bienfaits, la ville déjà croupissante sous une démographie galopante aurait été asphyxiée.
A travers sa métrique et sa sémantique, le poème en fait allusion. En tant qu'aède voyageur, qui se soucie de l'environnement et de la qualité des ressources hydriques, je l'ai intitulé : «La chanson de l'esthète troubadour». Comme on pourrait aisément le constater, la teinte écologique y transparait de vers en vers. En voici par ailleurs les strophes:
Sur le pont Saint-Martin
Non loin du rail à remorque
La vie prend un autre chemin
Le temps se disloque
Une misère sans fin
Un monde loufoque
Vaincu, le présent tend la main
A un Paris d'une autre époque
Où Hugo le crack des rimes de satin
Décrit les tribulations d'un peuple en loques
Il en sanctifie ce qui est bien
Et rejette tout ce qui est toc
Désormais la vérité appartient
Au plus fort, sinon au plus escroc
Sur le pont Saint-Martin
Le temps soliloque
Les vieux comme des gamins
Crient sous le choc
Un soleil black brunit les ravins
Et noircit les gypseuses bicoques
Le beau jardin cerné de sapins
Perd ses fleurs-lucioles et se couvre de rocs
L'humanité prend fin là d'où elle vint
Le caractère zoo que rien ne débusque
Dans un interminable va–et-vient
Exhibe ses venimeux crocs
Même le plus gentil des lapins
A de la haine en grand stock
Sur le pont Saint-Martin
J'ai mal aux ménisques
J'ai trop erré comme un galérien
Qui en a plein la nuque
Une cabane de bohémien
Dans une zone à hauts risques
Sous un froid sibérien
Le paysage l'offusque
Avant les autres, il faut connaitre les siens
Je déteste le postiche et les masques
En bon sophiste cartésien je soutiens
Que la laideur peut engendrer du fantasque
Etre ce qu'on est, est pour le bon terrien
Mieux que le clone qui porte une perruque
Hormis le bal et les cercles de cabotins
Où le double-jeu parait famélique
Comme la malchance a fait de moi son concubin
Là où je mets les pieds le rêve devient utopique


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