Avant tout acte, il y a la fusion spirituelle avec le lieu. Au-dedans. Venir tout d'abord et s'arrêter devant l'Opéra. Des escaliers un peu escarpés, des poutres en marbre, des statues à chaque coin et un dôme majestueux qui côtoie le ciel. Se trouver au sein d'un tourbillon venteux mêlé à la musique de l'élévation. Un premier vertige se fit sentir, suivi d'un trouble, comme une réaction ébahie face à la somptuosité captivante. Cette pierre transformée et devenue forme et expression, et tout autour ces corps absous de tous les liens s'en allant dans toutes les directions mais toujours vers les lieux de la splendeur. Et tu viens, et tu découvres à quel point tu étais ignorant. Mais une ignorance placée au même niveau que ta foi dans ce que tu croyais être connaissance. Celle-ci est portée par des supports si élevés sans un contact préalable avec le lieu et sa géographie édifiée. Ce que tu connaissais n'avait pas été inscrit dans le regard voyageur mais dans un regard immobile si compétent soit-il, même s'il est brillant d'intelligence ! Car le ouï-dire n'égale pas la vue, ça a été dit depuis la nuit des temps. Mais le fait est que tu avais déjà vu. Quand même. Assurément. Car tu es le damné de Paris depuis le commencement. Là-bas, si loin d'elle. Ce sont des scènes tirées des films de la nouvelle vague où valsaient des baisers sous la pluie, où se dressaient dans l'ombre en blanc et noir des statues séculaires en pierre ou en cuivre dans les places incitant à étreindre la vie. François Truffaut, Jean-Luc Godard, Eric Rohmer et tous les autres. Mais le fait aussi est que tu avais déjà lu avec opiniâtreté, désir et avidité vorace. Car la ville était déjà là, elle t'avait envahi et habité, elle avait sculpté ses œuvres créatrices et tout ce que tu avais écrit. Ce sont les pages jaunies des livres de poche dont les événements/phrases récités ont été gravés dans ta mémoire, traces et créations, depuis trois décennies. De Jean-Paul Sartre, Stendhal, Ernest Hemingway, Henri Miller, Gabriel Garcia Marquez et Taoufiq Al Hakim, et tous les autres. A titre d'exemple. Et tu avais écouté, et ton cœur avait vibré sans résister ni contester, car le chant et la musique n'avaient permis au corps aucune opposition débile. Ce sont des compositions et des poèmes chantés, récapitulés dans les variétés mythiques de Georges Brassens, Serge Reggiani, Jaques Brel, Christophe, Françoise Hardy, et toutes les autres et tous les autres. Et tu avais suivi, acheté et pris tout ce que tu pouvais emporter de revues, magazines et beaux livres. Car tu accompagnes les années de ton vie en y puisant tout ce qui pourrait perfectionner ton style d'écriture, tes amours, et tes cours aux femmes. Ce sont d'autres choses. Nombreuse. Le quotidien « Le Monde » et son supplément des livres du vendredi. Les revues hebdomadaires et les bandes dessinées que tu achetais au marché aux puces. La splendeur de la gauche et la victoire du 10 mai 1981, et tout ce qui venait et qu'on saisissait à travers les antennes, la radio, les voyages et les histoires des autres. Tout cela était à toi. Et voilà que Paris s'épiphanise. Juste après le premier pas, elle s'empare de toi tel un fils égaré qui revient enfin au sein douillet de la maison familiale même si la saison, celle de la rencontre, est un été aoutien pluvieux et froid. D'aspect et de cachet automnal. Mais précisément, est-il juste et comme c'est déjà écrit, de la voir sans pluie ? Non assurément, le parisien ne se sépare pas de son parapluie ni de son manteau ni de son sourire de contentement quand le soleil se pointe et apparait après, offert comme un cadeau et une invitation à étendre les jambes à la terrasse du bistro le plus proche. Panis, Café'In, Café Philo, La Bonbonnière, Flore... et sourire à la face du monde. Après que le corps ait pris sa dose d'inspiration créative en se promenant, en marchant puis en se remémorant ce qui a été ancré dans ce fond au bord de l'âme. Car c'est à Paris, la fin de l'errance, vieux bonhomme. Tout ce que tu avais lu, tout ce tu avais vu, et tout ce que tu avais écouté, représenté, envoyé, touché dans l'air, tu le vois maintenant dans les yeux des belles femmes aux jambes nues, dans les façades des édifices éternellement haussmannien, dans les noms des places, La Bastille, Saint-Michel, Chatelet, Clichy, et les noms des impasses, ruelles, et boulevards, ceux qui canalisent et ceux qui s'estompent. Enfin dans les cafés qui portent les noms des poètes, des écrivains, des peintres et des hommes d'état et de l'histoire. Ce sont des adresses et des signes qui t'empoignent par le cou et t'agrippent. Car ils apparaissent sur les murs, affiches, livres, poèmes et âmes singulières, chacun à part. Maintenant tu as ta voie où tu peux marcher. Paris est une carte de noms qu'il faut découvrir incessamment. Durant toute la vie. Jour après jour. Préciser sa présence dans ta mémoire. Retrouver l'instant où ces noms avaient frôlé ton imaginaire. Dans quelle circonstance ? Tu marches et quand l'un d'eux attire ton attention, tu replonges au fond de toi-même pour le dénicher. C'est un retour pour imaginer dans la pierre de la réalité qui t'entoure. Car la terre à Paris est une pierre qui parle la langue de l'éternité. Le passé est un présent qui se renouvelle à chaque fois. Et là où passent les amants, les écrivains et les artistes, une poussière d'or se soulève pour polir leurs textes, leurs vies. Paris n'oublie jamais sas amoureux. Tu les vois partout où tu jettes tes regards, qui te sourient et lèvent la main pour te saluer et te souhaiter la bienvenue. Ça arrive le soir quand les lumières éclairent les verres et quand s'allume dans ton sang le feu du doux Brandy ou le Porto, de la blanche couverte d'or pur. Et lorsque tôt le matin tu te réveilles, tu te vois nageant dans l'eau de l'aube radieuse. C'est alors que je sais que je ne lisais ni écrivais en vain. Que l'étouffement dans la neige de l'indifférence n'était pas une folie, mais une flamme qui est un don de perfection dans la messe parnassienne, non loin du café Flore d'où Jean-Paul Sartre me fait un clin d'œil me disant «sois le bienvenu camarde de Da Moh qui a planté en nous le tatouage d'une langue française de ce sudique marocain libre tel un aigle survolant le boulevard saint-germain des Près. L'écriture et Paris, ça ressemble à l'ascétisme et le couvent. Mais on y ajoutant les épices de la vie, et l'objectif du plaisir et la gorgée de la douleur. Car Paris ne s'offre pas sans contrepartie, idiot !