Comme les dadaïstes, les surréalistes ont été affectés par le délire révolutionnaire entre les deux guerres ; comme les dadaïstes aussi, ils ont opté pour une libération totale de l'esprit. Mais, tandis que les premiers sont restés tâtonnants dans leurs expériences, tournant tout à la dérision, réfutant tout projet, tout en tendant vers l'anti-art, les seconds ont entamé leur révolution culturelle selon deux phases : une phase intuitive et une autre raisonnante. Contre un Maroc colonisé ! « La première (phase), dira plus tard Breton, peut se caractériser par la croyance qui s'y exprime en la toute puissance de la pensée, tenue pour capable de s'émanciper et de s'affranchir par ses propre moyens... Aucune détermination sociale ou politique cohérente ne s'y manifeste jusqu'en 1925, c'est-à-dire, jusqu'à ce qu'éclate la guerre du Maroc qui, ranimant en nous l'hostilité à l'égard du sort fait à l'homme par les conflits armés, nous place brusquement devant la nécessité d'une protestation publique ». Comme Dada, le surréalisme est un phénomène de l'art moderne, déterminé par l'atmosphère politique et sociale de l'époque. La destinée de l'art suit, ainsi, une logique esthétique évolutive ; de la révolte nihiliste, on passe à la révolution positive, et dans cette révolution, on se révolte contre soi-même, avant de se révolter contre l'oppression et le colonialisme, une démarche que va reprendre à son compte Albert Camus. Autrement dit, après la destruction d'une esthétique formelle héritée depuis la Renaissance, acclamée dans un bouillonnement d'une création nihiliste, propre à la débâcle de la guerre, une vision nouvelle voit le jour, engendrée par une Europe qui panse ses blessures et qui cherche à se relever, agrippée à sa force intérieure, une vision qui débute sa recherche par un regard intérieur, vers ce qui est primitif et spontané dans l'homme, vers les « abysses » de la pensée. Cette démarche intuitive est axée sur l'automatisme, la sauvagerie du regard, la valorisation du rêve et l'état second. La deuxième démarche de cette révolution surréaliste est elle aussi engendrée par l'époque, par l'atmosphère politique des années 1930, provoquée, selon Breton, par la guerre du Maroc. N'oublions pas qu'à partir de 1925, fureur inaugurées l'exposition de l'Art déco à Paris, l'exposition coloniale française, et la mode la « Garçonne », des vitrines artistiques et sociales, qu'on va étudier plus tard. Tandis que dans la première phase du surréalisme, s'est posé le problème de la connaissance, c'est-à-dire le « rapport du conscient et de l'inconscient », un autre problème s'est posé dans la seconde phase, celui de « l'action sociale à mener, action qui, selon nous, possède sa méthode propre dans le matérialisme dialectique... nous tenons la libération de l'homme pour la condition de la libération de l'esprit ». En 1925, Breton annonça l'adhésion officielle du mouvement au communisme, et en 1929, il publia le Second Manifeste du surréalisme. Dans cette évolution du surréalisme, plusieurs artistes adhérèrent au mouvement, l'enrichissant de leurs recherches, comme Miro, Tanguy, Dali, Giacometti, Magritte et Matta. Des groupes se constituèrent en Belgique, en Tchécoslovaquie, en Yougoslavie, au Danemark, en Angleterre, aux Etats-Unis, au Japon... donnant au surréalisme son ampleur internationale. Les directions du mouvement Etant donné que le surréalisme opte par la libération totale de la pensée, il est normal qu'il soit un groupement hétérogène de plusieurs individualités. On a parlé de l'impact de Chirico et de Duchamp sur la peinture surréaliste ; dans la lignée du premier artiste, on trouve des artistes comme Yves Tanguy, René Magritte et Salvador Dali, qui préfèrent exploiter la figuration dans l'expression de l'imaginaire. Parfois, cette figuration retourne à un académisme dégradant, comme ce fut le cas pour Dali qui fut exclu du groupe depuis 1934. En opposition à cet académisme, d'autres artistes ont su exprimer leur monde dénaturé ; à l'intra de Kafka, Magritte opte pour la métamorphose ; et tandis que Tanguy nous fait pénétrer dans un monde extraterrestre, calme mais angoissant, Vilfredo Lam nous fait voir son monde vaudou, avec son regard sauvage. Comme Tanguy, Roberto Matta nous montre un monde futur, mais complexe et dynamique, peuplé d'êtres étranges. Avec Marcel Duchamp, Arp, Ernst et Man Ray, le dadaïsme pénètre le surréalisme, avec sa conception nihiliste et ses multiples expériences puisées dans l'automatisme, comme le collage, le grattage, le fumage et décalcomanie. Dans ces expériences, l'automatisme prend ses grandes dimensions ; avec l'automatisme symbolique, où l'artiste utilise des objets extérieurs pour exprimer son monde intérieur, Hans Arp découvre l'automatisme rythmique, basé sur les lois du hasard, tandis que d'autres artistes, comme Dominguez et Paalen s'expérimentent dans l'automatisme absolu, effectué dans le grattage, le fumage et le décollage. Dans le fumage, procédé inventé par Paalen, il s'agit de faire promener la flamme de la bougie à la surface d'un papier, pour y laisser une empreinte, tandis que le décollage est un procédé qui consiste à arracher par places une affiche de manière à faire apparaître fragmentairement celle (ou celles) qu'elle recouvre (Dictionnaire abrégé du Surréalisme). Ce procédé sera repris par le nouveau réalisme sous le nom de la lacération. Un autre automatisme voit le jour avec André Masson et Roberto Matta, appelé automatisme gestuel. Masson est le premier artiste à avoir tenté l'application de la peinture automatique, une tendance poussée jusqu'à un expressionnisme abstrait délirant, jusqu'à la transe, débordant le surréalisme pour engendrer l'abstraction lyrique, en Europe, et l'expressionnisme abstrait aux Etats-Unis. Roberto Matta, de son côté, crée une tendance « futuriste » dans le surréalisme, une tendance de plus en plus abstraite aussi, mais qui propose la structure dynamique d'un monde futur et étrange, sans relation avec le nôtre. Dans les recherches originales des artistes, comme Arp, Ernst, Masson, Dominguez, Paalen, Matta et Miro, le surréalisme fonde le pont avec l'abstraction, une abstraction expressive, lyrique et gestuelle. Pour cette raison, d'autres artistes dans le monde vont s'inspirer de cette tendance, après la Deuxième Guerre mondiale, pour créer des mouvements abstraits. En même temps, d'autres artistes, évoluant dans la figuration, exploiteront l'objet surréaliste et les éléments du monde extérieur, pour créer une autre figuration, toute lacérée, torturée, sauvage, comme le nouveau réalisme, le pop'art, la figuration sauvage...