En dépit du séisme qui a secoué la FIFA, Sepp Blatter a été réélu à sa présidence, vendredi à Zurich. Son concurrent, le Prince jordanien Ali Ben Al-Hussein, s'est retiré avant le deuxième tour du scrutin. À 79 ans, Blatter repart donc pour un cinquième mandat. C'est ainsi que le feuilleton de la semaine a pris fin peu après 19h00 vendredi. Au terme de quelques journées d'enfer, de scandales et de critiques en tous genres, c'est par un énième rebondissement que Sepp Blatter a finalement été réélu président de la Fédération Internationale de Football (FIFA). À 79 ans, le Suisse va honorer son cinquième mandat consécutif, jusqu'en 2019. Pour la première fois en cinq élections, il lui a manqué sept voix (133 contre 73) pour l'emporter dès le premier tour suivant la règle des deux-tiers. Mais son opposant s'est retiré avant le second tour. Blatter a été reconduit pour un bail de quatre ans malgré le nouveau scandale de corruption qui frappe la FIFA depuis mercredi et les appels de l'Union Européenne de Football (UEFA) de son ancien ami Michel Platini ou du premier ministre britannique, David Cameron, à le faire battre. Mais le Suisse a pu compter sur le soutien de cinq des six confédérations. « On me rend responsable de cette tourmente. Je prends cette responsabilité, je l'assume », a assuré celui qui tire les ficelles de la FIFA depuis 1998. Avant le vote, Joseph Blatter avait demandé le soutien des 209 délégués « pour qu'à la fin de mon mandat je puisse donner une FIFA forte, une FIFA propre, une FIFA robuste, une FIFA belle ». « Je souhaite rester avec vous, je souhaite continuer avec vous, c'est une question de confiance » avait conclu le patron du football mondial avant l'ouverture du scrutin. Il a été une fois de plus entendu. Et une fois de plus, après ce nouveau plébiscite, Joseph Blatter a promis de « prendre la responsabilité de la FIFA et de son redressement ». La FIFA a beau parlé de «turbulences», elle traverse bel et bien depuis mercredi matin une crise sans précédent. Au menu, corruption, racket, blanchiment et plusieurs interpellations. Le mot «turbulences» est faible face à l'ampleur du séisme sans précédent qui secoue la FIFA depuis mercredi. La justice américaine a obtenu que la police suisse intervienne au petit matin dans un luxueux hôtel de Zurich. Sept personnes ont été placées en détention et font l'objet d'une demande d'extradition américaine. Au total, quatorze personnes ont été inculpées -dont neuf actuels et anciens élus de la FIFA- pour corruption, racket et blanchiment pour plusieurs centaines de millions de dollars. Depuis quarante ans et l'intronisation de Havelange, la FIFA a la culture de la corruption. Blatter ne l'a pas initiée, mais il a toujours toléré. C'est un moyen de rester au pouvoir. Havelange, lui, était corrompu. Blatter a soigné les Warner, Teixeira, Blazer, Hayatou [actuel vice-président senior de la FIFA et patron de la Confédération Africaine de Football]. Il n'est pas intervenu pour ces cas de corruption. Quand on vend des droits télé pour 1 dollar, c'est de la corruption. La corruption, ce n'est pas seulement accepter de l'argent dans des enveloppes. La corruption a beaucoup de facettes. Quand Blatter parle de tolérance zéro contre la corruption, combien de présidents de fédérations nationales auraient le droit de vote si on respectait ce principe ? Vous pensez que la Fédération italienne va se plaindre de la corruption ? Quatre-vingt-dix pour cent des fédérations se foutent du jugement du public à l'égard de la FIFA. En Afrique, Asie, Europe de l'Est, ils n'ont aucune raison de se plaindre de la corruption. Ils se taisent. Pour le Qatar [qui s'est vu attribuer le Mondial 2022], Ben Hammam [ex-vice président de la FIFA et patron de la Confédération Asiatique de Football, radié à vie en 2012] a simplement appliqué les règles de la FIFA de manière extrême. Il a fait ce que tout le monde faisait. Comment le Japon et la Corée du Sud ont eu le Mondial, en 2002 ? Et l'Allemagne, en 2006 ? Vous pensez qu'il n'y avait que des saints ? L'attribution conjointe des deux prochaines Coupes du monde a été une erreur stupide. La justice américaine a dressé un état des lieux accablant d'une corruption, selon elle « endémique », au sein de la FIFA. Les quarante-sept chefs d'inculpation retenus contre neuf responsables de la FIFA, dont deux vice-présidents, et contre cinq partenaires, les accusent de « racket, fraude et blanchiment », sur une période de vingt-cinq ans, durant laquelle ces responsables du football mondial auraient « sollicité et reçu plus de 150 millions de dollars en pots-de-vin » en échange notamment des droits médiatiques et marketing pour les tournois internationaux de football. Un document de cent soixante-sept pages, fruit de plusieurs années d'enquête, raconte des entreprises écrans, des paradis fiscaux, des comptes cachés à l'étranger, des enveloppes d'argent liquide, l'achat de propriétés et l'utilisation d'« accords de services de consultants et autres types de contrats pour créer une apparence de légitimité pour des paiements illicites ». Des dizaines de millions de dollars ont également été retrouvées sur des comptes à Hong-Kong, aux îles Caïmans ou en Suisse. Le FBI a aussi perquisitionné le siège de la Confédération d'Amérique du Nord, Centrale et Caraïbes (Concacaf), à Miami. Les faits de corruption concernent notamment l'attribution des droits pour le centenaire de la Copa America, l'an prochain aux Etats-Unis, ou encore l'attribution de la Coupe du Monde 2010 à l'Afrique du Sud. Jeudi, Pretoria a rejeté les accusations de corruption et a assuré qu'un audit réalisé à l'occasion de la compétition « n'avait jamais suggéré qu'une quelconque infraction [avait] eu lieu ». Selon la ministre de la justice américaine, Loretta Lynch, la corruption et les pots-de-vin se sont étendus à l'élection du président de la FIFA en 2011, et à « des accords concernant le parrainage de l'équipe nationale de football du Brésil par une grande entreprise d'équipement sportif américaine ». De nombreuses rencontres, toutes sur le continent américain, sont également dans le collimateur de la justice américaine. Dans une procédure distincte, le parquet suisse a annoncé avoir saisi des documents électroniques au siège de la FIFA, à Zurich, dans le cadre d'une procédure pénale contre X pour soupçon de blanchiment d'argent et gestion déloyale entourant les attributions des Coupes du monde 2018 et 2022 à la Russie et au Qatar. Cette procédure, ouverte depuis le 10 mars, n'avait pas été rendue publique jusqu'à mercredi. Quatorze personnes – neuf membres ou anciens membres de la FIFA et cinq dirigeants d'entreprises de marketing sportif liées à la FIFA – sont mises en cause par la justice américaine. Les responsables inculpés à New York sont Jeffrey Webb, vice-président de la FIFA et président de la Concacaf; Eduardo Li, membre des comités exécutifs de la FIFA et de la Concacaf; Julio Rocha, chargé du développement à la FIFA; Costas Takkas, attaché au cabinet du président de la Concacaf; Eugenio Figueredo, actuel vice-président de la FIFA; Rafael Esquivel, membre du comité exécutif de la Conmebol; José Maria Marin, membre du comité d'organisation de la FIFA pour les Jeux Olympiques; Nicolas Leoz, ancien membre du comité exécutif de la FIFA, ainsi que Jack Warner, ex-membre du comité exécutif déjà impliqué dans de nombreuses affaires de corruption, arrêté à Trinidad-et-Tobago. Ces deux derniers n'ont pas été arrêtés mercredi en Suisse. Jeudi, la Concacaf a décidé de révoquer MM. Webb et Li et a nommé président Alfredo Hawit, jusque-là vice-président de la Confédération. Sont aussi accusés dans cette affaire Alejandro Burzaco, Aaron Davidson, Hugo Jinkis et Mariano Jinkis, tous partenaires de la FIFA, chargés du marketing, ainsi que José Margulies, intermédiaire qui aurait facilité des paiements illégaux. Le président de la FIFA s'est défendu en acclamant : « Beaucoup de gens me tiennent pour responsable. Je ne peux pas surveiller tout le monde tout le temps », a-t-il lancé jeudi, à l'ouverture du 65e congrès de la FIFA, à Zurich. « Les événements d'hier ont jeté une ombre sur le football et sur le congrès de cette semaine », a-t-il déploré. Plus tôt, M. Blatter avait refusé de démissionner suite à l'appel lancé par Michel Platini lors d'une conférence de presse. Ce dernier, qui s'oppose publiquement à un nouveau mandat de M. Blatter, a estimé que le Suisse pouvait « être battu » vendredi. Le comité exécutif de l'UEFA a, d'ailleurs, suggéré le report du congrès de la FIFA et du scrutin présidentiel. Les interpellations, mercredi matin, par des policiers suisses, à la demande des Etats-Unis, n'ont pas manqué de susciter des interrogations. « Tous ces accusés ont abusé du système financier américain et violé la loi américaine, et nous avons l'intention de les tenir pour responsables, a précisé la ministre de la justice américaine lors de sa conférence de presse. A de nombreuses occasions, les accusés et conjurés ont planifié certains aspects de ce complot de longue date aux Etats-Unis. Ils ont utilisé les banques et les possibilités de virement aux Etats-Unis». La loi américaine permet, en effet, de poursuivre des ressortissants étrangers à l'extérieur du territoire des Etats-Unis à partir du moment où les faits reprochés ont été commis grâce à une banque ou à un fournisseur d'accès à Internet situé aux Etats-Unis. Couramment utilisée dans les cas de terrorisme, cette procédure peut aussi être appliquée dans les affaires de corruption. Six des sept responsables de l'organisation internationale interpellés ont déjà fait savoir qu'ils refuseraient l'extradition vers les Etats-Unis, demandée par la justice américaine. La Suisse a fait savoir qu'elle allait déclencher la procédure classique, à savoir demandé à Washington de faire « parvenir des demandes formelles d'extradition à la Suisse dans un délai de quarante jours ». Les accusés risquent jusqu'à vingt ans de prison. Les interpellations ne sont « que le début » de l'opération lancée mercredi par la justice américaine, a prévenu le procureur fédéral de Brooklyn Kelly Currie, sans toutefois préciser si d'autres inculpations étaient à attendre prochainement.Dans la foulée de ces arrestations, le parquet suisse a annoncé dans un autre communiqué avoir ouvert le 10 mars une procédure pénale contre X pour soupçon de blanchiment d'argent et gestion déloyale entourant les attributions des Coupes du monde de football de 2018 et 2022, respectivement en Russie et au Qatar. Dans le cadre de cette procédure, des documents électroniques ont été saisis au siège de la FIFA, à Zurich. « Les enrichissements illégitimes se seraient déroulés en partie au moins en Suisse », précise le ministère de la Justice. Ces arrestations et l'ouverture d'une procédure en Suisse surviennent à un moment crucial pour l'organisation sportive internationale. Dans ce contexte délicat, l'institution sportive, qui n'est pas réputée pour sa transparence, a tenu une conférence de presse en fin de matinée. Walter De Gregorio, directeur de la communication de la FIFA, a tenu à rappeler que c'était la FIFA qui avait déclenchée cette enquête en raison de « possibles comportements répréhensibles » dans le cadre de l'attribution de la Coupe du monde 2018 à la Russie, et l'édition 2022, au Qatar. A cette époque, l'instance écrivait dans un communiqué qu'il semblait exister « des raisons de soupçonner ». « Evidemment, le timing n'est pas le meilleur, mais la FIFA salue cette procédure et collabore pleinement », a déclaré M. De Gregorio, soulignant au passage que « le secrétaire général et le président [de la FIFA] ne sont pas concernés par cette procédure ». Sentant désignée, la Russie n'a pas tardé à réagir via un communiqué de la Présidence. En effet, elle soupçonne les Etats-Unis de nourrir de noirs desseins à son encontre en empêchant la réélection de Joseph Blatter, candidat à sa propre succession à la tête de l'organisation et partisan affiché de l'organisation par la Russie de la Coupe du monde 2018. « M. Blatter avait toutes les chances d'être réélu, et nous connaissons quelles pressions ont été exercées sur lui pour empêcher la tenue de la Coupe du monde de football en Russie », a déclaré le président Vladimir Poutine, selon des propos rapportés sur le site de la présidence russe jeudi 28 mai. « Blatter, a-t-il poursuivi, considère que le sport doit avoir un impact positif sur la politique et servir de base au dialogue et à la réconciliation. » M. Poutine n'en doute pas : la mise en cause de plusieurs fonctionnaires de la FIFA, interpellés en Suisse et faisant l'objet d'une demande d'extradition des Etats-Unis, constitue une ingérence américaine de plus dans les affaires du monde en général et dans l'orbite russe en particulier. « Ces arrestations, a souligné le chef de l'Etat russe, semblent très étranges, car elles ont été effectuées à la demande des Etats-Unis (...), mais ces fonctionnaires ne sont pas des citoyens américains et si quelque chose s'est produit, cela n'a pas eu lieu sur leur territoire». La procédure engagée, « même en supposant que les Etats-Unis ont un certain droit d'extradition », constitue donc aux yeux de M. Poutine une « violation » grossière des règles internationales et « une nouvelle tentative flagrante d'étendre sa juridiction à d'autres Etats ». Pour étayer ses propos sur les dépassements américains, Poutine s'est appuyé sur le cas d'Edward Snowden en déclarant notamment : « Nous connaissons bien la position des Etats-Unis au sujet d'un ancien employé des services spéciaux, membre de l'agence nationale de sécurité, qui a dévoilé la pratique d'actions illégales des Etats-Unis à l'échelle mondiale, y compris en écoutant des dirigeants étrangers (...). Tout le monde en parle, y compris en Europe, mais personne ne veut lui donner le droit d'asile... » Au lendemain de la réélection de Blatter, la planète du football est divisée et les réactions pessimistes sont nombreuses. « Le football a perdu », a réagi l'ancien Ballon d'or Luis Figo, qui avait un temps été lui-même candidat mais s'était retiré avant le congrès électif. « Soit M. Blatter était au courant des actes de corruption, soit, s'il ne l'était pas comme il le prétend, cela signifie qu'il n'a pas les compétences pour diriger la FIFA », a poursuivi Figo dans un message posté sur sa page Facebook. Figo s'était retiré le 21 mai, huit jours avant le vote, estimant que le scrutin était un « plébiscite qui a pour objectif de remettre le pouvoir absolu à un homme ». De son côté, le président de l'UEFA, Michel Platini, qui avait appelé à la démission de Sepp Blatter, s'est dit « fier que l'UEFA ait défendu et soutenu un mouvement pour le changement à la FIFA. Le changement qui est, à mon avis, crucial si cette organisation doit retrouver sa crédibilité ». « Nous sommes déçus par le résultat de cette élection et nous allons continuer à tout faire pour qu'il y ait des changements significatifs au sein de la FIFA », a, de son côté, affirmé le président de la Fédération américaine de football, Sunil Gulati, dans un communiqué publié par US Soccer. « Notre objectif est que la FIFA dispose d'un gouvernement responsable, rendant des comptes, transparent et complètement concentré sur les meilleurs intérêts de notre sport », a-t-il poursuivi, tout en félicitant M. Blatter pour sa réélection. Les titres des grands journaux illustrent cette situation. Le quotidien allemand « Der Spiegel » titre à la Une : Blatter : 1 – football : 0. En France, Libération titre : des têtes tombent, Blatter garde la sienne. Le Monde titre : la guerre est déclarée, faisant allusion aux insinuations de Platini et de Blatter qui a déclaré lors d'une interview : « Je pardonne, mais je n'oublie pas». Dans ce contexte, Blatter peut-il aller jusqu'au bout de ce cinquième mandat ?