Pour irriguer un arbre, qu'il soit fruitier ou ornemental, il faut lui apporter environ 700 litres d'eau par semaine. A travers la technique du goutte-à-goutte, le besoin en apport hydrique hebdomadaire n'est plus que de 550 litres. Sauf que le coût d'installation et de maintenance d'un système d'irrigation au goutte-à-goutte demeure élevé pour les petits arboriculteurs. Et s'il y avait moyen de réduire cet apport en eau à 200 litres par semaine seulement et pour investissement de départ beaucoup moindre ? Cette solution miracle a un nom, le diffuseur enterré ! Un procédé d'irrigation révolutionnaire que l'on doit à un chercheur tunisien, le Dr. Bellachheb Chahbani, spécialiste de la gestion durable des ressources en eau dans les régions arides et semi-arides. Au Maroc, c'est un groupement associatif, le FP4S (Formation professionnelle-Santé-Sécurité-Services-Solutions) qui distribue ce produit. Mostafa Bouhaidous, président du FP4S, et Robert Kiss, un retraité français qui participe au projet, parlent du diffuseur enterré, utile aussi bien pour l'arboriculture, de toutes espèces (rosacées, agrumes, palmiers-dattiers, etc) que les cultures maraîchères, avec la conviction de militants enthousiastes du développement durable. Il y a effectivement de quoi s'étonner au vu des nombreux avantages que peut procurer l'utilisation de cette nouvelle technique d'irrigation, inspirée d'une méthode plus ancienne, connue aussi bien au Maroc qu'en Tunisie, celle de la jarre poreuse enterrée. L'idée est simple à mettre en œuvre. L'instrument se présente sous la forme d'une plaque en plastique, le diffuseur proprement dit, relié à un tuyau qui lui est verticalement fixé. Le tout est enterré à la périphérie de l'arbre, à une profondeur de 50 à 70 cm, permettant une irrigation localisée des racines. Premier avantage, le plus évident, l'eau étant injectée directement dans le sous-sol, ce qui laisse la surface totalement sèche, le taux d'évaporation est donc presque nul ! Des conséquences de ce premier avantage, il en découle plusieurs autres, non moins importants. D'abord une économie très significative d'eau, une denrée de plus en plus rare au Maroc. L'irrigation localisée permet de réduire de moitié le volume d'eau nécessaire à l'alimentation de l'arbre, de l'arbuste ou de la plante. Et qui dit absence d'évaporation, dit aussi disparition du phénomène de salinisation du sol qui en résulte. Ensuite, un gain de productivité scientifiquement prouvé, non seulement par rapport à la technique d'irrigation par submersion, mais aussi au goutte-à-goutte. Cette technique permet aussi de réduire de 30 à 50% le volume des engrais utilisés. Comme le sol demeure sec en surface, l'environnement de l'arbuste ou de la plante devient peu propice au développement des mauvaises herbes et parasites. Ce qui veut dire, pour l'exploitant, moins de fertilisants et de produits phytosanitaires à utiliser, donc moins de travail et de dépenses à fournir. Il va sans dire que la nappe phréatique est également ainsi préservée de la pollution. Pour les cultures maraîchères sous serres, un autre avantage de l'irrigation localisée en sous-sol est la baisse du taux d'humidité, ce qui favorise la diffusion du pollen, limite significativement la condensation génératrice de maladies fongiques et se traduit par un taux de fécondation plus élevé. Le diffuseur enterré est relié, via un tuyau doté d'un doseur d'eau, à une canalisation de distribution d'eau, qui est également enterrée, ce qui augmente d'autant sa durée de vie, étant protégé de l'usure. En d'autres termes, un système qui est fait pour durer très longtemps, sans besoin de maintenance, donc moins de travail et de frais d'entretien. Il va sans dire que cela rend la profession d'agriculteur plus attrayante, en termes de conditions de travail et de rentabilité, un argument des plus convaincants pour enraciner les populations dans les régions rurales. Irrigation anticipée par stockage souterrain Autre atout de ce mode d'irrigation, d'inspiration comme de conception à 100% maghrébines, le diffuseur enterré permet l'irrigation anticipée, par stockage de l'eau directement dans le sous-sol avoisinant les racines de l'arbre. Les essais en laboratoire et in-situ ont démontré que l'eau injectée est quatre fois mieux conservée en sous-sol, pendant la période estivale, du fait de l'irrigation souterraine, en comparaison avec la technique du goutte-à-goutte. Non seulement cette technique autorise un espacement des fréquences d'irrigation, de 20 à 40 jours, ce qui entraîne automatiquement une baisse des coûts, mais il est également possible à l'arbre de s'alimenter en eau, durant les saisons peu humides printanière et estivale, en puisant dans le stock constitué, pendant les périodes pluvieuses d'automne et d'hiver, dans son système racinaire. Il suffit pour cela d'injecter de l'eau, par diffuseur enterré, dans les couches profondes du sol des plantations arboricoles, quelques semaines d'affilée, quand les conditions hydriques sont les plus propices. Il en résulte une régularisation de la productivité des arbres fruitiers, même pour les années peu pluvieuses. L'irrigation souterraine favorise, par ailleurs, le développement du système racinaire profond de l'arbre, celui-ci est donc mieux accroché au sol, ce qui lui évite de se faire arracher par des vents violents. Le reboisement des espaces forestiers, dans le cadre de la lutte contre la désertification, en serait, de la sorte, facilité. Avec 700m3 d'eau par personne et par an, le Maroc est dans une situation de fragilité hydrique. Pour l'instant, la chose est gérable, vu que la demande actuelle en eau est de 13 milliards de m3, tandis que les ressources disponibles s'élèvent à 22 milliards de m3/an environ. Mais cette demande va continuer d'augmenter, avec l'accroissement démographique et des besoins. En 1960, le ratio volume d'eau par habitant et par an était de 2.500 m3. En 2025, 2030, ce ratio ne sera plus que 500m3, c'est-à-dire que le Maroc sera en plein stress hydrique. La menace est donc réelle. Cinq régions du Royaume, Ouarzazate, Er-Rachidia, l'Oriental, Tensift et la zone côtière entre Rabat et Casablanca sont déjà dans cette situation. Comme l'irrigation absorbe, à elle seule, 88% de l'eau consommé annuellement au Maroc, s'il y a des économies à réaliser, c'est bien du côté de l'agriculture qu'il faut chercher des moyens d'y parvenir. L'introduction de la technique du goutte-à-goutte a constitué un énorme pas en avant dans l'économie de l'eau à usage agricole, toutefois limitée aux seuls exploitants agricoles qui ont les moyens de se doter des équipements nécessaires et de les entretenir. Le diffuseur enterré pour l'irrigation souterraine localisée est non seulement plus efficace, mais exige aussi un investissement de départ et des frais de maintenance moindres, donc à la portée de tous les agriculteurs à qui il peut être utile. Une expérience à ce sujet a été initiée, en début de cette année, dans deux exploitations arboricoles, à Zagora et Figuig, avec le soutien de l'ORMVA de Ouarzazate. La commune de Tazarine, dans la province de Zagora, se veut pionnière en matière d'usage de diffuseurs enterrés pour l'arrosage des palmiers ornementaux à l'entrée de cette petite agglomération. Elle escompte ainsi économiser 80% de l'eau que nécessitait l'arrosage de ses arbres jusqu'à présent, soit pas moins d'un million et demi de litres d'eau par an ! Compte non tenu de l'économie d'énergie qui va avec et du coup d'arrêt donné à la salinisation du sol. Innover et croire en l'innovation en l'exploitant au mieux de ce qu'elle peut offrir est, en matière d'économie de l'eau, bien plus pour le Maroc qu'une simple question de rentabilité. C'est une question de survie de la nation, telle qu'on va la léguer à nos enfants et petits-enfants.