Da'ech a totalement supplanté l'action d'Al Qaïda sur la scène internationale. Ils ne sont de toute façon pas sur le même registre. Da'ech s'inscrit dans l'orchestration même de la violence, à travers une certaine matérialisation, aux moyens de scènes filmées et de la mise à disposition aux médias internationaux. Les deux organisations poursuivent les mêmes objectifs mais diffèrent sur les moyens d'y parvenir. Pour les spécialistes, Al Qaïda aurait une démarche trotskiste tandis que Da'ech est dans un processus stalinien. Au nom «du fils et du père», Al Qaïda et Da'ech ont une relation de filiation. Le second est né de la scission avec l'ancienne organisation d'Oussama Ben Laden. Le 9 avril 2013, naît l'État islamique en Irak et au Levant ou État islamique en Irak et al-Sham, plus connu sous son acronyme arabe Da'ech ou Isis en anglais. Le 29 juin 2014, Abou Bakr al-Baghdadi se proclame calife, successeur du prophète et prend le nom d'Ibrahim. En fait, liée à Al Qaïda, la véritable création de Da'ech remonte à 2006, quand l'organisation formait avec d'autres groupes l'État islamique d'Irak. «Les jihadistes se divisent aussi sur le plan stratégique. Certains, comme Al Qaïda et Jabhat al-Nosra en Syrie, comparables aux trotskistes en leur temps, veulent faire triompher le djihad global en exportant leur vision de l'islam, de manière à inverser le rapport de forces global en leur faveur, ce qui seul permettra l'établissement d'un califat définitif et rédempteur. La lutte passe ici avant l'établissement du modèle. D'autres, comme Da'ech aujourd'hui, suivent une logique plus «stalinienne», en visant l'établissement du califat ici et maintenant, sur un territoire donné à partir duquel le jihad global pourra s'exporter», explique Stéphane Lacroix, chercheur et professeur associé au CERI. Stratégies différenciées Pour de nombreux spécialistes, l'analogie avec le communisme peut aider à comprendre le mode de fonctionnement des deux organisations. «Ben Laden pouvait être considéré comme le petit-fils du révolutionnaire argentin Che Guevara. Sa méthode consistait à multiplier les foyers d'insurrection afin d'amener l'ennemi à se disperser, comme il l'a fait en Tchétchénie, au Kosovo, puis en Irak, en Arabie Saoudite et au Maghreb. Da'ech fait le contraire, en se concentrant sur un territoire, ce qui le rend plus vulnérable car plus facile à liquider. Mais cette fragilité s'arrête là. Le commandement décentralisé de l'organisation rend son fonctionnement plus souple. Il semble que sur le terrain ses éléments ont une très large liberté d'action», relève Henry Laurens, professeur d'histoire et membre du comité éditorial de la revue Maghreb-Machrek. Pour Al Qaïda, les États-Unis et plus généralement l'Occident, demeurent le principal ennemi. Da'ech, lui, préfère les ennemis à portée de fusil. «Ils (les combattants de Da'ech) s'attaquent volontiers à de fragiles rivaux sunnites dans leurs zones de prédilection, mais l'enthousiasme retombe lors de confrontations trop coûteuses avec des adversaires plus sérieux : ils participent peu à la lutte contre le régime syrien, évitent le face-à-face avec les milices chiites irakiennes et modèrent leur antagonisme envers les factions kurdes», constate Peter Harling, chercheur pour l'International Crisis Group. Al Qaïda a des «franchises» dans de nombreux pays, Aqpa (Al Qaïda dans la Péninsule Arabique) et Aqmi (Al Qaïda au Maghreb islamique) étant les plus virulentes et les plus riches. Da'ech engrange aussi des allégeances, en Égypte et en Libye, notamment. «Da'ech est né d'Al Qaïda. Le mouvement s'inspire de son mode de franchise qui repose sur l'allégeance au groupe de diverses entités géographiquement séparées. Ainsi, à chaque fois que le mouvement connaît un succès, il engrange des ralliements. La comparaison s'arrête toutefois là. A l'époque d'Al Qaïda, le recrutement se faisait sérieusement, avec une méthode et un programme à respecter, sans parler d'un commandement centralisé. Le fonctionnement de Da'ech paraît plus brouillon autant qu'on puisse le savoir», remarque Henry Laurens. Alliées ou concurrentes ? Les avis divergent. Reçu au parlement français, après l'attentat contre Charlie Hebdo, Stéphane Lacroix note une compétition macabre. «La concurrence entre Daech et al-Qaïda – c'est-à-dire Jabhat al-Nosra en Syrie – relève d'une différence stratégique, les deux mouvances étant dans une logique de guerre contre l'Occident. Ils se distinguent sur les moyens à adopter : établir une base permettant d'exporter la guerre ou bien mener la guerre afin d'établir une base. Ce n'est visiblement pas de Da'ech, mais d'Al Qaïda au Yémen qui était à la manœuvre pour les attentats.