Privilégiant d'intervenir au moyen des outils dont elle dispose auprès d'investisseurs étrangers plutôt que d'investisseurs nationaux, l'Agence Marocaine de Développement des Investissements (AMDI) est peu efficace chez les premiers et absente chez les seconds en terme d'investissements réalisés et d'entreprises converties. Auprès de plusieurs marchés cibles et prospects, ses outils d'interventions sont de surcroît inadaptés. La cour des comptes qui vient de rendre public un rapport concernant cette Agence lui reconnaît pourtant des compétences et des qualités. Les insuffisances marquant sa gestion et son intervention relevées par la C. C. trouvent leur origine, en partie, dans les anomalies et informations incomplètes figurant sur son certificat de naissance et autres documents juridiques la concernant, c'est-à-dire les textes qui la régissent en liaison avec la vieille charte de l'investissement. La mission de contrôle de la gestion de l'Agence Marocaine de Développement des Investissements (AMDI) effectuée par la Cour des comptes a porté essentiellement sur le cœur du métier de l'Agence, à savoir la promotion de « l'offre Maroc », la communication ainsi que le démarchage commercial. Au regard du cadre juridique de l'Agence, le diagnostic a également concerné son articulation avec les différentes composantes de l'environnement institutionnel régissant l'investissement. De même, la contribution de la gouvernance et de la fonction support à la réalisation de la mission principale a été examinée. Constats majeurs par rapport au Pacte National pour l'Emergence Industrielle 2009-2015 Il a été constaté que la gestion de l'Agence n'est pas clairement appréhendée par rapport aux agrégats du Pacte National pour l'Emergence Industrielle (PNEI) 2009-2015 bien qu'elle en soit l'émanation. Raison pour laquelle un diagnostic de fond a été engagé au sujet de l'environnement institutionnel régissant l'investissement au même titre que le cadre statutaire de l'Agence. Ainsi, les essais d'identification de l'impact direct des actions menées par l'Agence se sont heurtés à la non programmation par le conseil d'administration d'un point spécifique liant les indicateurs de gestion aux objectifs du PNEI. A cet égard, à l'occasion des assises nationales de l'industrie, le rôle de l'AMDI en tant qu'instrument du pacte ne ressort pas clairement par rapport aux résultats des Investissements Directs Etrangers (IDE) et des rencontres organisées (B2B). A ce sujet, il est à rappeler que l'Agence est membre d'un des organes de gouvernance prévus par le pacte et qui n'est pas opérationnel, à savoir le comité de pilotage pour la partie relative aux Métiers Mondiaux du Maroc et les IDE. En se basant sur l'indicateur clé « flux nets d'IDE », les années 2012 et 2013 ont continué sur le trend haussier de 2011: +22% en 2012 par rapport à 2011 et +28% à fin juin 2013 par rapport au même mois de 2012. Quant à l'évolution de la Formation Brute du Capital Fixe (FBCF), elle a connu une dynamique soutenue entre 2006 et 2012 en dépit de la mauvaise performance enregistrée en 2009. La contribution des IDE dans cet investissement global est de 13,6% entre 2006 et 2012 et la contribution annuelle moyenne est de 4,2%. Il convient de mentionner que l'industrie occupe la première position sur la liste des IDE avec 26% du total en 2012 et, par activité, l'industrie manufacturière devance l'activité immobilière avec une hausse de 36% par rapport à 2011. La part industrielle des IDE est passée de 2,7 MMDH en 2009 à près de 12 MMDH pour le 1er semestre 2013, soit de 11% à 52%. Les emplois dans les métiers mondiaux du Maroc (MMM) sont passés de 366 834 en 2009 à 445 000 en 2012, soit une création nette de 78 000 emplois. Quant aux exportations, elles sont passées pour cinq secteurs (l'automobile, l'aéronautique, l'électronique, l'off-shoring et le textile) de 53,1 MM DH en 2009 à 76,9 MM DH en 2012, avec une forte augmentation pour l'automobile de 109% (25,1 MMDH en 2012 contre 12 MMDH). Conflit d'attributions en matière d'investissement entre ministères Jusqu'à une date récente, le positionnement institutionnel de l'autorité chargée de l'investissement n'était pas précisé. Si cette question a été résolue depuis la nomination du nouveau gouvernement, le conflit d'attributions en matière d'investissement demeure entre le ministère des Affaires Générales et de la Gouvernance et le Ministère de l'Industrie, du Commerce, de l'investissement et de l'Economie Numérique. De même, des chevauchements d'attributions ont été relevés entre la commission chargée du suivi des projets d'investissement créée en mai 2013 et pilotée par le Ministre de l'Economie et des Finances et un comité similaire mis en place avant cette commission appelé " comité after care " piloté par l'AMDI. Il convient également de signaler que les conditions dans lesquelles l'Agence a été créée ne concourent pas à la clarification de son champ d'action. L'Agence est l'émanation directe du pacte national pour l'émergence industrielle (PNEI), à obédience sectorielle, bâtie toutefois sur l'ex-Direction des Investissements qui a toujours eu une mission transverse. En outre et par rapport aux prévisions du PNEI, ce champ d'action a été étendu à d'autres secteurs ne faisant pas partie des métiers mondiaux du Maroc (pharmacie, chimie...). Les activités de l'Agence sont placées dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie nationale en matière d'investissement. A ce titre, elle est chargée de proposer au gouvernement le plan de développement des investissements à caractère sectoriel (industries, commerce et nouvelles technologies). Enfin, l'AMDI est chargée du secrétariat de la commission des investissements traitant des investissements toutes catégories confondues. La loi n°41-08 portant création de l'Agence n'a pas été modifiée pour tenir compte des changements de ses missions et attributions, d'abord après transfert de la mission liée au développement des zones d'activités au MICNT et ensuite après la désignation de l'Agence comme "point de contact national" de l'OCDE sur le degré de respect par les sociétés multinationales des principes directeurs de l'investissement. A ce niveau, il serait difficile de soutenir durablement le rôle de juge et partie. Non maîtrise du processus décisionnel de concrétisation des projets L'Agence tarde à se positionner valablement en tant que plateforme de coordination entre les diverses institutions intervenant dans le processus d'investissement. Elle reste handicapée par la maîtrise partielle d'une partie du processus décisionnel devant aboutir à la concrétisation des projets d'investissement. L'Agence traite des dossiers transverses sans pouvoir décisionnel correspondant. Elle participe à des événements ou les organise bien qu'ils ne figurent pas sur son plan d'action et ses propositions demeure non contraignantes. Par ailleurs, la vacance du poste de Directeur Général de février 2012 jusqu'à septembre 2013 a retardé la prise de décisions concernant certains actes de gestion stratégiques qui ne pouvaient être pris par le directeur par intérim. Elle a également freiné le développement du rôle de l'Agence en tant que force de propositions. Outils de travail inadaptés en fonction des catégories d'investisseurs Au regard du positionnement de la fonction de Marketing stratégique au sein de sa chaîne de valeur, l'Agence est appelée à alimenter toutes les actions menées aussi bien lors des campagnes de promotion que lors des actions de démarchage et procéder à l'évaluation ex post. Les points sensibles identifiés concernent la définition et le profilage, les besoins spécifiques à chaque catégorie d'investisseur et l'impact recherché par type d'IDE. Les outils de travail des équipes engagées dans la promotion et le démarchage ne sont pas organisés en fonction de la catégorie d'investisseurs cibles d'un côté, ceux qui visent le marché intérieur et, de l'autre, les investisseurs relevant de la logique "exporter depuis le Hub Maroc " nécessitant un financement local. Le benchmark laisse apparaître que le panorama des investisseurs potentiels est très diversifié. Il comprend des fonds souverains, des fonds d'investissement (holdings), des groupes industriels et de services, des gestionnaires de fortunes, des PME de taille variable et des fonds spéculatifs. De même, l'origine des projets impliquant directement l'AMDI est large et hétérogène en termes d'approches d'investissement (investissement direct, investissement financier indirect, fonds d'investissement, partenariats...). Les outils mis en place par l'Agence pour la vérification de la pertinence des choix sectoriels ne comprennent pas la veille positive et le référentiel des effets, qui renseignent sur l'effectivité de l'attractivité de l'offre Maroc et l'effet de levier pour l'action de l'État. L'activité de promotion menée par l'AMDI se matérialise essentiellement par l'organisation et la participation à des événements nationaux et internationaux ainsi que par le lancement de campagnes de communication. La stratégie se focalise essentiellement sur le niveau international, comme en témoignent l'effort budgétaire consenti et l'absence de stratégies spécifiques d'une part, pour les Grands Comptes dont le témoignage est décisif pour l'image de marque du Maroc ; et, d'autre part, pour fidéliser les investisseurs de référence à travers l'encouragement du réinvestissement. Ainsi, les parts respectives des grandes entreprises et des PME dans le portefeuille cible des opérations de promotion et de communication a influé sur l'opérationnalisation de la démarche commerciale de l'Agence vis-à-vis des Grands Comptes. De plus, le réexamen de la stratégie de promotion n'a pas été effectué à temps pour l'adapter à l'essoufflement progressif des avantages comparatifs du Maroc en matière d'off-shoring. Bien qu'ils fassent l'objet d'une adaptation continue, les supports promotionnels laissent apparaître la prépondérance des plans médiatiques au moyen de spots télévisés au détriment du rédactionnel. Ils ne sont pas alimentés systématiquement de témoignages directs d'investisseurs déjà installés au Maroc. En outre, le canal du partenariat ne concourt pas suffisamment à l'optimisation de la stratégie de communication. Le benchmark laisse apparaître le délestage des spots télévisés dans les plans média des agences des pays concurrents et la prépondérance du rédactionnel mettant en avant les expériences réussies assorties de témoignages (Brésil, Turquie...). Très peu de sociétés converties Entre 2010 et 2013, le nombre de sociétés converties s'élève à 57. Au regard de la multitude des variables qui conditionnent la décision d'investir, il est difficile d'imputer la totalité des conversions sus indiquées au travail effectué par les équipes de l'AMDI. Par ailleurs, il est à noter que les secteurs couverts par les sociétés converties dépassent le cadre strict des métiers mondiaux du Maroc. En guise de test de la capacité de l'Agence à concourir à la réalisation de certains objectifs complémentaires du PNEI, la Cour a calculé le taux d'occupation des P2I. Il s'est avéré que seules 10 sur 21 sociétés converties en 2011 se sont installées dans une P2I. Le nombre est de 12 sur 24 sociétés pour 2012. La relative attractivité desdites zones qui ne dépasse pas 50% est due, d'après les responsables de l'Agence, aux prix élevés des terrains. Bien que les équipes soient fortement montées en compétence avec le temps, les profils spécialisés par secteur d'activité sont rares. Dans certains secteurs clés comme l'aéronautique ou l'automobile, ce manque d'expertise est partiellement comblé par les associations professionnelles qui sont associées aux actions commerciales. Au niveau international, les ressources des agences similaires sont généralement réparties par secteur et non par région, favorisant l'émergence de l'expertise sectorielle requise. La répartition du portefeuille de prospects varie fortement d'un responsable à un autre et d'une région à une autre, ce qui n'est pas sans conséquences sur la répartition par département. En continuant à concentrer l'effort commercial sur les zones classiques, l'Agence n'arrive pas à dégager des ressources suffisantes pour les nouvelles zones géographiques prometteuses : BRICs, Asie, USA et Canada. A cela s'ajoute l'insuffisante adaptation du démarchage commercial engagé. Inadéquation entre besoins et offres et absence de veille économique Les besoins à la fois communs et spécifiques par catégorie d'investisseurs ne se retrouvent pas clairement dans les offres commerciales. Ces dernières impliquent : - des critères de sélection communs à tous les secteurs : coûts, main d'œuvre ; - des critères spécifiques par secteur : les langues pour l'off-shoring ; le tissu industriel et la logistique pour l'automobile, l'aéronautique et l'électronique ; - des éléments différentiateurs : stabilité, accès à des grands marchés régionaux liés au Maroc par des accords de libre-échange en plus de la proximité. Les écueils à ce niveau viennent de la difficulté d'alimenter suffisamment les actions de démarchage par des données fines et à jour à partir de la veille commerciale et stratégique. Il en est de même de la délimitation non encore clairement établie du périmètre et du champ d'action de l'Agence, empêchant de faire le lien direct entre les efforts consentis par ses équipes et le nombre d'investisseurs installés. En outre, la non institutionnalisation du calcul du coût de conversion par société, par secteur et par pays ne permet pas de mettre continuellement l'effort budgétaire consenti en corrélation avec la stratégie de démarchage. Bilan de la commission des investissements Les travaux de la commission des investissements, dont l'AMDI assure le secrétariat, se sont soldés au titre de la période 2010-2013 par la validation de 283 projets totalisant un investissement prévisionnel global de 240,75 milliards de dirhams. La commission pourrait fluidifier davantage le circuit de validation et de signature des conventions si les points de non performance identifiés sont éliminés. De l'analyse de la répartition des investissements par origine, il ressort la prédominance des investissements d'origine nationale. L'enseignement tiré n'est pas convenablement pris en considération lors de la programmation des actions de promotion et de démarchage. La charte de l'investissement (loi n°18-95), promulguée le 8 novembre 1995, qui définit le cadre de l'action de l'Etat en matière de développement et de promotion des investissements n'est plus d'actualité. Par ailleurs, et comparativement aux incitations proposées par les pays concurrents, celles prévues par la Charte de l'Investissement restent peu attractives. Sur un autre plan, le délai de signature des conventions d'investissement approuvées par la Commission des Investissements impacte négativement le processus conventionnel. En guise de comparaison, l'autorité Malaisienne de développement des investissements (MIDA) affiche solennellement l'engagement de répondre à toute demande des investisseurs dans un délai maximum de 7 jours. En vertu de la circulaire du Chef du Gouvernement du 4 septembre 2012, l'AMDI a été chargée de l'évaluation des coûts et bénéfices des projets de conventions d'investissement, et de la production d'un rapport annuel public. Aussi, la Banque Mondiale a-t-elle été sollicitée pour lancer, en collaboration avec l'Agence, un processus d'élaboration d'un guide pour l'évaluation. Le projet a été intégré au programme d'appui à la compétitivité de l'économie marocaine visant à améliorer la transparence et l'efficacité des incitations publiques accordées aux investisseurs. After Care insuffisant Le suivi des projets (After Care) fait partie des bonnes pratiques adoptées par les agences de promotion des investissements à l'échelle internationale. Ce mode opératoire vise plusieurs objectifs dont la fidélisation des investisseurs et l'amélioration continue de l'attractivité et du climat des affaires. La Cour a relevé qu'il n'intègre pas suffisamment tous les acteurs de développement local et régional pouvant servir de passerelle avec les investisseurs, à même d'identifier plus d'opportunités et de recueillir plus d'avis sur le cadre incitatif. De même, les actions de suivi ne sont pas accompagnées d'enquêtes de satisfaction et des sondages d'opinions. Le benchmark effectué a mis en évidence l'impact positif de l'exercice de cette attribution sur l'image de marque de toute Agence de promotion des investissements. Par ce moyen et à titre d'exemple, l'Agence de promotion andalouse est devenue l'interlocuteur privilégié des investisseurs installés au sud de l'Espagne, ce qui lui permet de remonter rapidement l'information au niveau décisionnel. De son côté, l'Agence turque en fait un des éléments de sa stratégie de communication. Statut fiscal de l'AMDI non clarifié Le statut fiscal de l'AMDI n'est pas clarifié. Actuellement, elle demeure soumise à l'IS et à la TVA et aucun dépôt de déclarations fiscales n'a été fait. Par ailleurs, la retenue à la source n'est pas souvent effectuée au titre des prestations rendues à l'étranger par les agences de communication engagées. De même, la TVA n'est pas facturée. Les recommandations de la Cour des comptes Eu égard à ce qui précède, la Cour des comptes recommande à l'AMDI ce qui suit : - Compléter la clarification du cadre institutionnel régissant l'investissement et adapter les textes de l'Agence et la charte de l'investissement en conséquence, de préférence suite à un large benchmarking international ; - Adopter l'approche " intelligence économique " et introduire de nouveaux instruments de veille afin d'élargir l'intervention de l'AMDI au-delà des besoins ponctuels de démarchage ; - Continuer à diversifier et à adapter le packaging de " l'Offre Maroc " ainsi que l'argumentaire industriel et commercial à chaque profil de porteurs de projets et selon le pays cible ; - Saisir le maximum d'opportunités d'investissement, aussi bien d'origine nationale qu'étrangère. La consolidation de fournisseurs de composants autour des investisseurs de grande envergure déjà installés pourrait être retenue comme priorité moyennant notamment l'encouragement de partenariats entre les investisseurs étrangers et les PME marocaines. - Consolider les tendances récentes consistant en l'adaptation des plans média en fonction des pays et la diversification des supports de communication ; - Mettre en avant les éléments différentiateurs de "l'Offre Maroc" et revoir la démarche d'évaluation des campagnes promotionnelles afin de proposer les mesures d'ajustement nécessaires en temps opportun ; - Améliorer l'opérationnalisation des conventions de partenariat par le partage effectif des plans d'action avec les différents acteurs dans le domaine de la promotion économique (ambassades, RAM, aménageurs, agences sectorielles de promotion ...) favorisant ainsi la complémentarité et la mutualisation des moyens ; - Adapter les plans d'action aux mutations économiques internationales, notamment en ce qui concerne le régime à suivre sur les deux premières sources d'IDE à destination du Maroc (France et Espagne) et le rythme à donner aux efforts de diversification. En parallèle, procéder à une réorganisation des ressources de l'Agence entre marchés historiques et nouveaux marchés ; - Institutionnaliser l'approche analytique en matière commerciale en vue d'évaluer la contribution réelle de chaque type d'intervention dans la quête des investissements (équipes de l'AMDI, agents commerciaux, partenaires) ainsi que pour mesurer- l'impact global de l'effort promotionnel de l'agence ; - Renforcer les actions d'accompagnement "after care" pour l'ensemble des entreprises installées, qu'elles soient marocaines ou étrangères et intégrer les enquêtes de satisfaction dans une démarche globale d'assurance qualité ; - Continuer les efforts en cours pour la mise en conformité de l'Agence avec le "Code marocain de bonnes pratiques de gouvernance des Entreprises et Etablissements Publics".