Le fantôme de Maaz Al-Kassasbeh, le pilote jordanien brûlé vif par Da'ech, va hanter pour très longtemps les jihadistes. Pour nombre d'observateurs notamment arabes, ce crime de trop de la bande à Bagdadi marque le début de la fin de cette organisation terroriste. Au-delà de l'exécution du pilote jordanien, capturé par Da'ech quand son F16 s'est crashé, le 24 décembre dernier, en Syrie, c'est la manière atroce dont il a été mis à mort qui a suscité une profonde colère au sein de l'opinion publique arabo-musulmane. En brûlant vif un prisonnier de guerre, Da'ech s'est mise encore plus en dehors du cadre de la Chariâ qu'elle prétend vouloir imposer. Désormais, la distinction est claire entre Musulmans et Da'echiens, quoi qu'ils se prétendent de l'Islam. La guerre est déclarée entre les deux parties. On pourrait se demander quel genre de guerre serait-ce alors que des armées régulières, renforcées de bataillons de volontaires, se battent déjà contre Da'ech en Irak et en Syrie, en Égypte et en Libye, sans parler des avions de combat de la Coalition menée par les États-Unis, pour des résultats qui ne sont pas maigres, mais qui ne sont pas non plus extraordinaires. C'est une autre question qui répond à la première. Pour quelles raisons de jeunes écervelés musulmans provenant de plusieurs pays du monde ont-ils continué à rejoindre les rangs de Da'ech, alors que cette organisation terroriste aux méthodes barbares était combattue par les armées de plusieurs pays ? La peur de la mort n'a jamais fait reculer un musulman, mais seulement tant qu'il croit en la cause pour laquelle il est prêt à sacrifier sa vie. La propagande jihadiste fait miroiter aux esprits les plus malléables dans le Monde arabo-musulman et des communautés musulmanes immigrées la perspective de mourir en martyr, en vertu de leur conception erronée de l'Islam. Les mesures prises par les services de sécurité de plusieurs pays se sont avérées insuffisantes pour stopper les flux de jihadistes qui rejoignent Da'ech et autres organisations terroristes similaires, qui sévissent à grande échelle depuis trois ans au Proche Orient et en Afrique du nord. La meilleure prévention contre les départs de jeunes musulmans endoctrinés pour un prétendu jihad passe par un contre lavage de cerveau, ce que personne n'a réussi à faire efficacement jusqu'à présent. Da'ech serait, en fin de compte, parvenu, là où d'autres ont échoué, à comptabiliser des résultats probants : porter un coup fatal à sa prétention affichée de défendre l'Islam. Le prophète de l'Islam s'est clairement opposé à tout traitement cruel ou humiliant des prisonniers de guerre et même la mise à mort d'un individu est strictement codifiée quant à son application. Les Da'echiens auraient beau invoquer le théologien du XIIIème siècle, Ibn Taymya, la référence par excellence du courant idéologique dont découle le jihadisme, cette fois-ci, il ne leur sera pas d'un grand secours. En brûlant vif le pilote jordanien capturé, Da'ech s'est sabordée sans le savoir. Par la mise en scène, calculée au détail près et montée avec un soin artistique, de l'exécution par incinération du pilote jordanien, Da'ech cherchait plutôt à redresser sa renommée ternie, ces derniers temps, par de successives défaites militaires face aux armées irakiennes et syriennes. L'organisation terroriste a voulu «innover» en matière de spectacle de mise à mort, les vidéos diffusées de décapitation de prisonniers ayant fini par être banalisées par la multitude de remake. La cruauté est la marque distinctive de Da'ech, à travers laquelle les jihadistes cherchent à inspirer la terreur. Sauf qu'une fois un certain seuil franchi dans l'horreur, l'effet en retour pourrait s'avérer contraire aux attentes des Da'echiens. Jusqu'ici ils inspiraient la terreur chez les peuples arabo-musulmans. Désormais, ils inspirent plutôt la haine. A l'instar des Jordaniens, de plus en plus de musulmans dans divers pays arabes ont envie de «bouffer» du da'echi. Et l'on fait de plus en plus attention aux autres crimes que les Da'echiens commettent, asservissement sexuel de femmes et même d'enfants, réapparition de l'esclavagisme, exécution pour divers motifs invoqués de volontaires étrangers ayant rejoint Da'ech pour le jihad, avant de se rendre compte dans quel piège ils étaient tombés. Les Oulémas «traditionnels», à l'image de ceux d'Al Azhar, en Égypte, ont trouvé en l'emportement crématoire des Da'echiens preuve flagrante de leur dévoiement, ne manquant pas de les vouer aux gémonies et les accuser même de satanisme. Les théologiens musulmans de la «vieille école», honnis par les jihadistes, font enfin preuve de véhémence dans leur contre-attaque. L'ambiance générale dans les pays arabo-musulmans comme au sein des communautés musulmanes immigrées, qui ont encore d'autres raisons de détester les Da'echiens, est donc de moins en moins propice à susciter les vocations jihadistes. Voir se tarir les flux de recrutement des combattants étrangers est la pire des choses qui puisse arriver à Da'ech. Non pas que ces volontaires étrangers constituent l'essentiel de ses effectifs, ce sont des irakiens et des syriens qui composent le gros de ses troupes, mais plutôt en raison du recul de «notoriété» sur la scène internationale que cette situation pourrait signifier. Bien sûr, les Da'chiens disposeront toujours de partisans à travers le monde, mais ces derniers ont de plus en plus intérêt à se faire discrets. Les candidats jihadistes qui rêvent du statut d'héros voient bien qu'ils risquent à l'inverse d'être considérés comme des monstres assoiffés de sang par leur entourage, auprès duquel ils cherchaient, au contraire, à se valoriser. Un simple doute sur la justesse de la «cause» pour laquelle les volontaires jihadistes étrangers se sont montrés jusqu'à présent prêts à sacrifier leurs vies, et le courage d'affronter la mort fond comme beurre au soleil. Ce n'est donc pas le moment de manquer de détermination dans la guerre contre Da'ech. Au contraire, il ne saurait y avoir de meilleure opportunité pour enfoncer le clou et en finir, une fois pour toute, avec cette organisation terroriste barbare. Un escadron de F16 émiratis sera prochainement stationné en Jordanie, prémices d'une reprise de la participation des Émirats Arabes Unis aux raids aériens contre les positions des Da'echiens. Ce qui pourrait aussi signifier que les six F16 marocains, engagés sous commandement émirati, devraient également se remettre à nettoyer les nids des Da'echiens aux bombes anti-bunker à guidage laser, GBU. Et tous les pilotes arabes qui partent à l'assaut des terroristes jihadistes ne manqueront pas d'avoir une pensée pour leur collègue jordanien, Maaz Al-Kassasbeh, dont la triste fin aurait permis de mettre en relief le déficit des armées arabes en capacités opérationnelles de recherche et de sauvetage. Maaz Al-Kassasbeh est un nom qui est maintenant passé à la postérité, dans la souffrance du martyre pour celui qui l'a porté, mais aussi pour le plus grand malheur des monstres jihadistes qui l'ont sauvagement assassiné.