Les régions du Sud de l'Algérie se trouvent, de nouveau, propulsées au-devant de la scène par une mobilisation populaire aussi tenace que surprenante contre le gaz de schiste, la spirale pernicieuse des tensions communautaires et le retour au front des chômeurs. La grogne, qui a gagné ces derniers temps un bon nombre de villes méridionales, se nourrit de préoccupations disparates en apparence, mais qui se croisent sur le fond: Un sentiment ambiant chez les populations locales d'être des laissés-pour-compte, accentué par un horizon bouché et un contexte d'austérité peu favorable à la réalisation de leurs aspirations. Quoiqu'elles contribuent très largement à la richesse nationale, via les gigantesques gisements de pétrole et de gaz, ces régions ne tirent pas, au demeurant, profit des dividendes de leurs ressources naturelles. Elles sont les plus frappées par le chômage et la précarité sociale, couplés d'un déficit significatif en infrastructures et d'un important décalage de développement par rapport au nord du pays. "La mobilisation et la contestation des populations du Sud sont d'abord le résultat des promesses non tenues et de conditions vie loin de la norme nationale". C'est le constat dressé par le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), qui met en cause "une politique d'un pouvoir hors du temps et piégé par une logique clanique qui dénie la souveraineté à son peuple". Le choix des autorités à ne pas céder sur le schiste a offert aux habitants du Sud une occasion inespérée pour rappeler des griefs de longue date, quand bien même le mouvement spontané contre cette énergie tente, jusque-là, de ne pas déborder sur d'autres questions. L'intransigeance des pouvoirs publics n'a fait que renforcer la volonté des protestataires à poursuivre le combat, surtout que leur action jouit désormais d'une plus grande médiatisation, en plus du ralliement de plusieurs villes mêmes celles qui ne sont pas encore touchées directement par les travaux d'exploration. Dans la vaste wilaya de Tamanrasset, distante de quelque 2.000 km de la capitale Alger, la mobilisation anti-schiste gagne en intensité depuis deux semaines, prenant de court les autorités locales et centrales qui ne s'attendaient pas visiblement à un mouvement d'une telle ampleur. Les habitants de la ville d'In Salah, épicentre de la contestation puisque leur région abrite le premier puits expérimental, continuent de manifester quotidiennement pour exprimer leur rejet catégorique des projets d'exploitation du schiste, faisant valoir des effets néfastes sur la santé publique et l'environnement, en particulier les eaux souterraines qui constituent leur seule source de vie face à la rareté de cette denrée. Dans un élan de solidarité et de soutien, des communes proches et lointaines du Sud, notamment à Tamanrasset, Ouargla et Ghardaïa, organisent des rassemblements et des marches pour appuyer l'unique et immuable revendication du mouvement anti-schiste, à savoir l'arrêt immédiat et définitif de tous les travaux de forage. Une demande qui semble loin d'arranger les calculs du gouvernement, qui misent gros sur l'exploitation du gaz de schiste pour, à la fois, remédier à l'amenuisement des ressources et préserver ses parts dans un marché mondial volatile et aux lendemains plus qu'incertains. Le gouvernement, qui sembler jouer sur le facteur du temps et de l'usure, n'est pas prêt à faire machine arrière. Vaille que vaille. "Nous avons besoin de brasser aussi large que possible", a affirmé dimanche le P-DG de la compagnie nationale Sonatrach, Saïd Sahnoun, qui répondait à une question d'une radio publique sur les perspectives de l'exploitation du schiste. Le bras de fer engagé autour du schiste reflète "une rupture dangereuse du dialogue" entre le pouvoir et les citoyens, avait souligné l'ancien Premier ministre et l'un des chefs de file de l'opposition, Ali Benfils, qui a reproché aux autorités de son pays de "procéder de manière unilatérale et autoritaire" sur un sujet très sensible. Tout en se montrant solidaires des manifestants de Tamanrasset, les chômeurs de Ouargla ont, décidément, trouvé la parade pour revenir sous les feux des projecteurs, après avoir tenu en haleine tout le pays par leur mobilisation spectaculaire du printemps 2013. Après avoir été tolérés à manifester samedi pour dire leur soutien au mouvement anti-schiste, les chômeurs ont vu leur marche vers le siège de la wilaya interdite, le lendemain. L'objectif de cette action était de "revendiquer encore des postes d'emploi stables", a déclaré à la presse un membre du Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC). Il y a quelques semaines, la commune voisine de Touggourt a été le théâtre d'événements dramatiques ayant coûté la vie à trois personnes atteintes par balles, dans de violents heurts entre les forces de l'ordre et des citoyens réclamant des lots terrain. Des partis politiques avaient, alors, exigé l'ouverture d'une enquête sur l'utilisation de "balles réelles" contre les manifestants. Officiellement, une instruction est en cours, mais aucun résultat n'a été annoncé depuis. Une autre plaie qui peine à cicatriser dans le Sud n'est autre que le cycle endémique des tensions intercommunautaires dans la ville de Ghardaïa, qui a rechuté dans les violences. Et pour la première fois, les médias officiels parlent ouvertement d'affrontements entre mozabites berbères, de rite ibadite, et arabes malékites. Alors que les autorités locales ont nié tout cas de décès dans ces heurts, le RCD, l'une des principales formations de l'opposition, a affirmé que "trois nouvelles victimes viennent s'ajouter à la liste macabre ouverte depuis plus d'une année à Ghardaïa". Le parti de centre-gauche, qui a pointé du doigt "l'intervention musclée de la gendarmerie dans un quartier mozabite", a confirmé la mort de trois personnes âgées par inhalation de gaz lacrymogènes, tirés par les services de sécurité. "L'indifférence officiellement affichée sur les meurtres de citoyens algériens contraste avec la décision du gouvernement d'envoyer un représentant pour parader dans les rues de Paris", à l'occasion de la marche contre le terrorisme, dénonce le RCD dans une déclaration intitulée "Ghardaïa: banalisation du crime".