Au Maroc, en matière de Finances Publiques, malgré les progrès réalisés depuis une dizaine d'années, des dysfonctionnements demeurent : perception négative des citoyens quant à la qualité des services publics (santé, éducation, justice...); faiblesses au niveau de la gouvernance et de la redevabilité du secteur public; retards dans l'exécution des dépenses publiques avec un report des allocations budgétaires allant jusqu'à 50% productivité inégale des prestataires de services; persistance des disparités en qualité et accès aux services publics de base notamment en milieu rural (les dernières intempéries en témoignent)... Face à ces dysfonctionnements, le Gouvernement a élaboré une nouvelle approche dans la programmation et l'utilisation de l'argent public. Nouvelle approche des Finances Publiques Il s'agit d'une approche basée sur la Performance, suivie et rôdée dans la plupart des pays avancés, et qui a été traduite en un Projet de Loi Organique des Finances dit PLOF (comme en France d'ailleurs). La lecture et l'analyse du PLOF en question dégage deux axes majeurs : D'une part, ce projet de réforme constitue une grande innovation en matière de gestion des finances publiques qui, s'il est appliqué, permettra plus de souplesse, plus de célérité dans la démarche et permettra d'atteindre plus d'efficacité et d'efficience dans les résultats. D'autre part, le projet de réforme a, par là même, mis en évidence des insuffisances qu'on ne pourra combler que par une refonte d'un arsenal juridique spécifique et dispersé. Apports du PLOF. Ceux-ci peuvent être ramenés principalement à l'introduction du mode de Gestion par la Performance. Celle-ci s'inscrit dans un processus global de modernisation de l'administration englobant 5 résultats : L'application de nouveaux principes budgétaires modernes qui vont compléter les principes budgétaires classiques qui se ramenaient à l'Annualité qui signifie que l'année budgétaire commence le 1er janvier et se termine le 31 décembre de la même année. L'Universalité qui signifie qu'il est fait recette du montant intégral des produits, sans contraction entre les recettes et les dépenses, l'ensemble des recettes assurant l'exécution de l'ensemble des dépenses. l'Unité qui signifie que toutes les recettes et toutes les dépenses sont imputées au budget général. Et la Spécialité qui signifie que les dépenses du budget général sont présentées, à l'intérieur des titres, par chapitres, subdivisés en programmes, régions et projets ou actions. A ces principes classiques s'ajouteront, en principe et selon le projet, des principes budgétaires modernes qui seront au nombre de quatre : - Le principe de la Sincérité qui signifie que les lois de finances présenteront de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'État. Les comptes de l'État doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière. - Le principe de la Transparence qui signifie informer sur tout et ce par : l'institution du droit d'accès à l'information, enrichissement des informations communiquées au Parlement., vulgarisation de l'information budgétaire. - Le principe de la Performance qui signifie que les Lois de Finances tiendront compte des objectifs et des résultats des programmes qu'elles déterminent. La performance sera appréciée à la mesure des conditions d'efficacité, d'efficience et de qualité. - Le principe de la Responsabilité et la reddition des comptes qui signifie que des responsables de programme seront désignés au sein de chaque département ministériel ou institution. De même que des projets et des rapports de performance seront transmis au Parlement. Le Repositionnement de l'Administration. Celle-ci se fera par l'introduction de modes de gestion budgétaire et financière basés sur la performance et la Responsabilité. La Performance. La performance de l'action publique fait passer celle-ci d'une logique de moyens à une logique de Résultat. Afin d'orienter, de mesurer et d'améliorer l'efficacité de la mise en euvre de l'action publique, seront définis pour chaque programme une stratégie, des objectifs et des indicateurs de performance. La performance de l'action publique doit ainsi ressortir dans le Budget public, elle concernera la mise en place d'une fonction de contrôle de gestion au sein des ministères qui permettrait d'assurer le pilotage des services sur la base d'objectifs et la connaissance des coûts, des activités et des résultats. Le Budget organisé en missions, programmes et actions, reflètera désormais les grandes actions publiques. Ainsi, la performance deviendra une exigence dans le processus de Budgétisation. Il s'agira de fournir des informations permettant de savoir si les programmes, les organismes ou les fournisseurs de services au public font ce que l'on attend d'eux de manière efficace et efficiente. La majorité de ces informations vont figurer dans les documents budgétaires. La budgétisation axée sur les performances se ramènera donc à une budgétisation permettant d'établir un lien entre des fonds alloués et des résultats mesurables. Il en existe trois grandes catégories : - La budgétisation présentationnelle ; - La budgétisation éclairée par les performances ; - La budgétisation axée directement sur les performances ou obéissant à une formule. Le résultat attendu de l'application du principe de performance est qu'il donnera lieu à de nouvelles pratiques managériales et à une nouvelle Gestion des Ressources Humaines. La gestion financière par la performance donnera lieu à une série d'actions et de mesures matérialisées concrètement en ce que chaque secteur public établira un document stratégique comprenant des programmes dont le nombre sera limité de 2 à 6, des objectifs de performance, des indicateurs de performance, une mesure des résultats et un rapport de performance pour rendre compte. La performance sous tend un autre principe qui est celui de la responsabilité. La Responsabilité. Au sein de nos administrations centrales, nous assistons à une juxtaposition entre deux modes d'organisation : un mode hiérarchique vertical descendant en plusieurs «chefs et sous-chefs»... et un mode managérial composé de responsables de programme, de projet, d'entité territoriale... En recherchant à repositionner l'administration centrale, le PLOF vise, d'une part, à clarifier les responsabilités entre les structures hiérarchiques existantes et l'architecture théorique de gouvernance des programmes. Et d'autre part, à adapter les pratiques en matière d'évaluation des ressources humaines contribuant à l'atteinte des objectifs du programme. A partir de là, la Gouvernance des Programmes sera axée sur l'Identification des responsabilités : animation du dialogue de gestion, amélioration de la gestion financière, atteinte des résultats. Ce qui nécessitera, à l'échelon territorial, un renforcement de la déconcentration. La gestion sera articulée autour d'une communication entre Engagement-Pilotage-Evaluation. L'engagement de chaque secteur sera par l'appropriation d'une stratégie, la fixation des objectifs, la définition des indicateurs, l'affectation des moyens et un Plan d'action. Le pilotage se fera par le Suivi opérationnel, la mise en place de tableaux de bord, un système d'information et des ajustements. Enfin, l'Evaluation consistera en la mesure des résultats, les rapports d'analyse et la discussion sur les niveaux d'atteinte des objectifs. La responsabilité implique également le renforcement de la déconcentration et de la décentralisation. Ce qui permettra d'accompagner la mise en oeuvre de la Régionalisation Avancée par l'approfondissement de la Déconcentration, la conception d'un dispositif de mise en ouvre de la contractualisation Etat-Collectivités Territoriales d'une part. L'harmonisation d'ensemble à travers la révision de la nomenclature budgétaire des Collectivités Territoriales afin qu'elles intègrent les notions de programmes (1), projets et actions et la réforme de la loi n° 45-08 relative à l'organisation financière des Collectivités Locales en s'inspirant des nouveaux principes de gestion budgétaire (gestion axées sur la performance, CDMT...). La prépondérance du rôle des Ressources Humaines. En matière de gestion des ressources Humaines, l'approche véhiculée par le PLOF, vise à asseoir les bases d'une Gestion Prévisionnelle des Emplois, des Effectifs et des Compétences et ce en veillant à privilégier la transparence, la compétence pour l'accès à la fonction publique... Réformer le système de notation et d'évaluation des fonctionnaires... Concevoir un nouveau système de rémunération motivant, équitable et adapté à la fonction publique marocaine ; Moduler la rémunération en fonction de l'emploi et le poste occupé en se basant sur les REC ; lier l'évolution de la rémunération à l'évolution de la performance... Toutefois, l'intégration de la notion de performance dans le système des rémunérations supposera l'étude des RH en ce sens que le poste du fonctionnaire est relié à un emploi type, lui-même positionné dans un niveau de classification. Une plage de salaires est définie pour chaque niveau de classification dans laquelle le salaire individuel est piloté selon le principe de la reconnaissance de la contribution et de la performance et ce, dans la limite des crédits prévus à cet effet. Au plan pratique, l'application de ce principe pourra rencontrer des difficultés notamment : Le coût financier de cette réforme très qui risque d'aggraver le niveau actuel de la masse salariale; L'achèvement et la validation des référentiels de compétences REC spécifiques des différents départements ministériels... L'importance des systèmes d'information. Le système d'information est le corolaire du principe de Transparence. Le but recherché est de rapprocher l'administration des besoins de l'usager en termes d'efficacité, de qualité et de transparence. Et ce par l'utilisation des projets e-Gov pour moderniser l'Administration et les Collectivités Locales au service des citoyens et des entreprises. L'évaluation des Politiques Publiques L'application du principe de l'évaluation des PP et son institutionnalisation découlent de l'Article 101 de la Constitution marocaine de juillet 2011 : « Une séance annuelle est réservée par le Parlement à la discussion et à l'évaluation des politiques publiques ». Elle découle également du principe général de Reddition des Comptes. L'Evaluation est donc un élément de Bonne Gouvernance des politiques publiques. A cet effet, le PLOF offre un contexte favorable pour le développement de l'évaluation des politiques publiques : la logique de programme et le pilotage par la performance créent les conditions favorables à l'instauration de l'évaluation des politiques publiques. Par ailleurs, si la nouvelle vision de réforme des finances publiques constitue une grande innovation, elle a permis de mettre en évidence des insuffisances non encore comblées. Insuffisances de la nouvelle approche : Rénovation sans consolidation L'ambition de la Nouvelle Vision des Finances Publiques par la recherche de performance, la Responsabilité et la transparence est en elle-même, louable. D'ailleurs les normes internationalement admises en la matière dans les pays démocratiques avancés se ramènent à quatre : - La définition claire des attributions et responsabilités ; - Des processus budgétaires ouverts ; - Un accès à l'information - La garantie de l'intégrité (2). Seulement, concernant les trois dernières normes (processus budgétaires ouverts, accès à l'information et garantie de l'intégrité) la nouvelle vision des finances publiques au Maroc marque des avancées notables. Par contre, concernant la première norme (définition claire des attributions et responsabilités), elle a été en reste. La définition claire des attributions et responsabilités signifie, d'une part, que le secteur de l'administration publique doit être distinct du reste de l'économie. Elle signifie, d'autre part, que la répartition des attributions au sein du secteur public en matière de décision et de gestion doit être claire et rendue publique. Autrement dit, la structure et les fonctions de l'administration publique doivent être claires. Or, au Maroc, si en matière de finances publiques, les pouvoirs publics recourent à des moyens dont ils disposent pour prélever les recettes et effectuer les dépenses en vue d'atteindre les objectifs publics. La politique publique menée dans ce domaine s'effectue par différents niveaux de l'administration publique et par l'intermédiaire de diverses institutions. On distingue les différents niveaux de l'administration ou du secteur de l'État suivant la fonction qu'ils remplissent (3). Ainsi, on peut distinguer deux niveaux du secteur public : le niveau des administrations publiques et le niveau des établissements publics tels que prévus par le manuel de statistiques de finances publiques du FMI (MSFP 2001) (4). Les administrations publiques se caractérisent en outre par le fait que leurs activités doivent être financées principalement par l'impôt ou par d'autres transferts obligatoires (5). Au Maroc, le champ de la politique publique budgétaire se limite uniquement à l'administration centrale qui couvre un seul niveau budgétaire à savoir le Budget Général, les Services Gérés de Manière Autonome (SEGMA) et les Comptes Spéciaux du Trésor. Alors que les normes internationales pour des finances publiques performantes, intègrent en plus de ce niveau, les établissements publics non marchands (ou à caractère administratif) ainsi que des caisses de retraite et des caisses de sécurité sociale. Ainsi, au Maroc, des établissements publics à caractère administratif prélèvent directement des recettes (taxes) et ne versent à l'Etat que des dividendes occasionnellement ce qui les met hors du champ de la politique publique en matière budgétaire. Par rapport aux normes internationales, le moins qu'on puisse relever est qu'il s'agit d'une définition restrictive et exigüe de l'administration centrale qui exclut ces organismes du champ de sa politique budgétaire. Cette situation a pour effet de donner une image incomplète des finances publiques. Cette situation ne permet pas non plus de comparer les indicateurs budgétaires au Maroc par rapport aux pays avancés dans ce domaine. La comparaison risque de ne pas être pertinente. Ainsi, on ne pourra procéder à une comparaison entre le déficit budgétaire ou la dette publique au Maroc avec d'autres pays notamment européens qui, eux, intègrent toutes les composantes de l'administration publique, étant donné que le périmètre budgétaire n'est pas le même. En conclusion, si les nouvelles politiques publiques en matière de finances connaissent un renouveau, il reste à mener un travail de consolidation en regroupant, au budget de l'Etat, les opérations des institutions administratives extra-budgétaires. Il en est de même des budgets des collectivités locales qui ne figurent pas sur la Loi de Finances (à part les 30% de la TVA qui leur est transférée). En somme, une précision et une clarté des concepts et une définition claire des différents niveaux budgétaires pourra améliorer l'exécution de la politique publique concernant les finances et mettre en évidence son impact sur le reste de l'économie et la prise de la décision publique. (1) Or, le projet de loi organique relatif aux « Jamaâtes » ne fait aucune mention à ces principes contenus dans le PLOF (2) Manuel sur la transparence des finances publiques, code des bonnes pratiques, Fond monétaire International, Département des finances publiques, Édition révisée 2007, p. (3) «Ajustement budgétaire: principes directeurs» Département des finances publiques/Brochure n° 49 -F du FMI 1996, p.18 (4) Manuel de statistiques de finances publiques, Fonds Monétaire International, 2001 : Il présente les principes économiques et comptables nécessaires à l'établissement des statistiques des finances publiques. Il se base sur une classification des acteurs économiques suivant l'unité institutionnelle et non sur une base fonctionnelle. (5) Manuel de statistiques de finances publiques, Fonds Monétaire International, 2001, op.cit., p.7