Pour le Trésor public, disposer d'une information comptable normée est nécessaire pour un bon contrôle. Or, jusqu'ici, en raison notamment de la pléthore des intervenants et des recettes, et de la diversité des supports budgétaires, l'information financière et budgétaire au Maroc reste encore fortement dispersée et de qualité très relative. Noureddine Bensouda, le Trésorier général du Royaume, en a fait le constat, la semaine dernière, devant les ressortissants de la Chambre consulaire française au Maroc. Aux yeux de Bensouda, la réforme comptable de l'Etat est une urgence, surtout que le gouvernement s'apprête à mettre dans le circuit législatif le projet de loi organique relative aux lois de finances (LOLF) -qualifiée de « nouvelle constitution financière de l'Etat »-, qui va élargir le rôle du Parlement et du gouvernement en matière de contrôle et d'exécution des lois de finances. Le trésorier du royaume compte faire de « la consolidation des budgets et des comptes publics » un chantier majeur de son action en vue de renforcer la cohérence budgétaire, financière et comptable entre les différents acteurs publics. Car, en définitive, pour atténuer les effets de la dispersion des budgets et des comptabilités, «l'agrégation des recettes, des dépenses et la cohérence des décisions publiques s'imposent», a-t-il souligné. «Le Maroc a décidé, à l'instar des autres pays, de changer progressivement son système financier public fondé sur la logique de moyens et de répartition des crédits vers un nouveau système qui vise la performance, les résultats, la responsabilisation et la reddition des comptes ». Bensouda a expliqué que « ce nouveau système englobera l'Etat, les collectivités territoriales, les établissements et entreprises publics et les organismes de retraite et de prévoyance sociale, chacun avec « des règles budgétaires et comptables». Cette consolidation, a-t-il indiqué, s'inspire des pratiques en vigueur dans le secteur privé. Elle permettra d'avoir une vision d'ensemble des finances publiques, notamment en matière de déficit, d'investissement public et de risques encourus par l'Etat. Cette consolidation assurera un retour d'information à la portée du citoyen et du Parlement et alignera, ainsi, notre pays aux normes internationales de production et de communication des données financières et comptables. S'agissant des caractéristiques des finances publiques, Bensouda a rappelé qu'il existe, en premier lieu, une multitude d'acteurs soit environ 2.060, à savoir l'Etat, les collectivités locales et leurs groupements, les établissements et entreprises publics et les différents organismes de retraite et de prévoyance sociale. Il a relevé, en deuxième lieu, une pléthore de natures de recettes au nombre de 473 prévues au niveau de plusieurs supports budgétaires. En plus des recettes fiscales (IS, IR, TVA, droits d'enregistrement) que chacun sait, il y a des taxes locales, des redevances, des dividendes, des amendes, des loyers, etc. Cette multiplicité de recettes, a-t-il noté, a l'inconvénient d'opérer différents prélèvements au même citoyen et parfois pour la même assiette, sans une vision d'ensemble de la politique des prélèvaements, ni une garantie de rentabilité. De même, il y a cette diversité des supports budgétaires doublée de l'importance des masses financières gérées, à savoir : (i) le budget de l'Etat, qui regroupe le budget général, les comptes spéciaux du Trésor et les services de l'Etat gérés de manière autonome ; (ii) les budgets des collectivités territoriales et de leurs groupements qui représentent 4.895 supports budgétaires; (iii) les budgets des établissements et entreprises publics qui constituent 288 supports budgétaires ; et enfin (iv) les budgets des organismes de retraite et de prévoyance sociale à savoir la CMR, le RCAR, la CNOPS et la CNSS. Appréhender la situation financière et patrimoniale Cet état des lieux (diversité des recettes et multiplicité des acteurs) milite en faveur de la mise en place d'une consolidation budgétaire et comptable, dira M. Bensouda, pour appréhender la réalité économique de l'Etat et sa situation financière et patrimoniale. Au niveau des recettes publiques, la consolidation devrait aboutir à un regroupement de leur assiette, à travers une meilleure articulation entre les natures de recettes ; une normalisation des nomenclatures des recettes, et un regroupement des différentes natures de prélèvements et des recettes dans un seul recueil de textes. Au niveau des dépenses, la consolidation permettra la convergence dans la programmation budgétaire et une plus grande rationalisation des politiques publiques. Au niveau de la cohérence des décisions publiques, la consolidation permettra, précise M. Bensouda, d'atteindre plusieurs objectifs : - d'assurer la coordination des politiques sectorielles et macroéconomiques et la coordination des programmes menés au niveau national et local ; - d'avoir une vision d'ensemble du système financier de l'Etat, notamment en termes de ressources collectées et de leurs emplois ; - d'évaluer les résultats et les performances des programmes gouvernementaux ; - d'avoir une estimation de la situation patrimoniale du secteur public, des engagements et des risques inhérents aux décisions prises par les différentes entités publiques ; - de partager les rôles et les responsabilités entre les différents acteurs publics dans la réalisation des politiques publiques. La mise en œuvre de ce système de consolidation des comptes devrait être progressive, participative et pragmatique. Elle commencera par la délimitation du périmètre du secteur public reflétant le poids économique réel de l'Etat. Elle visera, en second lieu, l'harmonisation des référentiels et des mécanismes de gestion budgétaire en termes de nomenclatures et d'instruments de gestion (approche budgétaire axée sur les résultats et la performance, programmation pluriannuelle par le biais du cadre des dépenses à moyen terme, globalisation et fongibilité des crédits, contractualisation et partenariat...) Elle concernera aussi l'harmonisation des référentiels comptables en menant à terme la réforme comptable de l'Etat et en instaurant la comptabilité d'exercice au niveau des collectivités territoriales et des établissements publics à caractère administratif. L'objectif assigné étant de disposer de comptes publics aux normes internationales devant permettre la reddition des comptes, un principe consacré par la constitution. D'où la nécessité de promouvoir l'intégration des systèmes d'information et des dispositifs de contrôle et d'audit budgétaires et comptables des différentes entités du secteur public. M. Bensouda devait insister sur la nécessité impérieuse d'un système de consolidation budgétaire et comptable pour nos finances publiques. Il permettra à notre pays, a-t-il souligné, d'être aux normes et standards internationaux en matière de production et de communication de l'information budgétaire et comptable. Il réhabilitera, en outre, les principes d'unité et d'universalité budgétaires, de sincérité et d'image fidèle des comptes publics. Ce système de consolidation permettra d'apprécier les marges de manœuvre budgétaires et financières induites pour une meilleure allocation des ressources publiques. Car, en définitive, « si vous ne pouvez pas mesurer, vous ne pouvez pas gérer », a-t-il conclu.