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Situation économique du Maroc selon l'alliance des économistes istiqlaliens 3 Gouvernements, 3 approches, 3 résultats : Avec Benkirane, absence de stratégie de croissance et étouffement de l'économie
Publié dans L'opinion le 26 - 07 - 2014

C'est désormais une lapalissade que de dire que, durant ces trois années du gouvernement Benkirane, la situation économique du Maroc accuse une nette détérioration. Pourquoi et comment ? L'Alliance des Economistes Istiqlaliens s'est penchée sur les douze dernières années de politique économique du Royaume, dans une comparaison des trois exécutifs qui ont géré la politique économique marocaine. C'était mercredi dernier lors d'un Ftour à Casablanca animé par M. Adil Douiri.
Le premier gouvernement nommé par Sa Majesté le Roi Mohamed VI a été le gouvernement Driss Jettou, investi en novembre 2002. En octobre 2007 il y a eu le gouvernement dirigé par Monsieur Abbas El Fassi et enfin en janvier 2012 le gouvernement de Monsieur Benkirane. Ces trois équipes gouvernementales ont bien entendu bénéficié de conjonctures économiques mondiales différentes. Mais elles ont surtout adopté, consciemment ou inconsciemment, des stratégies économiques totalement différentes, qui ont produit des résultats pour le moins inégaux. Aussi quatre critères de comparaison ont été pris en compte dans l'exposé de M. Adil Douiri pour la comparaison de l'actif des trois cabinets : A savoir la croissance, les échanges extérieurs, la gestion du budget de l'Etat et enfin l'Emploi et le chômage.
En matière de croissance
Le gouvernement Jettou et la relance : D'une part, le gouvernement a axé sa stratégie de croissance sur l'accélération de l'équipement du pays en infrastructures. Il a ensuite produit une rupture complète s'agissant du rythme de production de logements, notamment de logements sociaux (nouveaux produits de financement négociés entre gouvernement et banques, incitation fiscale forte aux producteurs, mise à disposition du foncier public, taxe sur les cimentiers pour financer). Il a enfin mis en œuvre des stratégies d'élargissement du tissu productif dans certains secteurs spécifiques qu'il a choisis comme les plus faciles à développer pour le Maroc (les métiers mondiaux du Maroc, allant du tourisme à l'offshoring, à l'automobile, ...).
Entre 2002 et 2007, la croissance moyenne du PIS en Dirhams a été de +6,7%/an, la croissance en volume (hors inflation) du PIS de +4,9 %/an et la croissance du PIS hors agriculture de +5,2 %/an.
La stimulation de la consommation des ménages, le plus du gouvernemen El Fassi : Le gouvernement de M. Abbas El Fassi a été confronté à trois chocs successifs: d›abord un violent choc pétrolier marqué par une spectaculaire envolée des cours du pétrole (2007- 2008). Ensuite une forte récession de l›économie mondiale à la suite de la crise bancaire internationale (2009-2010), puis la survenance du Printemps Arabe en 2011. Dans ce contexte, le gouvernement a souhaité donner la priorité à la préservation du niveau de la croissance économique, au pouvoir d›achat des ménages et à l›emploi.
En contrepartie, il a sacrifié l›équilibre de la balance des paiements et du budget de l›Etat. L›un des trois leviers de croissance du gouvernement Jettou ayant perdu de son efficacité (les métiers mondiaux du Maroc, du fait de l›effondrement de l›économie de nos clients), le gouvernement El Fassi a fortement stimulé la consommation des ménages pour prendre le relais (baisse de l›I.R., création d›emplois dans la fonction publique, hausse des salaires, hausse du minimum des retraites, poursuite de la baisse des droits de douane, transferts sociaux par les subventions, le Ramed, Tayssir, ... ).
Entre 2007 et 2011, la croissance moyenne du PIB en Dirhams a été de +6,8%/an, celle du PIB en volume (hors inflation) de +4,7%/an et celle du PIB non agricole de +3,7%/an. Ce dernier chiffre serait de +4,6 %/an si l›on excluait l›année 2009 au Cours de laquelle l›économie des pays clients s›est véritablement arrêtée.
Avec Benkirane, une absence de stratégie pro croissance : Ce gouvernement a ralenti la dépense publique en matière d'investissement (celle du budget de l'Etat), freinant ainsi la croissance du secteur des travaux publics. Il n'a également pas stimulé la production de logements, dans un contexte de contraction du crédit et de moindre utilisation du foncier public. La contraction du crédit et la résultante directe du déficit de la balance des paiements, qui transfère l'épargne du Maroc vers l'extérieur et l'enlève aux banques. Cette contraction résulte également d'une moindre demande de crédit de la part des entreprises et des consommateurs, attentistes et peu rassurés sur l'évolution économique future. Par contre, ce gouvernement bénéficie d'une meilleure conjoncture internationale, marquée depuis 2013 par une baisse des Cours internationaux des matières premières et un redressement de l'économie des pays clients du Maroc.
Entre 2011 et 2014 (les chiffres 2014 sont la moyenne des prévisions du HCP et de Bank AI-Maghrib), la moyenne de la croissance du PIB en Dirhams est tombé à +4,3 %/an, celle du PIS en volume (hors inflation) à +3,3 %/an et celle du PIB non agricole à +3,5 %/an.
Il convient de noter que les croissances comprises entre 3% et 3,5% sont les niveaux minima que notre économie réalise de façon spontanée, en l'absence de stratégie économique claire, ainsi que c'était notamment le cas au cours des années 90.
En matière d'échanges
extérieurs
Une forte croissance et des excédents réguliers sous l'ère Jettou : La dynamique de croissance rapide imprimée par les trois leviers (infrastructures, logements, métiers mondiaux du Maroc) s'est accompagnée d'une croissance rapide du chiffre d'affaires en devises (export) comme des achats en devises du Maroc (import). Cependant, le solde du compte courant de la balance des paiements est resté excédentaire entre 2002 et 2007, et les réserves de change ont ainsi fortement progressé de 2002 à 2007. Ce gouvernement a néanmoins bénéficié d'un prix du pétrole significativement inférieur aux deux gouvernements qui lui ont succédé.
Entre 2002 et 2007, le compte courant de la balance des paiements a affiché un excédent moyen de +1,7% du PIB et les réserves de change ont progressé de 100 milliards de Dh à 181 milliards de Dh.
Croissance et Emploi au détriment des équilibres extérieurs avec Abbas El Fassi: La forte hausse du prix du pétrole, le maintien du rythme d'investissement public et la stimulation de la consommation des ménages, ont fait fortement progresser les importations. Au même moment, une récession mondiale a contracté nettement la demande extérieure adressée au Maroc. La croissance a résisté et l'emploi a continué de progresser, mais la balance des paiements a plongé dans le déficit. Le Printemps Arabe en 2011 est venu conforter les choix en faveur de la consommation des ménages et de l'emploi. Pour stabiliser les réserves de change, le gouvernement a commencé à emprunter en devises, dans une proportion modérée.
Entre 2008 et 2011, le compte courant de la balance des paiements a affiché un déficit moyen de -5,8% du PIB. Les réserves de change se sont stabilisées autour de 185 milliards de Dh et la dette extérieure a augmenté de +8 milliards de Dh/an en moyenne. Celle-ci est passée de 11 % du PIB fin 2007 à 12% du PIB fin 2011.
Le coup de frein de Benkirane à la croissance : Au contraire des gouvernements précédents, ce gouvernement n'a pas de stratégie pro croissance, ce qui contribue à ralentir les importations. Si sa première année a été particulièrement catastrophique s'agissant du déficit du compte courant de la balance des paiements, à partir de 2013, les cours internationaux des matières premières ont commencé à baisser et à partir de 2014 la croissance économique des pays clients du Maroc a commencé à se rétablir. Autant de facteurs conjoncturels qui auraient pu réduire légèrement le déficit de la balance des paiements, même si le travail structurel (construction des métiers mondiaux du Maroc, tourisme compris) n'est pas mené au rythme du gouvernement tout entier.
Les réserves de change ont connu une véritable hémorragie au début du gouvernement Benkirane, qui n'a pu être stoppée en apparence que grâce à un recours de plus en plus important à l'endettement en devises.
Au cours des années 2012 à 2014, le compte courant de la balance des paiements a affiché un déficit moyen de -8,1 %/an du PIB. Les réserves de change ont baissé de 183 milliards de Dh à fin 2011 à 155 milliards de Dh en 2014 (moyenne janvier-mai). La dette extérieure a augmenté en moyenne de +15 milliards de Dh chaque année, pour passer de 12% du PIB à fin 2011 à 16% du PIB 3 ans plus tard.
La gestion du budget de l'Etat
Approche gestionnaire prudente chez Jettou pour un excédent la dernière année : Pour servir sa stratégie pro croissance, le gouvernement Jettou a augmenté graduellement le budget d'investissement de l'Etat, tout en ne créant que peu d'emplois publics. La hausse des recettes fiscales, quelques privatisations significatives et surtout le plan de départ volontaire de la fonction publique ont permis, malgré le doublement du budget d'investissement en 5 ans, de terminer sur un excédent budgétaire en 2007. Ceci a contribué à réduire l'endettement du Trésor de manière significative au cours de la période et à faire baisser fortement le coût de l'argent au Maroc.
Entre 2002 et 2007, la gestion budgétaire du gouvernement Jettou a ramené la dette du Trésor de 64% du PIB à 54% du PIB. Les taux d'intérêt des emprunts du Trésor ont baissé de 3,5% sur la période des 5 ans.
Des déficits budgétaires pour soutenir le pouvoir d'achat : l'option du gouvernement El Fassi : Le taux d›endettement raisonnable au début de ce gouvernement (54% du PIB fin 2007 et 47% fin 2008) a encouragé ce gouvernement à supporter le choc de la hausse des matières premières sans le répercuter sur les ménages. Pour soutenir la croissance malgré la récession économique mondiale, le gouvernement a créé des emplois dans la fonction publique, augmenté les salaires, réduit l›impôt sur le revenu, ce qui a creusé un déficit pour le budget de l'Etat, sans accroître pour autant le taux d›endettement du Trésor grâce à la croissance soutenue du PIB à cette époque. Les déficits budgétaires n›ont pas non plus impacté le coût de l›argent au Maroc.
Sous le cabinet Abbas El Fassi, la dette du Trésor est restée stable, de 54% du PIB fin 2007 à 54% à fin 2011. Les taux des emprunts du Trésor sont restés stables (- 0,2%) sur la période.
Avec Benkirane, la hausse de la dette en % du PIB du fait de la baisse de la croissance : Après une année 2012 particulièrement défavorable (déficit budgétaire à -7% du PIB), ce gouvernement a bénéficié surtout d'une détente des prix des matières premières (pétrole, sucre brut) qui a réduit en 2013 le coût de la compensation dans le budget. Par ailleurs, 2013 a enregistré des dons étrangers (Golfe), contrairement à 2012. Enfin, le gouvernement a suspendu pour 15 milliards de Dh de budget d'investissement. C'est ainsi que le déficit budgétaire a été réduit en 2013 (deux facteurs externes et coupe des investissements). En 2014, une nouvelle réduction du budget d'investissement de l'Etat, la décompensation des carburants et celle du fuel pour les entreprises réduiront à nouveau le déficit budgétaire. Cependant, l'absence de politique pro croissance (donc une croissance du PIB relativement faible) ainsi qu'un déficit budgétaire encore élevé sur 2012-2014 ont fait fortement croître le taux d'endettement du Trésor et augmenter le coût de l'argent au Maroc.
Sous ce gouvernement, la dette du Trésor est passée de 54% à fin 2011 à 68% à fin 2014. Les taux des emprunts du Trésor ont augmenté de +1,4% de la fin 2012 à aujourd'hui.
Emploi et chômage
L'emploi est l'objectif ultime de toute politique économique et les options (ou l'absence d'options...) prises par les trois derniers gouvernements ont eu un impact clair sur l'emploi et le chômage. La stratégie volontariste de croissance basée sur trois leviers du gouvernement Jettou a fait baissé nettement le taux de chômage urbain comme le taux de chômage national.
Sous le gouvernement El Fassi, la préservation de la croissance malgré un choc pétrolier et une récession mondiale, au détriment des déficits, a permis de poursuivre la baisse du chômage, quoiqu'à une vitesse moindre.
Enfin, sous l'actuel gouvernement, l'absence de stratégie de croissance, l'étouffement de l'économie par le déficit de la Balance des Paiements (et la contraction des crédits qui en résulte) ont inversé nettement, pour la première fois en 12 ans, les courbes du chômage. Tant le chômage urbain que le chômage national se sont remis à progresser.
Entre 2002 et 2007 (4ème trimestre de chaque année), le taux de chômage urbain est passé de 20,1% à 14,8% (Gouvernement Jettou). Entre 2007 et 2011 (Gouvernement El Fassi), il est passé de 14,8% à 13,0%. Entre fin 2011 et aujourd'hui (1er trimestre 2014), il est passé de 13,0% à 14,6% (Gouvernement Benkirane).
Entre 2002 et 2007 (4ème trimestre de chaque année), le taux de chômage national est passé de 12,2% à 9,5%. Entre 2007 et 2011, il est passé de 9,5% à 8,5%. Entre 2011 et aujourd'hui (1er trimestre 2014), il est passé de 8,5% à 10,2%. La création d'emplois (total national) a été de +194.000 emplois nouveaux par an en moyenne entre 2002 et 2007, +136.000 entre 2007 et 2011 et +25.000 entre 2011 et T1 2014.
En conclusion, on peut dire qu'après deux ans et demi de sa nomination, le gouvernement actuel est appelé à faire ses choix. Car on déplore qu'aucune stratégie cohérente de croissance, tenant compte des déséquilibres actuels et de la conjoncture, n'a été présentée. Et si certains ministres sectoriels poursuivent leurs efforts, c'est avec un rendement handicapé par l'absence de pilotage global de l'économie par le gouvernement dû à l'absence de chef d'orchestre économique. Indexer les prix des carburants, voire même corriger le déficit des caisses de retraire n'est pas une stratégie économique en soi. En l'absence de stratégie simple et claire, la croissance ne repartira pas et le chômage, dont le gouvernement actuel est responsable de l'inversion de la courbe, poursuivra sa progression.


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