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Les Marocains d'Espagne face à la crise économique : Inversion des flux migratoires et retour au pays
Publié dans L'opinion le 03 - 07 - 2014

La migration marocaine vit en permanence des changements socioculturels complexes qui s'accélèrent en relation avec les changements du monde. Ce constat fait par la Fondation Hassan II pour les Marocains Résidant à l'étranger vient sous-tendre le travail de connaissance de la communauté marocaine de l'extérieur devant être constamment renouvelée. C'est dans ce cadre que l'Observatoire de la Communauté Marocaine à l'Etranger, vient d'éditer la troisième édition des «Marocains de l'extérieur» 2013 après celles de 2003 et 2007 consacrées aux même sujet. Parmi les nombreux thèmes qui y sont traités par des experts nationaux et étrangers, nous avons choisi de publier un extrait du chapitre «Les Marocains d'Espagne», étude réalisée par Mohammed Khaldi.
Pays à forte croissance économique, avec un faible taux de chômage et un marché d'emploi dynamique, l'Espagne était devenue un pôle d'attraction pour la migration internationale. Mais depuis le déclenchement de la crise financière, puis économique de 2008, la situation actuelle a changé et avec elle la donne migratoire : plus de 1,2 million d'immigrés ont quitté le pays entre 2008 et 2012 et les Espagnols commencent à émigrer à leur tour. C'est ainsi qu'en 2013, le nombre d'Espagnols résidant à l'étranger frôle les deux millions et a enregistré une hausse de 6,3% par rapport à 2012 (114.413 personnes). A leur tour, les immigrés ne se bousculent plus devant les consulats et les bureaux des étrangers et font désormais la queue devant les agences de l'emploi tout en prenant part aux manifestations contre les politiques d'austérité, les banques et les desahucios.
Les données de l'Eurostat (EFT) attestent que l'économie espagnole ne créé plus de postes de travail : entre 2007 et 2010 plus de 35% du chômage enregistré en Europe est espagnol. Or, l'immigration en Espagne est principalement une immigration de travail. Entre 2000 et 2007, le pays avait reçu en moyenne 514.000 migrants par année. Mais la crise économique a donné un coup de frein à cet appel de main d'oeuvre étrangère. Les travailleurs étrangers sont les plus touchés par la crise, ce qui est tout à fait normal : ils occupaient des emplois non qualifiés dans le secteur qui a souffert le premier de la récession à savoir celui du bâtiment qui concentrait 25% de la main d'oeuvre étrangère. Ces travailleurs sont le plus souvent employés pour une durée limitée avec un contrat de travail à durée déterminée non renouvelé au début de la récession et ils sont soit sans formation qualifiante, soit titulaires de diplômes obtenus dans le pays d'origine non reconnus en Espagne.
C'est dans ce contexte de crise qu'intervient cette mise à jour de la situation des Marocains en Espagne suite aux évolutions enregistrées durant les cinq dernières années (2007-2012), très importantes dans l'histoire de l'immigration marocaine dans ce pays. Cette période, caractérisée par l'arrivée à l'âge adulte de la deuxième génération, la baisse inédite du taux de clandestinité, l'amorce de la migration de retour et l'adoption par le Maroc d'une nouvelle constitution permettant aux étrangers de participer aux élections locales dans le cadre de la réciprocité, marquera un avant et après dans les annales de l'histoire de la migration marocaine en Espagne.
L'Espagne, pays d'immigration marocaine
Durant les années soixante-dix, l'Espagne accueillait déjà quelques milliers de citoyens marocains des deux sexes, originaires des villes du nord du pays principalement de Larache, de Tanger et de Tétouan et qui pratiquaient la langue espagnole bien avant leur installation dans le pays voisin.
A la fin de la décennie, une nouvelle génération de Marocains, tous du nord, arrive sur le territoire espagnol. Elle est constituée, d'une part, des jeunes des centres urbains pour qui l'Espagne était une extension de leur espace habituel où ils pouvaient se déplacer à leur guise en fonction de besoins immédiats sans une projection d'installation dans l'avenir et exerçant selon la demande du travail de façon informelle. Plusieurs d'entre eux s'étaient liés en mariage avec un conjoint espagnol. Leur descendance serait aujourd'hui âgée de plus de quarante ans, et parent à son tour. L'autre catégorie de migrants de l'époque était constituée de jeunes et moins jeunes originaires toujours des provinces du nord, pas forcement hispanophones, presque tous des hommes, généralement originaires des milieux ruraux avec, des fois, un passage très court dans les centres urbains et pour qui l'Espagne n'existait que comme espace à traverser pour aller vers une autre destination à savoir les Pays-Bas, l'Allemagne, le Danemark, la Belgique et dans une moindre mesure la France. C'est cette deuxième catégorie de migrants qui, contrairement à la première, avait un projet migratoire, qui va constituer les premiers noyaux de l'immigration marocaine de travail en Espagne. La fermeture des frontières européennes suite à la crise pétrolière de 1974 et le besoin en main d'oeuvre non qualifiée en Catalogne et au Pays-Basque principalement mais aussi à Madrid et en Andalousie, en sont pour quelque chose. Le marchand ambulant marocain fait alors son apparition intégrant des citoyens originaires de Casablanca et de Settat qui n'avaient pas réussi la traversée des Pyrénées. Durant cette même période, des jeunes entrepreneurs marocains, rifains dans leur majorité, hispanophones avant de quitter le Maroc, se sont installés dans les Iles Canaries avec femmes et enfants, des fois. Au total, 15000 marocains résident légalement en Espagne à la fin de la décennie 1980.
En 1990, l'Espagne comptait 13.556 ressortissants marocains naturalisés espagnols (plus qu'on n'en pouvait trouver en Belgique par exemple). En plus, 16.665 ressortissants, sur un ensemble de 49.000, étaient en situation légale au regard de la première loi sur l'immigration entrée en vigueur cinq ans auparavant. Nous sommes donc face à une population informée de ses droits et des lois en vigueurs qui affiche en sus sa volonté d'intégration. Il faudrait aussi rappeler que les ressortissants résidents marocains qui étaient alors titulaires d'un titre de travail à cette date (8.844) représentaient pas moins que 10,4% des travailleurs étrangers.
Bien avant la ratification en juin 1991 de l'Accord d'application du Traité de Schengen de 1985, l'Espagne était déjà un pays d'immigration marocaine qui contrairement aux autres destinations traditionnelles s'est développée en dehors du cadre bilatéral et sans contrôle d'agences de placement.
L'Espagne est devenue cependant une destination pour une nouvelle vague de l'immigration marocaine croissante observée à partir de 1991. Cette année, le gouvernement espagnol prend deux décisions importantes qui vont avoir un impact majeur sur la mobilité transfrontalière marocaine vers ce pays. La première (15 avril 1991) met fin à l'accord bilatéral de 1964 sur la mobilité des personnes entre les deux pays et instaure le système des visas pour les citoyens marocains à compter du 15 mai de la même année. La deuxième est l'opération de régularisation des étrangers qui se trouvaient en Espagne avant le 15 mai 1991.
Ces décisions prises en concertation avec les engagements de l'Espagne avec ses partenaires communautaires dans un climat de tension internationale (guerre du golf) vont avoir un effet contraire à l'objectif visé. Prévues pour un meilleur contrôle des frontières et de la migration, elles déclenchent paradoxalement une ruée vers l'Espagne en provenance de l'ensemble du territoire marocain. Les réseaux de passeurs de clandestins, actifs entre les deux pays depuis la fin des années 1980, prospèrent alors. L'Espagne se trouve alors dans l'obligation de procéder à la mise en place d'une deuxième puis d'une troisième jusqu'à six opérations de régularisation (sans compter celle réservée aux équatoriens) pour absorber les stocks des clandestins qui se formaient sur son territoire. Entre 1991 et 2005, environ 200.000 Marocains, sur un ensemble de 1,1 million d'étrangers, seront régularisés. En sus le gouvernement espagnol décide la mise en place d'un système de recrutement par quotas annuels de travailleurs immigrés, permanents et saisonniers, dans leur pays d'origine. Ce mécanisme permettra le recrutement, entre 1993 et 1999, de quelques 50.000 travailleurs marocains (39% du total des travailleurs immigrés). Tous ne furent pas recrutés dans leur pays d'origine.
La décennie 1990 et les décisions prises en matière d'immigration, vont changer à jamais la situation migratoire en Espagne et avec elle la physionomie de la population marocaine qui y réside. Désormais, le pays est une destination phare de l'immigration internationale. De 0,9% en 1991, la part des étrangers sur l'ensemble de la population d'Espagne dépasse 12% en 2012. Les Marocains ont vu leur nombre passer de moins de 60.000 dans les années 1990 à plus de 900.000 actuellement.
L'originalité de l'immigration en Espagne dont la marocaine principalement est moins dans son accroissement exponentiel que dans la durée courte de cet accroissement. Difficile de trouver un cas similaire dans l'histoire de la migration internationale marocaine.
A travers la communauté marocaine installée sur son sol, l'Espagne renforce la deuxième place qu'elle occupe dans ses relations avec le Maroc dans d'autres secteurs. En effet, tout en étant le deuxième pays d'Europe par sa communauté marocaine, «l'Espagne est le 2ème fournisseur et le 2ème client du Maroc».
La France maintient sa place de tête de liste en abritant, en nombre, la première communauté marocaine à l'étranger suivie désormais juste après par l'Espagne laissant loin derrière les autres destinations traditionnelles de l'émigration marocaine. L'Italie, répertorié également comme nouveau pays d'immigration marocaine, n'abriterait certainement pas autant de ressortissants marocains pour prétendre bouleverser la cartographie de la diaspora marocaine à l'étranger.
En 1992, 54.105 Marocains vivaient légalement en Espagne, alors que vingt ans plus tard (2012) ce pays en abrite, 854.501. A ceux-ci, il faudrait ajouter les 120.648 Marocains détenteurs de la nationalité espagnole.
Au total, le Maroc compte presque un million de ressortissants en situation légale dans le pays voisin, 975.049, soit 3,2 % du total de la population marocaine et le 1/4 des Marocains du Monde. Ce sont là des proportions remarquables qui ont enregistré chacune un accroissement non moins important durant les douze dernières années.
De la clandestinité à la résidence longue durée
35%, soit 296.605 des Marocains légalement installés en Espagne en 2012, ont vécu à un moment donné de leur processus migratoire dans la clandestinité. C'est le cas de 53,3% des résidents ressortissants étrangers (1.457.289) du Régime Général. Là encore, les Marocains ne font pas exception. «L'irrégularité était la forme ordinaire de l'immigration» écrit avec raison Pajares Alonso.
L'immigration en Espagne s'est développée en dehors des canaux légaux de recrutement et d'installation. Les gouvernements successifs ont du recourir à pas moins de six opérations de régularisation pour absorber les flux permanents et les stocks de clandestins. La dernière en date remonte à 2005 ; destinée uniquement aux travailleurs, elle a permis à 604.357 employés étrangers de sortir de la clandestinité dont 10% étaient des Marocains. Conscient de cette situation, le législateur espagnol a prévu une issue permanente permettant aux clandestins l'accès à la légalité. Il s'agit d'une disposition légale (art.31.3 de la Loi Organique 4/2000 et art.124 du Décret Royal 557/2011) connue sous le nom de Arraigo : après deux ou trois ans, selon les cas, de résidence illégale, l'étranger peut prétendre à la régularisation par cette voie. 290.408 personnes ont pu régulariser leur situation de séjour grâce à cette disposition entre 2009 et 2012 dont 37.096 Marocains (13% du total).
Inversion des flux migratoires
Mais peut-on encore parler de clandestinité au sein de la communauté marocaine d'Espagne alors qu'on assiste déjà à une inversion des flux migratoires? Il était un temps où les experts espagnols et autres, intéressés par le phénomène de l'immigration, recourraient à une arithmétique très simple pour répondre à une telle question. Ils croisaient les données du ministère de l'intérieur relatives aux étrangers en situation légale, publiées par l'Observatoire Permanent de l'Immigration-OPI avec celles publiées chaque année par l'Institut National de la Statistique-INE relatives, celles-ci, à tous les étrangers inscrits dans les Registres Municipaux de la Population, abstraction faite de leur situation administrative de séjour. La différence qui était souvent en faveur des données de l'INE permettait aux experts et au gouvernement d'estimer approximativement le nombre d'étrangers en situation illégale. Ce recours n'est désormais d'aucun secours pour ce qui est de la communauté marocaine en Espagne. Le croisement des données précitées relatives aux Marocains, affiche depuis 2007 un score négatif en faveur de la légalité du séjour. Ce qui n'est pas le cas pour l'ensemble des étrangers.
En effet et suivant ce procédé, il y aurait en 2012 en Espagne, 377.235 étrangers en situation illégale contre un million en 2004 et 857.000 en 2009. Le nombre de Marocains qui se trouveraient dans cette situation était de 33.598 en 2004 ; il est réduit de presque la moitié en 2006 (19.291) pour disparaître les années suivantes.
En 2007, il y aurait pour la première fois dans l'histoire de l'immigration marocaine en Espagne, plus de résidents marocains titulaires d'un permis de séjour que ceux recensés par l'INE, situation qu'on ne retrouve pas chez l'ensemble des étrangers résidant en Espagne.
En somme, et sachant qu'en moyenne 7.000 Marocains obtiennent chaque année depuis 2008 leur titre de séjour pour enracinement dans le cadre de l'article 124 du Règlement d'Application de la Loi Organique 4/2000, il y aurait en Espagne actuellement moins de 15.000 Marocains en situation illégale dont une partie aurait disposé auparavant d'un titre de séjour et qui serait retombée dans la clandestinité suite à la perte de l'emploi principalement.
Les données officielles présentées le démontrent: la deuxième moitié de la décennie précédente marque un avant et un après dans les annales de l'histoire de l'immigration marocaine en Espagne avec la chute du taux de la clandestinité qui est devenu dérisoire, un nombre d'habitants déclarés inférieur à celui des résidents légaux et une inversion des flux migratoires. En effet, la décennie en cours annonce des soldes migratoires négatifs : il y a, à compter de 2010, plus de Marocains qui rentrent au pays d'origine que ceux qui partent en Espagne. Il y a aussi ceux qui quittent l'Espagne pour d'autres horizons. Ce qui représente une situation unique jamais observée auparavant chez la diaspora marocaine d'Europe.
Ceci étant, l'Espagne continue d'être un pays de destination préférentielle des Marocains qui s'installent à l'étranger ; leur nombre, en baisse après 2008, dépassait les 30.000 par an la décennie précédente. Ils seraient moins de 12.000 à avoir fixé leur résidence en Espagne en 2011. La durée de validité du permis de séjour apporte des précisions à ce sujet.


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