L'Ukraine était confrontée vendredi à la menace d'une coupure des livraisons de gaz par la Russie et aux risques d'affrontements entre autorités ukrainiennes et sympathisants pro-russes dans l'est du pays. Le Premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, s'est rendu vendredi à Donetsk, dans l'est russophone du pays, pour tenter de désamorcer le face-à-face avec les séparatistes pro-russes que Kiev a menacé de déloger par la force. Le président russe Vladimir Poutine a mis en demeure jeudi les Européens d'assurer le paiement des milliards de dette de l'Ukraine faute de quoi leur approvisionnement en gaz serait menacé, un développement qui relance la pire crise Est-Ouest depuis la fin de la guerre froide. Son homologue américain Barack Obama a aussitôt rétorqué qu'une escalade de la situation en Ukraine conduirait à de nouvelles sanctions américaines et européennes contre Moscou. Dans un communiqué publié à l'issue d'une conversation téléphonique avec la chancelière allemande Angela Merkel, M. Obama a «souligné le besoin pour les Etats-Unis, l'Union européenne, et les autres pays partenaires de se préparer à répondre à une escalade russe» en Ukraine par de «nouvelles sanctions». Pendant ce temps, le face-à-face tendu entre séparatistes pro-russes et loyalistes se poursuivait dans l'est de l'Ukraine, malgré une offre d'amnistie du pouvoir pro-occidental de Kiev. Et il risque de s'aggraver encore, les autorités ukrainiennes ayant exigé des militants pro-russes qui occupent des bâtiments officiels à Donetsk de libérer les lieux vendredi au plus tard. Dans une lettre à 18 dirigeants européens, M. Poutine déclare que la Russie a «subventionné l'économie de l'Ukraine» à hauteur de plus de 35 milliards de dollars depuis quatre ans et exige que ce soutien se fasse désormais «sur un pied d'égalité». Kiev a en particulier accumulé 2,2 milliards de dollars en factures de gaz russe impayées, et refuse l'augmentation de 80% du tarif décidée la semaine dernière par Moscou. M. Poutine a prévenu qu'en cas de non-paiement persistant le robinet serait coupé, faisant surgir le spectre des «guerres du gaz» qui avaient réduit les livraisons vers l'ouest du continent en 2006 et 2009. L'Union européenne importe le quart de son gaz de Russie, dont près de la moitié transite par l'Ukraine. Inquiets, les ministres des Finances des pays du G7 ont évoqué jeudi «la situation en Ukraine» et «les besoins de financement» du pays à l'issue d'une réunion à Washington, selon un communiqué. M. Poutine exige des consultations ministérielles «sans délai (...) pour mettre sur pied des mesures conjointes de stabilisation de l'économie de l'Ukraine et pour assurer les livraisons et le transit du gaz russe dans le strict respect des conditions contractuelles». Cette initiative du Kremlin intervient alors que le gouvernement intérimaire de Kiev, que Moscou ne reconnaît pas, cherchait à faire retomber la pression en promettant l'amnistie aux pro-russes qui ont pris des bâtiments publics dans l'est russophone du pays. «Si les gens déposent les armes et libèrent les bâtiments (...) nous garantissons qu'il n'y aura aucune poursuite», a déclaré le président par intérim Olexandre Tourtchinov. Mais l'appel est resté vain dans l'immédiat et sur le terrain les séparatistes renforçaient leurs barricades autour du bâtiment de l'administration régionale à Donetsk, ville d'un million d'habitants située à moins de 50 kilomètres de la frontière russe, où ils ont proclamé une «République souveraine». Sous une pluie fine, on entassait sacs de sable, pneus et pare-chocs automobiles, alors que des femmes âgées distribuaient des tracts affirmant que «les nazis sont au pouvoir à Kiev». «Nous tiendrons jusqu'au bout, nous nous défendrons», affirmait un des gardes du bâtiment, portant cagoule, casque et gourdin. «Tourtchinov n'a aucune légalité. Nous n'avons pas besoin d'une amnistie, nous avons besoin de la liberté. Ils veulent nous tuer», s'emportait Katerina, 40 ans. A Lougansk, une ville de 400.000 habitants, les séparatistes étaient également toujours retranchés dans le bâtiment des services de sécurité (SBU) dont ils ont pillé l'armurerie. Mais dans les deux villes, aucun mouvement de soutien massif aux insurgés n'était visible, et les pro-russes ne tenaient que les deux bâtiments sous leur contrôle. Les insurgés réclament l'organisation de référendums sur l'autonomie régionale ou le rattachement pur et simple à la Russie, qui a massé des dizaines de milliers de soldats à la frontière, faisant craindre une invasion. Mercredi, M. Poutine, qui a promis de protéger «à tout prix» les populations russes de l'ex-URSS, avait mis en garde Kiev contre toute action «irréparable». Les troubles dans l'est font craindre à Kiev un scénario similaire à celui de la Crimée. Cette péninsule ukrainienne de la mer Noire a été rattachée à la Russie en mars après un référendum non reconnu par Kiev et l'Occident, qui dénoncent une «annexion». Les autorités ukrainiennes accusent Moscou de vouloir «démembrer» leur pays ou au moins torpiller l'élection présidentielle anticipée prévue le 25 mai. Les favoris de ce scrutin sont en effet des pro-européens, décidés à arrimer à l'Ouest une Ukraine de 46 millions d'habitants frontalière de plusieurs pays de l'UE. Une lueur d'espoir diplomatique avait pourtant suivi avec l'annonce de la tenue de pourparlers à quatre - Etats-Unis, Russie, Ukraine, Union européenne - la semaine prochaine, à Vienne ou Genève, selon les sources. La Russie a enregistré jeudi une sanction politique symbolique, avec la suspension jusqu'à la fin 2014 des droits de vote de ses 18 membres à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE).