Que reflète «T'charmil» sur la culture de la jeunesse urbaine marocaine ? Le terme en soi a créé une véritable psychose au sein de la société marocaine. Et les médias, en papier comme électroniques, en ont fait leurs choux gras. La volonté d'attirer les lecteurs et stimuler les ventes l'emportant sur la pondération, le phénomène du «T'charmil» aurait, en fin de compte, atteint ses objectifs à travers toutes les exagérations. Quand on apprend que tout ce tapage, qui a nourri le sentiment d'insécurité chez les citoyens, est essentiellement le fait de gamins écervelés et de photomontages, on finit par se rendre compte que plutôt qu'un problème d'insécurité, le «T'charmil» est la traduction d'une perte de repères d'une partie de la jeunesse des quartiers périurbains des grandes villes et d'un sentiment d'insatisfaction, pas forcément justifié, de la population concernant l'assurance de leur sécurité. D'abord les faits. Suite au scandale de la publication des fameuses photographies de jeunes «M'charmlin» arborant couteaux et sabres devant des étalages d'objets passant pour des butins de rapines, qui a suscité l'inquiétude et la colère de l'opinion publique nationale, les dirigeants de la Sûreté nationale ont dû se sentir piqués au vif, parce qu'il n'a pas fallu longtemps aux agents de police de mettre la main sur 35 jeunes individus soupçonnés d'implication dans cette affaire. Le grand nettoyage. Sur les pages Facebook des fans du «T'charmil», après l'euphorie des débuts qui a vu le phénomène, né à Casablanca, contaminer d'autres villes du Royaume, c'est, soit la débandade: «Tcharmil, c'est juste un style d'accoutrement, nous ne voulons pas aller en prison»; soit la résistance: «Méfiez-vous mes frères... ils cherchent à nous combattre». Allant même jusqu'à l'expression d'une certaine fierté: «Je n'ai peur ni de la prison, ni de la mort, je suis un M'charmel et tout le monde me connaît». Des tigres en papier Mais il a suffi aux enquêteurs de la police de creuser juste un peu pour découvrir qu'ils ont plus affaire à de grosses gueules qu'à un réseau de délinquants et criminels aguerris. Sur les 35 individus soupçonnés d'implication dans cette affaire arrêtés à Casablanca, dont 18 à El Fida et 7 à Hay Hassani, seuls deux étaient de vrais délinquants, dont l'un déjà en prison, où il purge une peine de 3 ans depuis la fin de l'année écoulée. Trois forgerons qui fabriquent des sabres ont, également, été écroués. Les enquêteurs de la police n'en étaient pas au bout de leurs surprises. Il s'est avéré que pas mal de photographies étaient soient falsifiées au Photoshop, soit détournées de leur contexte réel, et ce juste pour frimer. La photographie présentant un jeune, tête baissée devant une valise pleine de billets de 200 Dirhams, est un montage. Celles où l'on voit des groupes de jeunes, brandissant de longs couteaux à la main, sont tirées de vidéos tournées à l'occasion de l'Aïd Al Adha. Les M'charmlin se sont révélés être, dans leur écrasante majorité, des tigres en papier. Mais le mal était fait, le sentiment d'insécurité ayant grimpé crescendo chez les Marocains, sans raisons objectives, si ce n'est l'effet du pétard mouillé dit «T'charmil». Et pour les plus hautes autorités du Royaume, c'est chose intolérable. Instructions ont été données par SM le Roi pour que toutes les mesures nécessaires soient prises afin d'assurer la sécurité des citoyens et de leurs biens (voir communiqué du ministère de l'Intérieur ci-contre). Et tant qu'à faire, la violence dans les stades et aux environs serait également traitée par la même occasion. Le désordre, plus grave que le meurtre Ceci dit, crier au loup et amplifier les inquiétudes sécuritaires, comme le font certains organes de presse et des sites d'information en ligne, n'est pas le meilleur service à rendre aux citoyens, loin s'en faut. Car cela revient, en fin de compte, à faire le jeu de ceux-là même qui cherchent à semer la terreur parmi les Marocains. Des crimes et délits, il y en a bien sûr au Maroc, comme dans tous les pays du monde. Mais Les Marocains peuvent s'estimer heureux de vivre dans le plus sûr des pays du Maghreb, encore plus sûr que les États-Unis, la Chine et la Russie, selon l'Institute for économics and peace de Sydney. Le Maroc est classé 57ème, sur 162 pays, dans son Global peace index pour l'année 2013. Il n'y a pas plus, dans le Royaume, de 2,3 infractions par 1000 habitants. Et les crimes et délits dits violents (homicides, tentatives d'homicides, coups et blessures ayant entraînés la mort, viols, etc) représentent moins du dixième de l'ensemble des crimes et délits enregistrés. Quelques 600 crimes de sang ont été perpétrés l'année dernière, à 85% dans des espaces clos, c'est-à-dire hors de portée d'éventuelles interventions préventives de la police. Globalement, le Maroc, qui ne compte pas plus de 1,4 homicide volontaire par an pour 100.000 habitants, est l'un des pays les moins meurtriers au monde, d'après les derniers chiffres de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC). A titre de comparaison, le Honduras a un taux de 96 pour 100.000, la Côte d'Ivoire 56, les Etats-Unis 4,2, la France 1,1, Monaco 0. Avec un taux d'élucidation de 92% enregistré en 2013, contre 88%, en 2012 et 86%, en 2013, les agents de la Sûreté nationale peuvent se targuer d'un bilan flatteur, sachant qu'il n'y pas plus de 54.000 policiers au Maroc, dont 34.000 opérationnels sur le terrain. Pour une population de près de 33 millions d'habitants. Ce n'est pas sorcier. Réduire le sentiment d'insécurité passe par une présence plus visible, partout, de la police. C'est-à-dire plus d'effectifs et de moyens pour y parvenir. Et les prévisions de recrutement ne dépassent pas les 1.700. En fin de compte, la question relève plus du Ministère des finances que de la Direction Générale de la Sûreté nationale. Si le «T'charmil» n'est, somme toute, qu'une mode, comment expliquer que de jeunes marocains essayent de se faire passer pour des délinquants en s'affichant comme tels sur les réseaux sociaux ? Comment est-ce que la délinquance est devenue une «valeur» vantée et même mensongèrement revendiquée par ces jeunes, qui constituent l'avenir de la nation ? Quelle interprétation symbolique donner à l'exhibition d'armes blanches et à l'étalage de faux butins, de grosses sommes d'argent et de stupéfiants ? Car, si la coupe de cheveux est un choix individuel, la fascination de ces jeunes «M'charmlin» pour les marques luxueuses et coûteuses d'habits sportifs est plus qu'inquiétante, connaissant le pouvoir d'achat de cette frange de la population. Toujours est-il que ces jeunes voyous en mal de repères ont suscité une véritable psychose au sein de la population à travers leurs pages Facebook, certains médias ayant achevé de donner une dimension dramatique et angoissante au phénomène du «T'charmil». Sans hausse notable de la délinquance et la criminalité, le sentiment d'insécurité s'est pourtant accru de ce simple fait. Comme précisé dans le Coran, verset 191 de la sourate Al Baqarah, «le désordre est plus grave que le meurtre».